C’est l’autre « recadrage » de la semaine. La mise au tapis de François Ruffin a suffisamment frappé les esprits pour qu’une autre chroniqueuse revienne dessus. Le député de la Somme ne défile pas contre l’”islamophobie”, il pense que des questions sociétales secondaires nuisent au combat social, qu’il y a trop de bazar dans les cités et il n’est même pas favorable à la GPA. Forcément, pour la très woke Nupes, quand il ose en plus émettre des doutes sur la théorie du genre, trop c’est trop.
Un des derniers défenseurs d’une gauche respectable
En vingt-quatre heures seulement, on a vu, non sans une certaine tristesse, le député LFI François Ruffin se transformer en descente de lit. On avait pour le désormais Soumis une certaine tendresse, parce qu’avec le communiste Fabien Roussel, il était l’un des derniers défenseurs d’une gauche respectable, héritière de celle qui lutta pour les congés payés. Le député de la Somme savait rappeler utilement les excès d’un capitalisme échevelé, préjudiciable au partage des richesses, prenait fait et cause pour les plus démunis et se battait avec conviction pour la laïcité. Pourtant, il a dû courber l’échine devant la doxa de son parti qui privilégie le combat sociétal à la cause sociale. Terrassé, notre guerrier a fini par faire carpette. Posant le genou à terre, il a dû faire son autocritique néo-maoïste.
L’insoumis des insoumis
Jusqu’à présent, dans l’hémicycle comme dans la presse, François Ruffin défendait bec et ongles le social, n’hésitant pas à défier parfois sa famille politique et même, sur certains sujets, la Nupes dans son ensemble. Ainsi, en 2018, l’ancien journaliste de Fakir déclarait au micro de franceinfo : « On ne peut pas dire qu’on va accueillir tous les migrants ». Il avait alors été violemment conspué, notamment par la macronie. L’actuel ministre des Transports, Clément Beaune, était allé jusqu’à le qualifier de « nouvelle recrue de Marine Le Pen ». L’encore Insoumis François Ruffin n’avait pourtant pas hésité à préciser ses propos, sur Facebook : « notre pays doit pouvoir continuer à décider qui il accueille, et selon quels motifs ». En 2019, le parlementaire avait su prendre ses distances avec la marche contre l’islamophobie portée par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), maintenant dissout. C’est dans Libération qu’il avait annoncé son absence à ladite marche : « Je n’irai pas dimanche, je joue au foot. » En 2020, lors d’un entretien accordé à France Inter, questionné par l’ex-ministre socialiste Arnaud Montebourg sur la réhabilitation des frontières, le parlementaire avait répondu : « (…) il faut poser des limites à la circulation tous azimuts des personnes. » Plus récemment, en mai 2022, François Ruffin s’était insurgé, dans un long texte publié sur Facebook, sur le climat délétère régnant dans les quartiers : « C’est de la musique toute l’après-midi, toute la nuit des pétards, des pots d’échappement, le quad, les rodéos… ». Dénonçant aussi les trafics de drogue, il précisait : « Être de gauche, ce n’est pas fermer les yeux (…) : c’est garantir cette paix à tous les citoyens, ce droit à une intimité, à être chez soi, pas dérangé. »
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L’insoumission de trop ?
Pourtant, jeudi 1er juin, au micro de franceinfo, le député de la Somme, exprimant ses positions sur le changement de genre, est allé trop loin et son camp l’a recadré, illico. C’est au terme d’un long entretien qui portait sur la loi des députés Liot visant à abroger la réforme des retraites et la pénurie des saisonniers à l’approche de l’été que notre homme est tombé en disgrâce. Finalement interrogé sur les mesures sociétales prises par le parti Podemos en Espagne, et, plus précisément sur la possibilité accordée à un adolescent de changer de sexe, dès 16 ans, sans l’accord de ses parents, François Ruffin a répondu sans détour : « Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, le partage des richesses, la démocratie. On a une société qui est profondément fracturée en France (…) Dans ce climat de tensions, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement. » Il a aussi déclaré qu’en pareil contexte, la gauche ne doit pas faire « tout ce qui lui passe par la tête ». Relancé par son interlocuteur sur la gestation pour autrui, le parlementaire a alors admis « ne pas y être personnellement favorable ».
Recadrage immédiat
Trop c’était trop. Certains des collègues du député, dépités, sont immédiatement montés au créneau pour recadrer le dissident, alors que la communauté LGBT commençait à bruisser. Le député LFI de Paris, Sophia Chikirou, a réagi sur Twitter : « Ce n’est en rien une position de la France insoumise ni du groupe parlementaire. Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique. » Son collègue, le parlementaire LFI, Antoine Léaument a renchéri : « C’est un avis personnel qui n’engage pas le mouvement. » Andy Kerbrat a ajouté : « nous portons la lutte pour que les personnes trans puissent changer la mention de genre mais surtout l’autorisation du genre dans la constitution. Ce n’est pas sociétal, c’est fondamental. » Ruffin dérange LFI, cette gauche qui a abandonné les classes populaires au profit des minorités.
Un Méa culpa infiniment regrettable
Face aux attaques de ses pairs, le voici, à terre, contraint de faire son autocritique pour échapper à l’excommunication du parti. S’exécute-t-il par lassitude ou par calcul politique ? On s’interroge, sachant que d’aucuns pressentent sa candidature aux prochaines élections présidentielles. Quoi qu’il en soit, notre sécessionniste s’est décidé à regagner le giron de LFI, appliquant les préceptes du regretté Mao : « Rabattons notre suffisance, critiquons sans relâche nos propres défauts, tout comme, chaque jour, nous nous lavons la figure pour rester propres et balayons pour enlever la poussière. » C’est sur les réseaux sociaux que notre nouvel émasculé, a battu sa coulpe : « Hier matin, dès ma sortie du plateau de franceinfo, j’ai dit à mes collabs : Ma réponse sur le genre, ça va pas. J’aurais dû rappeler des évidences. » Et de préciser : « Sur ce sujet, comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser. En commençant, comme c’est ma démarche depuis maintenant vingt ans, par des rencontres avec les premiers concernés et les premières concernées. » Ça tombe bien, c’est le mois des fiertés.
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Toute divergence d’opinion sera sévèrement punie
En tout cas, ne lui jetons pas trop vite la pierre. Celui qui pense en dehors de la juste ligne est condamné à la mort sociale, enfermé dans ce que Philippe Muray avait justement nommé : « la cage aux phobes ». Il est donc plus facile de s’aplatir que de se redresser et de bomber le torse.
« Les lois et les censures compromettent la liberté de pensée bien moins que ne le fait la peur. Toute divergence d’opinion devient suspecte et seuls quelques très rares esprits ne se forcent pas à penser et à juger comme il faut. » Gide, Journal 1939-1949
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