François-Xavier Freland nous révèle avec brio le parcours d’une femme remarquable.
François-Xavier Freland, journaliste et écrivain, connait bien l’Afrique et il l’aime sans complaisance, comme on doit aimer ceux à qui on veut vraiment du bien, loin des litanies victimaires et misérabilistes. En cela il est un descendant direct de Germaine Le Goff, même si leur parenté généalogique est plus distante. C’est le parcours remarquable de cette « éducatrice en Afrique » que François-Xavier Freland nous retrace dans son dernier ouvrage paru tout récemment aux éditions Intervalles. Le style est toujours vif et le rythme trépidant comme dans tous ses ouvrages, qu’ils relèvent du reportage ou de la littérature.
L’Afrique dans sa complexité
D’ailleurs ce petit livre procède tout autant du récit biographique que de l’analyse géopolitique. Avec François-Xavier Freland, on peut gager en effet qu’il s’agira d’aventure et d’histoire, de passion et de raison, de volonté et de lucidité autant que d’amour. La vie de Germaine Le Goff est romanesque à bien des égards : une enfance très pauvre dans la Bretagne rurale et maritime au tournant des 19ème et 20ème siècles, l’élévation grâce à l’école de la République mais sans renoncer à prier Dieu quelquefois, deux maris profondément aimés, les horizons lointains de l’Afrique coloniale de l’entre-deux-guerres, un projet audacieux, quelques revers et de grands succès, et puis la reconnaissance, institutionnelle et surtout celle du cœur. Mais Germaine Le Goff nous fait aussi réfléchir sur le destin de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain : quel rôle pour les élites africaines que la fondatrice de la première école normale d’institutrices à contribué à faire émerger de la tradition et du lien colonial ?
Car Germaine Le Goff est à la fois féministe et anticoloniale, mais à sa manière, sans idéologie ou idéalisme aveugle, en favorisant la synthèse heureuse de l’émancipation des femmes et du développement social, de la modernité et de l’africanité. Elle s’éprend de l’Afrique, mais toujours en gardant au cœur ses origines françaises et bretonnes. Elle n’est pas de ces « expatriés » qui se perdent outre-mer, et qui, déracinés, n’ont in fine leur place ni ici ni là-bas. Du Soudan français (le Mali actuel) au Sénégal, et à travers ses élèves venues « d’Afrique-Équatoriale française » comme « d’Afrique-Occidentale française », elle apprend l’Afrique dans sa complexité, elle affronte l’hostilité des traditionalistes africains et le racisme de certains colonialistes français. Mais elle poursuit son but et trouve des alliés, dans son couple d’abord, avec Joseph Le Goff lui aussi fonctionnaire de l’Éducation nationale et qui partage ses idées, dans l’administration française aussi parfois, à des moments clés pour soutenir ses projets, et parmi les Africains progressistes comme Léopold Sédar Senghor avec qui elle entretiendra une correspondance tout au long de sa vie.
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« Au début, la vie à Djenné ressemble à un conte de fée. Quelques jours seulement. Le modeste couple d’instituteurs débarqué de province accède au rang de notables de la colonie. Le vertige est là quand on a vécu la misère, les fins de mois difficiles, la lutte, le froid. » Mais ce n’est pas évident d’installer la confiance indispensable à la transmission, entre le colon et le colonisé. « Le Français, c’est l’autre, le Blanc, le toubab » auquel on se soumet par la force des choses mais dont on se méfie et se défie, surtout lorsque c’est une femme et qu’elle s’est mise en tête d’apprendre à lire aux filles. Après l’école, après avoir été instruites, elles ne voudront plus piler le mile et mépriseront la case africaine ! Eh bien oui, Germaine Le Goff veut faire des femmes africaines des femmes instruites et plus encore, elle veut former une élite féminine qui contribuera à sortir l’Afrique de son sous-développement et de la tutelle coloniale. Mais non elle ne veut pas que « ses filles » élevées à « l’école de l’universel » oublient leur singulier africain, elle veut même qu’elles le chérissent et en fassent une vraie richesse.
