Dans un « livre-enquête », le journaliste François Krug essaie de diaboliser Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix en les accusant d’avoir vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu Charles Maurras…
Quand elles sont bien faites, les fiches de basse police peuvent procurer un vrai plaisir de lecture. Maître du genre, Emmanuel Ratier (1957-2015) n’avait pas son pareil pour révéler, dans sa lettre conspirationniste, antisémite et antimaçonnique Faits et Documents, la présence de tel ministre en vue ou de tel intellectuel médiatique à une conférence organisée par le Grand Orient de France ou dans les colonnes d’un journal juif confidentiel. Croyant salir ses cibles, il montrait en fait la complexité des hommes, leur éclectisme parfois inattendu, les rendant souvent plus sympathiques qu’on imaginait.
Dans son nouveau livre, François Krug est armé des mêmes intentions et méthodes, mais au service du camp d’en face, celui de la gauche sectaire. En 220 pages, il tente d’établir que trois des écrivains français contemporains les plus célèbres, Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix, seraient d’abominables « compagnons de route cachés de l’extrême droite », non pas pour leurs écrits ni leurs prises de position, mais à cause de quelques-unes de leurs rencontres et fréquentations. Évitons les habituelles récriminations contre cette dangereuse manière de cataloguer les gens. À force de parler de chasse aux sorcières, de procès de Moscou ou de maccarthysme, on devient lassant.
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Remarquons plutôt que n’est pas Ratier qui veut. Le livre de Krug ne contient aucune révélation. Il ne fait que redire ce que Philippe Muray, Marc-Édouard Nabe, Jérôme Dupuis (dans L’Express) et Saïd Mahrane (dans Le Point) ont déjà raconté avec davantage de talent et de culture littéraire. Ah non ! pardon, on y apprend quand même que Moix a pris une fois un verre avec Dieudonné (en 2010), que Tesson a confié par écrit à Jean Raspail qu’il se sentait « membre de la société secrète » de ses admirateurs (en 2019), et que contrairement à ce qu’on avait cru comprendre dans le Cahier de l’Herne qui lui est consacré, le premier article de Michel Houellebecq pour L’Idiot interna-
tional (en 1991) ne parlait pas de Pif Gadget, mais de prothèses mammaires. Tremble, bête immonde !
Krug nous réserve aussi un formidable fou rire quand il croit démontrer la monstruosité de Tesson en remarquant que celui-ci partageait avec l’ultra-nationaliste Dominique Venner (1935-2013) un goût commun pour Homère et l’Islande ! Ne lui dites surtout pas que Mélenchon et Zemmour apprécient tous les deux Jean d’Ormesson, il pourrait penser que la collusion réac au sommet du pouvoir est encore plus vaste qu’il le redoute.
Mais ce livre restera sûrement dans les annales grâce à un procédé innovant. Pour les besoins de ses recherches, Krug s’est en effet penché sur une anodine photographie, parue dans Paris Match, de Sylvain Tesson dans son salon. Si l’on zoome dans l’image, s’excite-t-il, on découvre sur une étagère plusieurs ouvrages d’auteurs sulfureux (Martin Peltier, Alain Sanders et Jean-Pierre Hebert), dont la simple possession suffit bien sûr à prouver l’adhésion aux pires idées… Après le journalisme de caniveau, voilà donc inventé le complotisme de rayonnage.
Réactions françaises: Enquête sur lextrême droite littéraire
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