Cinq ans après la tuerie de Charlie Hebdo, sur la chaîne Public Sénat, une sénatrice Union Centriste (UC), Françoise Gatel, barbote dans des considérations au ras des pâquerettes sur le voile et sur le journal Valeurs actuelles.
Le 2 janvier, Public Sénat rediffusait l’émission « Questions aux Sénateurs » du 7 novembre 2019. Durant une heure, Françoise Gatel, sénatrice UC de l’Ille-et-Vilaine, y répondait aux questions du journaliste de la chaîne parlementaire. Élue au Sénat en 2014 sur une liste d’union UMP-UDI, Françoise Gatel a été maire de Châteaugiron de 2001 à 2017, date à laquelle elle abandonne son mandat de maire pour se conformer à la loi sur le non-cumul : « Maire, c’est ce qu’il y a de plus formidable, répète-t-elle (…) A un moment j’ai dû choisir ou trancher entre ma fonction de maire et ma fonction de sénatrice. J’ai beaucoup hésité. Mais maire c’est juste formidable. »
Elle dut abandonner également sa présidence de l’Association des Maires d’Ille-et-Vilaine et sa vice-présidence de l’Association des Maires de France. Dans la foulée de ces abandons imposés par la loi, la voici élue secrétaire du Sénat et siégeant, de ce fait, au Bureau de cette institution auprès du Président Gérard Larcher. Comme tous les centristes, elle a soutenu en 2016 Alain Juppé lors de la primaire organisée par les Républicains en vue de l’élection présidentielle. Elle a été élue Présidente de l’UDI de l’Ille-et-Vilaine et Vice-présidente de l’UDI au plan national. Bref, un poids lourd de ce parti européiste qui, emmené par Jean-Christophe Lagarde, son Président, obtiendra 2,5 % des voix aux élections européennes de 2019 et n’aura aucun élu au Parlement européen.
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Briguera-t-elle un nouveau mandat de sénateur fin septembre 2020 ? La question ne lui est pas posée. On peut le supposer, les sénateurs renouvelables étant, à la veille des élections sénatoriales, prioritaires pour passer sur la chaîne parlementaire comme pour interroger un ministre lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement retransmise en direct à la télévision. Tout cela est banal dans les coulisses du cirque démocratique : pas de politique sans visibilité, pas de visibilité sans image. Françoise Gatel soigne la sienne avec une pointe d’originalité. Cette élue de la République, née en 1953, aura, si elle se représente, 73 ans à l’expiration de son second mandat en 2026. Les cheveux gris coiffés en brosse, une grosse paire de lunettes rondes pour créer la surprise dans un visage carré, elle est habillée d’une vareuse anthracite à col roulé qui lui donne un air décontracté s’harmonisant parfaitement avec la bonhommie de son timbre de voix. Pendant une heure, elle ne dira pas grand-chose mais réussira à donner l’image d’une femme modérée, ancrée dans son département et soucieuse d’améliorer la vie de ses compatriotes. Elle évoquera notamment le cas d’un jeune guinéen que l’on a aidé à avoir des papiers et qui s’en est sorti. « Il faut que l’école, elle permette à tous les enfants de s’en sortir, et puis il faut que les jeunes, ils aient envie, quoi ; il faut qu’ils aient de l’enthousiasme et de l’espérance ».
Sympathique, mais encore?
Françoise Gatel adore les champignons mais avoue qu’elle est lassée, en fin de saison, de faire des omelettes. Le personnage paraît fort sympathique d’un bout à l’autre de l’émission au point qu’on s’en voudra d’avoir été sous son charme alors que l’ennui et l’irritation ne cesseront de grandir devant le vide et le flou de ses propos. Du côté du journaliste, l’entretien commence fort :
– Je voudrais commencer, avant qu’on parle du Sénat, par un point d’actualité. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a accordé une interview à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Vous l’avez lue ?
-Je l’ai parcourue.
