Il y a encore quelques mois, personne ne connaissait son visage et les premiers commentateurs soulignaient d’abord sa fragile santé, comme pour se rassurer, tandis qu’ils évoquaient en se pinçant le nez la connivence idéologique du nouveau pape avec son prédécesseur, le bienheureux Jean-Paul II. L’eau a depuis coulé sous les ponts, et le pape François s’est révélé au point que, récemment, l’hebdomadaire américain Time décidait de consacrer homme de l’année 2013 : une décision qui a semblé faire consensus, tant le nouveau souverain Pontife a su séduire au-delà-même du sérail catholique. A la surprise de beaucoup et pour l’inquiétude de quelques-uns, aussi, car plaire au système, n’est-ce pas s’y complaire ?
« Je veux pouvoir casser du pape, je veux un pape ringard » nous avait averti dans une tribune du Monde la jeune romancière Solange Bied-Charreton au moment du conclave. Car, justifiait-elle, avec tout le sarcasme qu’on lui connait, « comment existerais-je si je ne puis contester le monde ancien, m’affirmer sans avoir à détruire des siècles et des siècles d’histoire ? » Son vœu pieux n’aura pas été entendu, du moins pour le moment. Car pour le moment, le pape François est devenu, au gré de ses déclarations interprétées à l’avantage de chacun, une idole polymorphe. Ainsi les féministes se sont-elles réjouies lorsque Jorge Mario Bergoglio a affirmé que l’Eglise était obsédée par l’avortement tandis que les pro-life exultaient qu’il se rende à la marche pour la vie à Rome en mai dernier ; les militants homosexuels ont apprécié que le souverain Pontife se refuse à les juger et les opposants au mariage homosexuel qu’il dénonce ce projet comme « une tentative pour détruire les intentions de Dieu » ; la gauche s’est félicitée que l’homme en blanc confesse ne jamais avoir été de droite et la droite lui a su gré de reconnaître qu’il n’était pas marxiste… En clair, tout le monde a vu midi à sa porte et chacun se demande désormais, entre conservatisme et progressisme, où les conduit le pape François. N’est-ce pas aussi cela l’universalisme de l’Eglise ?
Mais gageons que cette période grâce n’est que provisoire. Vous avez adoré l’aimer, vous aimerez le détester. Car rien de ce qui n’existait auparavant du point de vue dogmatique (la condamnation du mariage homosexuel, de l’avortement, de l’euthanasie, etc.) ne changera. Et tout ce qui confortait jusque-là la bourgeoisie avide de privilège dans un vernis catholique sera chassé du temple. Le pape déplaira autant à ceux qui se veulent socialistes mais qui ne le sont pas qu’à ceux qui aiment trop l’argent. Et les supporters se verront très vite beaucoup moins nombreux. Comment pourrait-il en être autrement ? Car, comme nous le rappelait Alexandre Vialatte, dans sa chronique « La religion veut entrer dans un cercle carré » : « Le Pape ne peut rien modifier, à moins d’être à la fois le pape et l’antipape, le chef de l’Eglise et de sa cinquième colonne ; il lui est impossible de dire : Catholiques, je vous ai compris. Il lui est impossible de faire une circonférence qui ne soit ronde […] On voudrait un cercle carré. Tout change, pourquoi pas la religion ? Parce qu’une circonférence est forcée de rester ronde. Parce qu’elle y est tenue par sa définition. »
Que ceux qui doutent encore s’en réfèrent aux dires et aux nombreux écrits de l’archevêque Gerhard Ludwig Müller, Préfet de la congrégation pour la doctrine de la Foi. Nommé l’an dernier par Benoît XVI et confirmé en Septembre par François, le prélat s’est exprimé il y a deux jours dans le Corriere della Sera sur les possibilités d’une évolution de l’Eglise sur les mœurs. La réponse a été catégorique : « On ne peut pas adapter la doctrine aux circonstances: l’Eglise n’est pas un parti politique qui fait des sondages pour obtenir un consensus ». Mais, ajouterait Vialatte à destination des futurs déserteurs déçus : « Personne n’est obligé de croire au petit Jésus, au bon Dieu et à la sainte Vierge. »
*Photo : GALAZKA/SIPA. 00671040_000004.
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