Émancipation et progrès
En 1937, après une dizaine d’années à enseigner en Afrique, à concocter des manuels adaptés, mêlant poésie et morale, littérature française et contes africains, Germaine Le Goff va enfin mettre en œuvre le projet auquel elle rêve depuis longtemps : fonder une école normale d’institutrices pour jeunes femmes africaines. « Le 21 mars 1938, le Gouverneur général – conforté par le retour des « progressistes » au pouvoir – rend publique sa décision de créer la première École normale d’institutrices pour jeunes filles à Rufisque ».
L’émancipation des femmes africaines entrait tout naturellement dans le projet de Léon Blum qui intégra des femmes à son gouvernement, et tenta en vain d’introduire une égalité de droit à la nationalité en Algérie contre le statut de l’indigénat qui garantissait au pouvoir religieux sa domination sur les populations musulmanes. Or il n’existait « en Afrique occidentale en tout et pour tout qu’une école de sage-femmes. Les fillettes africaines [n’avaient] droit qu’à un enseignement primaire et secondaire là où les hommes [pouvaient] suivre des études universitaires ». Germaine Le Goff était persuadée que l’éducation des filles permettrait d’élever les sociétés africaines toutes entières et son école en a fait la preuve.
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Si en 1926, Germaine et Joseph Le Goff avaient involontairement raté la visite officielle de « Pétain l’éradicateur », le « nettoyeur du Maroc » dix ans plus tard, c’est en toute connaissance de cause qu’ils saluent le changement politique et « l’idéologie du Front populaire [qui] fait son entrée avec fracas dans la société bien hiérarchisée des colonies. » Et pendant la guerre, Germaine interdira à ses élèves de chanter « Maréchal nous voilà ! », admirant De Gaulle et préparant la Libération de la France puis l’Indépendance de l’Afrique. En janvier 1944, le Général De Gaulle lors de son passage à Dakar avant la conférence de Brazzaville, salue donc Germaine Le Goff, « la bonne servante de la France » et reçoit des mains de son petit-fils, une sculpture d’une jeune fille africaine réalisée par Joseph.
Retour en France
Après son retour en France en 1956, dans la grande villa bretonne qu’elle a choisie au bord d’une rivière calme, et après les indépendances africaines, les succès de celles qu’elle appelait « ses filles » et qui l’appelaient « maman », ont illuminé tout le reste de la vie de Germaine. À chacun de ses voyages en Afrique durant les années 60 et 70, elle les retrouvait. L’une est la première femme ministre du continent et deviendra ambassadeur de Guinée aux Nations unies, une autre est première femme députée en Côte d’Ivoire puis ministre, une autre encore, également ancienne legoffienne, la députée socialiste Caroline Diop, est présidente du Mouvement national des femmes, et nommée ministre de l’Action sociale par le futur président sénégalais Abdou Diouf.
Mais le plus bel hommage à Germaine Le Goff est peut-être le roman de Mariama Bâ, écrivaine sénégalaise passée elle aussi par l’école normale de Rufisque, Une si longue lettre. « Nous sortir de l’enlisement des traditions, superstitions et mœurs ; nous faire apprécier de multiples civilisations sans reniement de la nôtre ; (…) faire fructifier en nous les valeurs de la morale universelle ; voilà la tâche que s’était assignée l’admirable directrice ». Une conception de l’Afrique loin de la victimisation décoloniale wokiste tellement répandue aujourd’hui. Un héritage pour une nouvelle alliance entre l’Afrique et l’Occident qui passe forcément par une relation privilégiée avec la France. Voilà qui pourra exaspérer certains et faire adorer à d’autres, ce petit livre merveilleusement écrit, courageux, à la fois nostalgique et plein d’espoir.
A l'école de l'universel: Germaine Le Goff (1891-1986), une éducatrice en Afrique Price: 13,90 € 21 used & new available from 1,64 €
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