-Valeurs actuelles, c’est un hebdomadaire d’extrême droite. Qu’est-ce que vous en pensez, du fait que le Président de la République, c’est une première en France…
Si la sénatrice ne suit pas le journaliste sur cette pente au motif qu’elle défend le pluralisme, son approbation du jugement à l’emporte-pièce porté sur l’hebdomadaire servira d’enseigne à tout l’entretien et notamment à la séquence relative au port du voile dont l’inconsistance est préoccupante.
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Le jeune journaliste est un parfait représentant du politiquement correct, qui plus est imprudent, puisqu’il commence l’entretien en fonçant tête baissée dans le mur. Au bout de quarante-cinq minutes d’entretien, Françoise Gatel lui expliquera en effet que « Gérard Larcher est un bon Président du Sénat » et que « sur tous les bancs (…) chacun reconnaît sa compétence, son esprit constructif » – ce qui n’est pas faux, car il est très respectueux des petits jeux politiciens auxquels chacun est assujetti dans son département et au sein de sa propre famille politique. On pourrait s’attendre à ce que le journaliste, fidèle à son indignation, interrompe la sénatrice : « Mais Françoise Gatel, comment pouvez-vous penser cela ? J’ai appris que le Président Larcher a déjà reçu, en son bureau du Sénat, François d’Orcival qui est membre de la Commission éditoriale de Valeurs actuelles ! » Bien entendu notre jeune journaliste, non seulement l’ignore, mais n’imagine même pas que cela soit possible, encore moins que ce soit d’autant plus normal que Valeurs actuelles n’est en rien un magazine d’extrême droite, comme le politiquement correct médiatique tente d’en accréditer l’idée.
Il faut écouter l’interview conduit par ce journaliste : aucune question de fond n’est posée, aucun sujet n’est creusé. On est dans un jeu de rôle mondain. D’où le flou dans lequel la sénatrice a tout loisir de se réfugier. Comme le répétèrent en boucle les commentateurs de la réforme des retraites, « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ». Le loup ici – soyons attentifs à l’origine de l’expression – c’est le « loupé » de la perception. « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit », écrivait Charles Péguy dans Notre Jeunesse. Pourquoi est-ce si difficile ? Tout simplement parce que voir le réel oblige à se libérer de l’idéologie qui le dissimule, et que, l’idéologie étant ce que l’on a en partage avec d’autres, avec ses amis politiques notamment, s’en dégager conduit tôt ou tard non seulement à prendre ses distances avec eux, mais à les combattre.
Un entretien révélateur
Comme on va le vérifier dans la séquence de l’entretien relative au port du voile, l’idéologie est d’autant plus résistante (ce qui n’est pas incompatible avec son inconsistance) que la lecture des ouvrages traitant de l’avancée de l’Islam en France et en Europe est depuis trop longtemps négligée. Comment peut-on éviter une telle négligence dans un parti quand certains de ses responsables prétendent qu’il n’y a plus d’intellectuels en France ?
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Or, rien ne se conçoit bien sans les livres. Aussi est-il nécessaire pour appréhender les menaces qui pèsent sur le pays de lire Georges Bensoussan, Malika Sorel-Sutter, Michèle Tribalat, Bat Ye’or, Christopher Caldwell, Gilles Kepel, Matthias Küntzel, Pierre-André Taguieff, Alain Finkielkraut, Bernard Rougier, Hugo Micheron, d’autres encore. C’est la seule façon de commencer à penser contre soi, contre le confort de ses préjugés et la naïveté de ses sentiments. Sans ces lectures, le parlementaire aura beau regarder tomber la pomme, il n’aura jamais accès à la loi de la gravitation universelle.
Voici donc la fameuse séquence relative au voile :
-Récemment le grand débat au Sénat, ça a été aussi la proposition de loi des Républicains sur l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires. Qu’est-ce que vous avez voté ?
-Moi, je n’ai pas voté cette proposition de loi.
-Vous avez voté contre.
