Notre président de la République a surpris beaucoup de monde. On le disait hésitant, fuyant l’affrontement, maître dans l’art de la synthèse chèvre-chou, disciple zélé d’Henri Queuille[1. Homme politique français de la IIIème et IVème République, élu de la Corrèze et auteur de la maxime : « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout »] et confondant normalité présidentielle avec immobilisme politique. Une seule décision – mais quelle décision ! – a déconstruit cette représentation narrative plus radicalement que cinq cents pages du défunt Jacques Derrida. En envoyant l’armée française porter un coup d’arrêt à l’avancée triomphale des jihadistes sahéliens en direction de Bamako, François Hollande a opéré un choix stratégique majeur que l’on pourrait résumer en une phrase : pas de quartier dans la guerre contre le terrorisme ! Le vocabulaire choisi implique un certain courage face à la doxa interdisant aujourd’hui d’employer des expressions classées comme éléments de langage utilisés naguère par les néo-cons entourant George W.Bush.
Il n’est pas vrai, comme on l’écrit souvent, que l’opération Serval ait été improvisée sous la pression de l’offensive jihadiste vers Bamako. Elle était déjà dans les cartons lors du voyage de Hollande en Algérie, fin décembre. Et ce n’est pas pure coïncidence si les interventions des Mirages et des Rafales de la base de Saint-Dizier ont débuté trois semaines pile après la fin de cette visite officielle : le délai de vingt-et-un jours est celui imposé par Alger pour une réponse à une demande d’utilisation temporaire de son espace aérien… Le choix de Hollande est donc celui de l’option militaire pour empêcher l’établissement d’un « Sahélistan » jihadiste dans une zone s’étendant de Nouakchott à Ndjamena et de Tombouctou à Conakry.
S’il ne s’était agi que de protéger nos intérêts économiques dans la région (uranium, phosphates et autres minerais utiles), l’option consistant à laisser les groupes armés islamistes radicaux s’emparer des leviers de commandes dans les Etats faillis du secteur eût été plus raisonnable. Comme ces derniers seraient bien en peine d’exploiter, et encore moins d’utiliser ces matières premières, ils auraient proposé aux exploitants actuels de ces richesses naturelles de continuer leurs petites affaires, et de leur verser les royalties afférentes. Nous détournerions alors les yeux du sort réservé par les intégristes de la charia aux populations locales, nous contentant de préserver nos intérêts commerciaux et énergétiques. L’opération Serval aurait alors été limitée à l’exfiltration des ressortissants français désireux de fuir les fous d’Allah, permettant ainsi d’adopter la méthode Ponce Pilate pour la suite des événements. C’est cette option que l’avocat d’affaires international Dominique de Villepin, bien en cour dans les monarchies du Golfe, et donneur universel de leçons, voudrait voir adopter : pour lui, la guerre c’est « néo-cons » et compagnie, ça crée du terrorisme plus que cela n’en détruit : alors négocions et laissons faire. Outre que le diagnostic sur l’augmentation du terrorisme consécutif aux guerres d’Irak et d’Afghanistan soit hautement contestable[2. Ce raisonnement, qui suppose qu’une attitude conciliante des Occidentaux eût enrayé l’expansion des jihadistes est pure spéculation. Ce qui est, en revanche incontestable, c’est que leurs agressions en Europe et aux Etats-Unis ont notablement diminué depuis 2003…], cette prise de position, qui recoupe celles des idiots utiles du jihadisme sévissant au Front de gauche, au NPA, et chez certains Verts, ne témoigne que de la permanence du gène munichois dans une partie de nos élites politiques, de droite comme de gauche.
Norman Schwartzkopf, l’ancien commandant en chef de la première guerre d’Irak en 1991, avait coutume de dire : « Nous autres militaires, sommes les mieux placés pour faire tout ce qui est humainement possible pour éviter une guerre. Mais une fois que celle-ci, malheureusement, est devenue inévitable nous devons nous comporter comme des sons of bitches ». Cela veut dire, entre autres, que l’on ne regarde pas trop le CV de ses alliés lorsque ceux ci sont disposés à vous aider efficacement.
François Hollande et la diplomatie française se sont décarcassés en coulisses pour persuader les amis de la France, de la démocratie et des droits de l’homme de la suivre dans sa résistance à l’emprise jihadiste sur l’Afrique occidentale. Les Etats-Unis d’Obama se sont plantés grave au Mali en formant des officiers locaux qui se sont empressés de rejoindre AQMI et autres officines terroristes. Ils n’ont aucune envie de remettre en Afrique le couvert qu’ils sont en train de desservir en Afghanistan, et considèrent que les Européens doivent maintenant prendre les choses en main dans des parties du monde où leurs intérêts sont directement menacés. Ils offrent donc le minimum syndical d’aide à l’intervention française : ravitaillement en vol des chasseurs-bombardiers, et partage du renseignement. L’Europe ? Derrière les applaudissements de façade, c’est la défilade totale. L’amie Merkel ? Elle offre généreusement deux Transall pour le transport des troupes africaines de la Cédéao vers les théâtres d’opération. Pareil que la Belgique ! David Cameron n’a pas envie de refaire le coup libyen au Mali : les Britanniques n’ont que des intérêts négligeables dans la région, alors qu’en Méditerranée orientale ils en avaient de considérables.
Alors oui, nous sommes seuls et contraints de nous associer à quelques personnages peu recommandables : la caste politico-militaire algérienne, et le tyran tchadien Idriss Déby, le seul dirigeant africain dont les troupes présentent une utilité opérationnelle sur le terrain[3. La Misma (Mission militaire inter-africaine au Mali) est politiquement nécessaire pour obtenir l’aval des Nations-Unies, mais militairement inopérante pour régler le problème, étant donné la piètre qualité des troupes de la plupart des pays engagés. Seuls les Tchadiens peuvent engager des unités aguerries au combat dans le désert, et animés du désir d’en découdre avec les jihadistes, alliés des rebelles contre le gouvernement d’Idriss Déby.]. On voit même Vladimir Poutine proposer ses services et ses avions gros porteurs pour transporter hommes et matériels vers le Mali. Comme François Hollande n’a pas droit à la défaite, toute contribution à la victoire est la bienvenue.
L’objectif fixé par le président français est ambitieux : détruire les forces des narco-jihadistes au Mali d’abord, dans l’ensemble du Sahel ensuite. Ceux qui assimilent cela à du néocolonialisme sont totalement hors sujet : nous, Français, ne souffrons que marginalement des méfaits de ces bandes armées criminelles et fanatisées, alors que les populations locales subissent de plein fouet leurs exactions de toutes nature. L’objectif n’est pas inatteignable, car contrairement à l’Irak et à l’Afghanistan, les troupes françaises sont loin d’être considérées comme des envahisseurs étrangers dans toute cette région. Les images de liesse des Maliens accueillant les blindés français ne sont pas des images de propagande : ils attendent d’eux qu’ils les protègent de la barbarie venue du nord.
Ce n’est pas de ces populations africaines que François Hollande doit craindre le désaveu, mais bien de ceux qui, chez nous, n’attendent que les premières difficultés militaires pour sonner la retraite. Hollande affirme que notre armée restera sur place « le temps nécessaire » (à écraser les jihadistes). Il mérite notre soutien.
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