En cette nouvelle rentrée, les journalistes tiennent fermement les clés de l’édition, suivis de près par les professeurs dépressifs et les jolies filles anorexiques. Chacun tient à ses positions et rentes de situation. Gare aux nouveaux venus dans cette arène très peu fraternelle! A n’en pas douter, les prix iront aux plus télégéniques et aux moins stylés d’entre eux. Conformément à la coutume de cette étrange tribu qui récompense (en général) des livres mal écrits aux sujets maintes fois traités. Mieux vaut donc chausser de gros sabots pour emporter la mise d’automne. Autre signe des temps, les avocats ont presque disparu des librairies. Il fut une époque où, dans les prétoires, on nourrissait pour la chose écrite une passion vespérale, des ardeurs adolescentes et des rêves sur papier bible.
Les grands défenseurs étaient tous de grands lecteurs. L’art oratoire, un prélude à une carrière dans les Belles Lettres. On entrait dans le métier par le concours de la conférence en robe et on ressortait en bicorne par le Quai de Conti à un âge très avancé. La République s’enorgueillissait de ce transformisme académique. L’homme de loi se faisait diariste, nouvelliste, polémiste, mémorialiste, rarement poète ou fantaisiste. Par manque de temps (vile excuse), de culture ou de talent, l’avocat préfère aujourd’hui le secret des affaires aux intrigues à la Dumas. Le lourd barreau de chaise cubain à la plume légère. Il existe cependant une exception à cette règle. On oserait presque dire une anomalie dans ce monde tellement stéréotypé. Un brillant avocat, spécialiste en droit des brevets, à l’accent chantant, venu d’un Midi rocailleux, chargé de toutes les espérances provinciales et qui cumule de délicieux anachronismes. Quel meilleur terreau pour des œuvres nostalgiques et vives ! Le garçon ne court pas derrière les trains qui arrivent à l’heure. Son goût le pousse vers des figures cabossées et non du côté des fonctionnaires zélés.
Toujours le panache en guise d’étendard, François Jonquères aime les réprouvés, les vaincus de l’Histoire et tous les héros malheureux qui bravent la médiocrité par instinct de survie et aussi un peu par folie douce. Car les destins lisses laissent de trop vilaines cicatrices. Les poseurs, les profiteurs, les affidés du système peuvent passer leur chemin. L’avocat-écrivain a même été jusqu’à créer le Prix des Hussards, une confrérie qui fait primer l’audace sur le conformisme. Il ne manque ni de cœur, ni de fougue pour signer un premier roman « La Révolution buissonnière ». Se lancer dans le grand bain avec un roman historique demande du nerf et du souffle. Sa pratique du rugby entre amis le prédispose aux habiles débordements surtout ceux de troisième mi-temps. Il a choisi un catalan comme lui, un certain François de Llucia (1752-1794), député à l’Assemblée législative puis maire de Perpignan pour nous conter la Révolution française au pas de charge. Le néo-romancier a suivi les conseils de Michel Déon et de Jacques Laurent dans la mise en place d’une trame pleine de chausse-trappes. Surprendre, émouvoir et piquer le lecteur en usant d’une langue coruscante, voilà les clés du succès. Il entremêle ainsi des faits historiques avec de la pure fiction, des morceaux de journal intime et des correspondances notamment celles de Laclos, de l’abbé Birotteau ou de Robespierre, également des digressions et des réflexions sur la Liberté. Toutes ces variations donnent du rythme et de la profondeur au propos. Pour retranscrire cette période (Ô combien houleuse) où la France se cherche entre monarchie constitutionnelle et République, il fallait un personnage hors-norme. « Llucia est une nature. Une conviction en marche. Droit devant, en avant toutes » écrit l’auteur conquis par l’ascension de ce révolutionnaire qui, à la tête de l’armée des Pyrénées-Orientales, boutera l’envahisseur espagnol. Une force physique au service de nobles idéaux éclairée par des doutes sur la notion de justice et assaillie par les affres de l’amour impossible. Les plus belles pages concernent la liaison dangereuse entre Llucia et Madame de Lausanne. Ce premier roman séduira par son allant, ses références historiques et surtout par le ton original de son auteur qui s’autorise toutes les facéties dans la grande tradition des Hussards.
La Révolution buissonnière de François Jonquères, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2016.
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