-Je reconnais, j’entends la question parce que je pense qu’il ne faut pas, c’est le cas de le dire, se voiler la face, c’est-à-dire il y a un vrai sujet autour de ça. Moi, j’ai présenté une proposition de loi pour l’encadrement des écoles privées hors contrat, on voit des choses un peu folles, voilà, qui naissent d’un islam politique qui n’est plus un islam religieux, donc je suis à l’aise avec ces sujets et que, moi, je ne suis pas du tout favorable à ce qu’on porte le voile dans la rue si c’est un signe de soumission.
-Dans la rue ?
-Euh, ou dans, à l’école je veux dire, euh, enfin…
-Ce n’est pas pareil !
-Y compris, oui mais de manière générale, moi je pense qu’on vit dans une société voilà, où chacun peut être libre, alors, bon, ben, mais,
-Libre de porter ce qu’il veut du coup
(…)
-Il y a une bonne question [d’un téléspectateur] qui vous demande qui est apte à juger ou non de la soumission de telle ou telle personne ?
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-Moi je ne juge pas. En tous cas là où vous pouvez juger c’est qu’en France il y a un âge en-dessous duquel la société doit vous protéger, quand vous êtes un enfant voilà,
-Le foulard des petites filles, c’est effectivement…
-Si vous êtes mineur aujourd’hui, voilà…
-Mais pour une femme majeure justement ?
-Ah non, mais, moi je dis,
-Elle a le droit de porter ce qu’elle veut
-Moi je ne dis pas que les femmes sont soumises mais que c’est quand même une image, le voile n’est pas obligatoire dans la religion musulmane et que ce qu’il y a derrière c’est bien le regard des hommes sur les femmes, on est d’accord, et que je ne pense pas que d’une manière générale le voile soit l’expression d’un signe de grande parité et d’égalité entre hommes et femmes. Mais moi je ne juge pas. Je donne un avis.
-On a entendu votre avis en tous cas et puis surtout l’important c’est que vous (le journaliste s’adresse alors aux téléspectateurs) vous vous fassiez votre propre opinion.
Se faire sa propre opinion sur quoi ? Sur le journalisme ? Sur le politiquement correct ? Sur le somnambulisme des politiques ? Sur leur inconsistance ? Sur le coût de cette chaîne parlementaire financée par le Parlement ? Sans doute.
Se tromper de loup comme une vraie centriste
Mais d’abord sur le « loupé » d’une perception centriste qui ne voit pas que les loups s’introduisent partout : à l’entrée d’une caserne à Montauban, d’une école juive à Toulouse, au siège de Charlie hebdo, dans un Hyper Cacher, à Saint-Quentin-Fallavier, dans le Thalys, au Bataclan, aux abords de la cathédrale Notre-Dame, au domicile privé d’un commissaire de police à Magnanville, sur la Promenade des Anglais, dans l’église Saint-Etienne-du-Rouvray, à l’aérogare d’Orly, sur l’avenue de Champs-Élysées, dans l’appartement de Sarah Halimi à Belleville, à la gare Saint-Charles de Marseille, dans un marché de Noël à Strasbourg, rue Victor Hugo à Lyon, à la Préfecture de police de Paris, dans un parc à Villejuif, dans le quartier Borny à Metz.
Chez un parlementaire, qui plus est membre du bureau du Sénat et dont les différents mandats et responsabilités exercés par le passé supposent le soutien de nombreux élus, ce gentillet bla-bla que vient conclure un stupéfiant « mais moi je ne juge pas, je donne un avis », ne laisse pas d’être fort préoccupant. On finit par se demander si être élu ne se réduit pas aujourd’hui à se partager les postes, et gouverner, à se contenter d’occuper le pouvoir.
Alors que les loups, les vrais, sont entrés, il y a quelques années, à nouveau dans Paris, que ce sont les mêmes qu’hier, que seul leur étendard a changé, alors qu’ils rôdent un peu partout sur notre territoire et qu’on appelle chacun à la vigilance, comment peut-on prétendre représenter la nation en tenant des propos aussi insignifiants et en criant au loup devant l’hebdomadaire que vous tend un malheureux journaliste ?
Roland Barthes, le texte et l'image, Paris, Pavillon des Arts, 7 mai-3 août 1986
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