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François Hollande, laissez-nous dormir !


François Hollande, laissez-nous dormir !

François Hollande, président normal, trop normal

Quelques semaines avant Mai-68, Pierre Viansson-Ponté publiait dans Le Monde un article resté célèbre sous le titre : « Quand la France s’ennuie… » Il constatait, avec une belle préscience, une manière d’apathie inquiète, une attente vague d’on ne sait quoi dans le pays. Aujourd’hui, la France ne s’ennuie pas, elle est juste fatiguée. Elle a envie de s’asseoir, de souffler et, qui sait, de dormir en attendant que ça se passe. Elle veut qu’on la laisse tranquille, en fait. Il est étonnant que personne n’ait interprété en ce sens l’élection de François Hollande.

En réalité, il n’y a pas de quoi être choqué par l’atonie de ce début de quinquennat. François Hollande ne va rien faire parce que la France ne croit plus vraiment à son destin.[access capability= »lire_inedits »] En la personne de François Hollande, le peuple français n’a pas tant choisi un « président normal » qu’un président qui élève et élèvera la procrastination au rang des beaux-arts. En cela, il est parfaitement en phase avec un sentiment planétaire : selon une récente étude de l’université DePaul à Chicago, 95% de la population mondiale serait atteinte de procrastination et 20% de procrastination chronique. L’étude définit la procrastination comme un manque de confiance en soi qui pousse à remettre au lendemain ce que l’on pourrait faire le jour même, et cela par peur de l’échec ou d’aggraver encore sa situation. On peut penser que les seuls à être épargnés par l’épidémie se trouvent dans les faubourgs d’Alep ou dans les zones subsahariennes menacées par la famine et l’islamisme radical. On ne procrastine pas quand on risque de mourir dans les heures qui viennent.
Pour le reste, et particulièrement pour la France, François Hollande a sans doute senti qu’il faisait face à un peuple pour lequel il est surtout urgent d’attendre. De toute façon, quoi que fasse le politique ces temps-ci, ça ne change pas grand-chose au problème. Indépendamment des questions de style ou de personnalité, l’activisme parfois ébouriffé d’un Sarkozy n’a pas empêché la crise dans laquelle nous nous enfonçons. Pas plus que les mesures pourtant très « libéralement correctes » du gouvernement Monti en Italie ou de Rajoy en Espagne n’arrêtent le tsunami qui semble sur le point d’engloutir nos voisins.
En multipliant les commissions, célèbre méthode de procrastination politique, en proposant des demi-mesures sur la baisse de l’essence ou la hausse du plafond du Livret A, François Hollande semble avoir compris que les Français ont le sentiment d’être englués dans des sables mouvants au moins jusqu’à la taille, et que le moindre mouvement aggraverait encore leur situation. Donc, ne pas bouger, se faire oublier, cesser d’être bousculé par des réformes, choisir l’immobilité du varan qui parvient de façon mimétique à se confondre avec le désastreux décor de la situation mondiale. Hollande retrouve ainsi, sans doute sans le savoir, le principe fondateur de la médecine antique, « Primum non nocere », d’abord ne pas nuire. On ne charcute pas un patient déjà malade. On attend. On espère. Dans une certaine mesure, l’immobilisme de Hollande, comme l’existentialisme de Sartre, est un humanisme.

On objectera que ce n’est pas nouveau, que la France a toujours été cette nation conservatrice, crispée sur des avantages acquis. C’est à notre avis une des plus sottes idées reçues de ces dernières décennies. Les essayistes à répétition, tels Minc ou François de Closets, comme il y a bientôt trente ans l’émission d’Yves Montand, Vive la crise !, auront beaucoup contribué à faire avaler cette vieille lune au bon peuple culpabilisé, en cherchant à prouver aux Français qu’ils étaient les pires cossards d’Europe, les paresseux honteux, confortablement installés dans le compromis gaullo-communiste hérité de l’après-guerre et du CNR.
C’est injuste et, à notre avis − plus grave − parfaitement faux. La France a plus changé entre de Gaulle et Hollande qu’entre Stendhal et de Gaulle.
Elle a perdu un empire colonial dans des guerres impitoyables, subi une marche forcée vers l’intégration européenne avec le bonheur que l’on sait. Elle a vu disparaître sa paysannerie, elle qui était une vieille nation agricole, puis sa classe ouvrière, elle qui était une grande puissance industrielle, tout cela parce qu’il fallait se « moderniser », mot-clé, mot-fétiche devenu l’alpha et l’oméga de l’action politique depuis que Lecanuet ou Servan-Schreiber l’ont adopté comme mantra dans les années 1960. Elle a changé de monnaie. Elle s’est adaptée à toutes les métamorphoses du travail induites par les nouvelles technologies ; elle a accepté, pour le pire, de voir disparaître deux des piliers de la République : l’École du monde d’avant, détruite par le pédagogisme, et le service militaire qui assurait le lien entre la nation et son armée tout en donnant un sentiment d’appartenance à toute une classe d’âge. De l’avortement à l’abolition de la peine de mort, de la généralisation du téléphone portable à Internet, elle a tout accepté et s’est même montrée parfois une très bonne élève, en matière de productivité par exemple.
Et tout ça pour quoi ? Pour encore et toujours perdre du terrain dans une compétition internationale qui la force à faire vivre moins bien les enfants que les parents. Ce n’est ni une question de gauche, ni une question de droite. D’ailleurs, depuis le tournant de la rigueur de 1983, qu’est-ce qui différencie vraiment la gauche de gouvernement de la droite classique ? Un peu de sociétalisme, et encore : on trouve aussi à l’UMP des partisans du shit et du mariage gay.

Alors voilà, elle est fatiguée, la France, vraiment fatiguée. Sarkozy a secoué le berceau et le vieux bébé a pleuré. Le vieux bébé s’est dit qu’il n’y avait rien à attendre de Hollande sinon qu’il arrête de lui donner le mal de mer et qu’il le laisse dormir. Nous sommes bien d’accord, ce n’est pas très brillant mais c’est tellement humain. Dans Perfide, un roman de Roger Nimier qui date de 1950, on peut lire : « Les peuples, commença Perfide, non sans pédanterie, les peuples ont le droit de s’asseoir au cours de leur histoire. […] Malheureusement, le siège est installé sur un marécage et il s’enfonce assez vite. »
On en est là ? On en est là.
Mais Nimier continue : « De ce point de vue, il serait préférable de faire flotter sur la Seine, le ventre en l’air, une centaine de députés − et de vivre debout. » Ça, c’est un peu exagéré et ça s’appelle une révolution. Mais en bons procrastinateurs, les Français la remettront aux calendes… grecques.[/access]

*Photo : François Hollande/Benjamin Boccas.

Septembre 2012 . N°51

Article extrait du Magazine Causeur



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