Le Président, dans son bureau de l’Elysée, le 24 décembre au soir, n’avait pas le moral. Il s’apprêtait à rejoindre ses invités pour le réveillon mais il regardait les derniers sondages. C’était de pire en pire. Le Président avait beau savoir que les sondeurs racontaient n’importe quoi, par exemple que plus de 60% des Français rêvaient de Merkel, ils ne pouvaient pas se tromper à ce point là. Il fallait que le Président s’y fasse, on ne l’aimait pas. Mais alors pas du tout. Il se demanda, et cela lui arrivait de plus en plus souvent ces temps-ci, comment il allait terminer son quinquennat ou même s’il allait le terminer.
Le Président retira ses lunettes, se frotta les ailes du nez, soupira. On n’allait pas tarder à l’appeler pour rejoindre la petite fête. Il n’en avait aucune envie. Tout le monde ferait semblant que ça allait, qu’on allait dans le bon sens. Entre les petits fours et le champagne, on parlerait de la « nécessaire adaptation » de l’économie française et de la société à la mondialisation. On échangerait des cadeaux. Ce serait sinistre, en fait.
Une vilaine pensée traversa soudain l’esprit du Président. Heureusement que certains n’avaient pas accepté la « nécessaire adaptation » en 1940. Parce que la « nécessaire adaptation », en 40, c’était Pétain, c’était la collaboration. TINA, comme disaient ses conseillers, ses économistes, ses partenaires européens. TINA, c’est à dire There is not alternative. Il n’y a pas le choix. Imaginons que De Gaulle et les communistes aient réagi de la même manière, 70 ans plus tôt. « Bah non, on ne va pas résister, on n’a pas le choix. Il faut être réaliste. Et puis le modèle allemand, il a ses bons côtés. » Le Président frissonna. Quelle horreur…
Était-il aussi lâche que ça ?
Il se leva de son bureau. Il ne savait plus trop s’il avait trop chaud ou trop froid. Il ne savait plus s’il était de gauche ou de droite, social-démocrate ou social-libéral, président ou maire de Tulle.
Soudain, il trébucha. Zut, il s’était pris les pieds dans un tapis. Il se retourna. Il n’y avait pas de tapis. C’était bien lui, ça. Et ça résumait parfaitement sa politique : se prendre les pieds dans des tapis qui n’existaient pas…
– Suis-je si nul que ça ? se demanda-t-il à haute voix comme pour conjurer le silence de la pièce, le poids écrasant des moulures et des dorures, la sensation d’étouffement créée par les lourds rideaux cramoisis.
– Mais non, monsieur le Président, tu n’es pas si nul que ça. Tu manques juste un peu de courage !
Le Président sursauta. Il était pourtant persuadé qu’il n’y avait personne dans son bureau et l’huissier à la porte l’aurait prévenu de toute manière. Il chercha du regard dans la pièce et c’est alors qu’il vit, assis confortablement sur le siège de son bureau, le Père Noël qui fumait un cigare mahousse. S’il avait été amateur de cigare comme son prédécesseur, le Président aurait reconnu un Cohiba Behike 56.
– Qui êtes vous, monsieur ?
– Ça ne se voit pas, Président ? Je suis le père Noël.
Le Président hésita entre plusieurs hypothèses : un fou qui s’était introduit dans le palais, Mélenchon qui lui faisait une farce, Valérie Trierweiler qui essayait de nouveau le piéger, un retraité écœuré par la nécessité d’enchaîner des petits boulots pour survivre.
– Pas la peine de chercher, Président, je suis vraiment le Père Noël.
– Mais il n’existe pas !
-Première nouvelle ! Tu ne crois pas en moi, Président, alors que tu crois en la sincérité des patrons dans tous tes pactes de responsabilité, tes CICE, j’en passe et des pires ! T’avoueras que tu es difficile à suivre, Président…rigola le Père Noël en soufflant une grosse bouffée de son Cohiba.
-Mais qu’est-ce que vous me voulez ?
-Bah tu crois quoi ? Je suis venu te faire un cadeau ! C’est mon job après tout. Et j’ai bien compris que tu n’avais pas le moral. Alors je vais te donner un moyen de le retrouver, ton moral.
Le Père Noël quitta le siège présidentiel et se pencha vers la hotte posée à côté du bureau. Il en retira une brochure à la couverture blanche un peu salie qui avait l’air assez ancienne.
-Tiens, joyeux Noël, Président. Tu m’excuseras, j’ai pas fait d’emballage cadeau.
Le Président regarda le titre de la brochure : Les jours heureux par le CNR. C’était un exemplaire d’époque, celui de l’édition clandestine du 15 mars 1944.
– Ça te fait plaisir, au moins, Président ?
– 70 ans, c’est si loin…
– Ça dépend du point de vue, Président. Ça ne doit pas être si loin que ça pour Kessler, un de tes amis du Medef puisqu’il a dit explicitement à plusieurs reprise qu’« il fallait en finir avec le programme du CNR ». Mais lis-le, toi, je suis sûr que ça pourrait t’intéresser !
Quand le Président releva les yeux, le Père Noël avait disparu. Il ouvrit la brochure au hasard et lut : « … retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ». Et puis, plus loin, « Un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ».
« Une vie pleinement humaine… » Il y avait encore l’odeur du cigare du Père Noël dans le bureau.
Le Président sourit d’un sourire qu’il n’avait pas eu depuis un bon bout de temps. C’était comme si un poids, le poids qui pesait depuis des années au niveau de son plexus solaire, venait de se lever .
« Une vie pleinement humaine… » Après tout, pourquoi pas ?
Il prit son téléphone, fit un numéro et, au bout d’un instant, s’exclama presque joyeusement dans le combiné :
– Allô, Manuel ? J’ai une mauvaise nouvelle pour toi…
*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00699955_000001.
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