Laissons de côté les abus de pouvoir commis par ces deux pouvoirs légitimes, séparés et indépendants que sont les médias et la justice. Rappelons simplement qu’il y a abus de pouvoir des pouvoirs légitimes quand ceux-ci s’exercent sans tenir compte de leurs conséquences, sans reculer devant l’énorme disproportion entre les fautes présumées d’un candidat et la mise à mal de la délibération démocratique dans une élection dont dépend l’avenir du pays, et donc aussi de l’Europe. Le mal est fait. Du fait des abus de pouvoir des médias et de la justice, il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française.
Deux options possibles
Le choix démocratique de notre avenir exige donc que le programme de Fillon redevienne audible, face à ceux de Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, car c’est au croisement de ces trois voies que notre pays se trouve. Nul autre que Fillon ne peut sauver son programme en le rendant audible. Que peut-il faire? Deux choses, au choix.
Soit il passe le relais à quelqu’un d’autre, qu’il désigne lui-même comme étant le plus apte à faire gagner le programme de leur famille politique. Il peut même imiter Bayrou et poser ses conditions, afin que l’essentiel de ce qui lui a fait gagner la primaire soit préservé. C’est-à-dire ce qui le distingue le plus fortement du programme de Macron.
Soit, mais c’est là un sacrifice infiniment plus sacrificiel, il se met à nu, reconnaît l’exactitude matérielle des faits qu’on lui reproche, admet qu’il a mis les doigts dans le pot de confiture des deniers publics, condamne et regrette cette faute morale, et assure qu’il est prêt à être jugé dès que l’intérêt supérieur du pays le permettra, c’est-à-dire en temps utile pour que la justice et l’intérêt supérieur du pays n’entrent pas en conflit.
Abandonner le mythe gaullien
Il pourra alors, et alors seulement, rappeler sans être taxé de cynisme que les fautes qu’il a commises ne sont pas des crimes qui le rendraient indigne d’exercer le pouvoir suprême, et qu’il y a une disproportion scandaleuse entre les indélicatesses qui lui sont reprochées et l’entrave au bon déroulement de la campagne électorale qui va décider de l’avenir du pays.
Cette conversion de François Fillon exigerait qu’il abandonne la mythologie gaullienne de l’élection présidentielle comme rencontre entre le peuple et un homme d’exception, un homme incorruptible et insoupçonnable, bref, un grand homme comme l’Histoire en fait surgir dans les grandes occasions. La vérité démocratique et non mythologique est qu’un peuple fait preuve de maturité et de prudence quand il se choisit en toute sobriété un dirigeant lucide et résolu, sur un CDD, et non un homme providentiel auquel il se donne dans un élan mystique. François Fillon pourrait même surprendre son monde, en reprenant à son compte ce que Brecht fait dire à Galilée : « Malheureux le pays qui a besoin de héros. »
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