La semaine dernière, François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls n’ont manifestement pas pu compter sur la majorité parlementaire pour faire voter, en première lecture à l’Assemblée nationale, le « projet de loi pour l’activité et l’égalité des chances économiques », dit projet de loi Macron. D’inspiration libérale, ce texte, qui a pour ambition de « libérer le potentiel inexploité de croissance et d’activité » en « levant les freins » à celle-ci, n’a pas su convaincre l’ensemble des députés socialistes et a requis le passage en force du gouvernement.
Comme le prévoit la Constitution, le gouvernement a choisi, en utilisant l’article 49 alinéa 3, de ne pas soumettre le texte au vote et de présumer la confiance de sa majorité. La motion de censure, prévue à l’article 49 alinéa 2 et corollaire de l’engagement par le gouvernement de sa responsabilité politique sur ce texte, permet aux députés, et notamment aux réfractaires de la majorité – les « frondeurs » – d’exprimer leur désaccord si jamais la présomption optimiste du gouvernement sur leur soutien devait être infondée.
Or la motion de censure a été rejetée. Dès lors, un problème se pose : le gouvernement de Manuel Valls n’a donc ni une majorité avec lui pour le soutenir, ni une majorité contre lui pour le démettre. Où est la Chambre ? Elle est introuvable, au sens propre du terme. Ce cas s’est déjà présenté dans l’histoire de France.
Il y a deux cent ans, en août 1815, alors que Louis XVIII retrouvait le trône après l’épisode des Cent-Jours, des élections à la Chambre des députés marquèrent le triomphe des ultra-royalistes. L’assemblée ainsi élue passera à la postérité sous le nom de « Chambre introuvable », d’après l’expression de Louis XVIII lui-même qui exprimait sa surprise et son plaisir de pouvoir ainsi compter sur un aréopage d’élus a priori si favorables à son pouvoir. Mais les députés ultras exigèrent et obtinrent du duc de Richelieu, le remplaçant Talleyrand à la tête du gouvernement, la légalisation de la Terreur blanche et des mesures extrémistes que Louis XVIII, à l’aune des leçons du passé, savait vouées à l’échec. Inquiet de voir sa volonté de réconcilier les deux France s’abîmer dans une nouvelle guerre civile, il se résolut à dissoudre en septembre 1816 cette chambre qui lui était pourtant, sur le papier, si favorable. En 1815, la chambre était donc « plus royaliste que le Roi ». En 2015, elle est plus socialiste que le président.
L’épisode soulève la question de la responsabilité politique des représentants et de la cohérence des positions qu’ils prennent au nom de leurs mandants. Les frondeurs, qui sont restés dans l’esprit de la campagne de 2012, sont à l’image des ultras sous la Seconde Restauration : ils ne sont plus en phase avec leur chef. En toute logique, ils auraient donc dû manifester leur désaccord en votant la censure du gouvernement de Manuel Valls, dont la ligne politique est, comme l’a montré la primaire socialiste de 2011, très largement contraire à la leur. Or il n’en fut rien. Aucun des « frondeurs » n’a concrétisé sa défiance répétée envers la politique du gouvernement en votant la censure. Qui ne dit mot consent ; la démocratie parlementaire s’en remettra.
Beaucoup se défendront en imputant aisément ces dysfonctionnements du parlementarisme français d’aujourd’hui à la facture même de la Ve République : le parlementarisme rationalisé qu’elle met en œuvre contraindrait les députés à n’être que des godillots, sans aucune latitude décisionnelle, et l’Assemblée ne serait dès lors qu’une chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif.
Cette critique institutionnelle est récurrente à la gauche de la gauche française. De Jean-Luc Mélenchon à Arnaud Montebourg, les appels pour une VIe République, nécessairement parlementaire, y sont fréquents. Il s’agirait de débarrasser la République de la « monarchie présidentielle » et rendre l’entièreté du pouvoir exécutif au parlement – nécessaire monocaméral, ou au moins débarrassé d’un véritable Sénat, « anomalie démocratique » selon Lionel Jospin, encombrant car conservateur. Le pouvoir devrait revenir à la Chambre et être exercé souverainement par les députés au travers d’un gouvernement responsable devant eux. Le sort des III et IVe Républiques n’a pas droit de cité dans ces réflexions.
Dans les rangs des « frondeurs », il est déroutant de voir se confondre les tenants de cet aggiornamento constitutionnel, pour libérer les députés du parlementarisme rationalisé, avec ceux qui se soumettent sans broncher à un gouvernement qu’ils honnissent par ailleurs, en ne votant pas la censure. Une confusion que seule la prétention à l’irresponsabilité politique explique. Le pouvoir induisant la responsabilité, la « fronde », pour être sincère, induit un rapport de force dont les conséquences doivent être assumées. Le pouvoir oblige. En l’occurrence, si le gouvernement avait dû être renversé, il revenait au président soit d’en prendre acte et de nommer un nouveau gouvernement, soit de maintenir le gouvernement et de dissoudre l’Assemblée, comme le fit le général de Gaulle à l’issue de la motion de censure votée contre le gouvernement Pompidou à l’automne 1962. L’ambivalence d’une partie des députés sur le projet de loi Macron démontre qu’ils rechignent à endosser la responsabilité qu’induit leur mandat ; ils ont préféré se soumettre plutôt que de risquer une hypothétique perte de leur siège. Il s’agirait de décider sans assumer : une place au Palais-Bourbon vaut bien quelques arrangements avec ses convictions.
Il ne manque pourtant aux députés frondeurs que la volonté de tenir leurs positions, dans la mesure où les moyens effectifs pour le faire existent. Nombreuses en effet sont les révisions constitutionnelles qui ont permis une certaine reparlementarisation la Ve République pour renforcer le rôle des députés. En vain. La majorité parlementaire reste inexorablement docile au gouvernement, en dépit de ses prérogatives et de ses désaccords parfois fondamentaux avec celui-ci. Les « frondeurs » rentrent dans le rang dès lors que leurs positions dépassent le cadre médiatique. La dernière révision constitutionnelle en date, celle du 23 juillet 2008, entendait même consacrer l’avènement d’un « hyper-parlement » (Jean-François Copé) face à un « hyper-président », en encadrant notamment les prérogatives de l’exécutif, en renforçant le contrôle du parlement sur celui-ci, et en développant le poids des assemblées dans la procédure législative. Mais dans les faits, la soumission inconditionnelle de toute la majorité au gouvernement demeure. Et certains entendent même la renforcer ! Razzy Hammadi, député de la Seine-Saint-Denis, a proposé mercredi d’interdire aux députés de la majorité de voter contre le gouvernement. Godillot, vous avez dit godillot ?
Au vu de ces événements, où majorité et opposition tiennent sur un texte des positions diamétralement contraires à leurs convictions, il semble à propos de se réjouir de l’équilibre institutionnel que consacre la Ve République, en isolant le pouvoir exécutif des arrangements et autres compromissions auxquels la chambre basse est historiquement encline.
Rappelons les fondements du mandat représentatif en citant Sieyès : « le seul devoir du représentant, c’est d’être libre ». Sieyès le régicide qui, lors de la Seconde Restauration, s’exila pour ne pas souffrir le pouvoir de Louis XVIII et des ultras. Autre temps, autre mœurs.
*Photo : wikicommons.
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