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François Guérif: au temps béni de la VHS

« Des moments de cinéma » de François Guérif, aux éditions La Grange Batelière (2023)


François Guérif: au temps béni de la VHS
L'diteur et critique de cinéma François Guérif, photographié en 2009 © ANDERSEN ULF/SIPA

Dans le recueil Des moments de cinéma, François Guérif a réuni ses entretiens avec des monstres consacrés de la pellicule, de Clint Eastwood à Russ Meyer, de Kim Basinger à Lino Ventura, d’Audiard à Brigitte Lahaie…


On ne dira jamais assez combien la vidéo a éduqué toute une nouvelle génération de cinéphiles. Le magnétoscope, mangeur de cassettes sonore et glouton, a fait son irruption dans les salons français avant la nomination d’André Henry au ministère du Temps libre dans le premier gouvernement Mauroy. Cet appareil dont nous avons perdu, un jour, la trace dans un grenier, avait deux vocations premières : le visionnage de films pour adultes et la redécouverte des grands classiques du noir et blanc. Comme quoi, l’interdit et la nostalgie sont de bien meilleurs professeurs que la réglementation permanente et le progrès béat.

Liberté de ton

François Guérif, chantre des interstices et du cinéma de genre, chasseur d’étrangetés et passeur enthousiaste, créateur de la collection Rivages/Noir en 1986 et historien sans frontières, faisant le pont entre Brooklyn et Bagnolet, entre l’envers des Skylines et les fortifs fut engagé en 1978 comme Secrétaire de rédaction du magazine Télé Ciné Vidéo. Depuis cette époque, il a tendu son carnet moleskine aux plus grands noms de la profession. Des moments de cinéma, aux éditions La Grange Batelière réunit une partie de ses interviews exclusives de la décennie 1980.

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Guérif les interroge sur la place de la vidéo dans l’industrie cinématographique, mais aussi sur leur actualité du moment ou des épisodes-clés de leur carrière. Et, l’on est surpris, charmé, dépaysé par cette liberté de ton qui semble appartenir à un autre siècle. Surtout quand on la compare aux insipides interventions actuelles, où réalisateurs et comédiens sont tétanisés par l’enjeu économique et les nouveaux diktats moraux en vigueur. Les mots sont dorénavant pesés à l’aune de leur réception sur les réseaux sociaux, le robinet de niaiseries confondantes coule à flot, le cinéma est devenu un divertissement cadenassé par l’ordalie marchande et les acteurs, des agents citoyens vantant une alimentation équilibrée et s’inquiétant de la consommation d’eau de nos toilettes. La chaleur et la sincérité qui se dégagent de ces échanges datant d’une quarantaine d’années nous aèrent l’esprit. Une autre réalité éclate.

José Giovanni remet les pendules à l’heure

Des artistes non assermentés, libres et éclairés, s’expriment, laissant filtrer parfois leur colère ou leur part de vérité, sans la trouille de heurter une quelconque minorité mal pensante. Michel Blanc dézingue le poste d’alors : « Un téléfilm n’est ni du cinéma, ni de la télévision. C’est un petit film étriqué, à petit budget, fait pour être vu sur un petit écran. Tout est petit. […] Si on veut que l’image soit belle et bien éclairée, si on ne veut pas que ça ressemble au Commissaire Moulin, il faut prendre son temps ». Présentant « Charlotte for Ever », Serge Gainsbourg s’insurge contre les prises à rallonges : « J’ai horreur des lascars qui font je ne sais combien de prises. Chez moi, il n’y en a que deux. Une pour moi, et une pour l’assurance qui l’exige au cas où il y aurait une merde sur la pelloche ». François Truffaut défend l’œuvre de Claude Zidi : « Les journalistes n’osent pas appeler un film de Zidi un film d’auteur. Et pourtant, c’est lui qui a l’idée de base de Banzaï, c’est lui qui improvise au tournage – il est très fort pour ses trouvailles visuelles, c’est comme ça qu’il est passé de caméraman à réalisateur – ce sont ses idées qui servent du début à la fin. Pour moi, Zidi est un auteur type, mais vous ne le verrez jamais classé comme tel dans les revues spécialisées ». José Giovanni remet les pendules à l’heure sur la sacro-sainte « mise en scène » qui, selon lui, « ne commence pas sur le plateau, elle commence bien avant avec le choix du sujet, le choix du dialogue, les décors et les acteurs […] Ce n’est pas Melville qui va apprendre à jouer la comédie à Frankeur ou à Ventura ».

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Primauté du livre sur le film

Taiseux, après une courte hésitation, Lino ne s’exprimant jamais à tort à travers, avoue à la question « Y-a-t-il un film que vous regrettez de ne pas avoir tourné ? » : « Ah si le dernier, c’était Les Choses de la vie ». Michel Audiard, tout de go, concède la primauté au livre sur le film. Il s’explique ainsi : « Je pars du principe que si un livre m’emballe, il n’y a pas de raison qu’il ne fasse pas un bon film. C’est archi-faux, de même qu’on peut faire un très bon film avec un livre épouvantable. Mais je reste encore convaincu que c’est le livre qui doit entraîner le film, même si on le trahit ». La raideur des positions a changé d’angle en moins d’un demi-siècle. Nous ne sommes pas sûrs que les films de Russ Meyer, thuriféraires des fortes poitrines, reçoivent encore un accueil chaleureux. Et pourtant le réalisateur américain, ancien photographe de Playboy se voyait comme un féministe et non pas comme un affreux misogyne. « Ces femmes sont belles, et je me vante d’avoir influencé l’idéal esthétique féminin chez l’Américain. D’autre part, mes femmes sont libres. Erica Gavin dans Vixen, par exemple, était aussi agressive que voluptueuse ; c’est elle le personnage dominateur du film, et cela a plu aux femmes ». Prenez donc votre ticket car, dans la file d’attente, il y a du beau monde au balcon : Samuel Fuller, Hugh Hudson, Anthony Perkins, Ennio Morricone, Coppola et même Chabrol déclarant « Les bouquins de Simenon sont des mines pour scénarios »

Des moments de cinéma de François Guérif, aux éditions La Grange Batelière

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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