Le député François Cornut-Gentille (LR) est coauteur du rapport sur l’évaluation des politiques publiques en Seine-Saint-Denis de mai 2018. Il répond à nos questions dans le dossier que nous consacrons à ce département dans notre magazine Causeur de mai.
Causeur. Votre rapport a deux ans, il pointait de graves anomalies. Où en est aujourd’hui le 93 ?
François Cornut-Gentille. J’aimerais le savoir. J’avais commencé les auditions d’un rapport de suivi, elles ont été interrompues par le Covid. Elles reprendront en septembre, si possible. Le gouvernement s’est appuyé sur nos observations de mai 2018 pour formuler 23 mesures, dévoilées en octobre 2019. La plus médiatique était la prime de 10 000 euros pour les fonctionnaires qui resteraient plus de cinq ans dans le département.
On en est là…
Oui.
Cette prime n’est pas encore mise en œuvre, au demeurant.
La Seine-Saint-Denis a-t-elle seulement besoin de moyens supplémentaires ?
C’est un aspect du problème.
À l’été 2017, le tribunal d’instance d’Aubervilliers s’est retrouvé face à une pénurie de personnel dramatique : la directrice du greffe, deux greffiers et trois adjoints ont quitté le tribunal sans être remplacés. Il restait deux magistrats et trois administratifs. Néanmoins, la demande d’argent et de personnel cache aussi un certain désarroi. C’est à peu près la seule revendication des syndicats, mais les enseignants et les policiers avec lesquels j’ai parlé doutent que le salut passe seulement par les budgets. Pour que les fonctionnaires aient envie de rester, il faut aussi que leurs missions soient correctement définies. Je crois que l’État, aujourd’hui, fonctionne très mal, partout, et que la Seine-Saint-Denis est un miroir grossissant. Des problèmes qu’on peut faire semblant de ne pas voir ailleurs y deviennent tellement embarrassants qu’il est impossible de les ignorer.
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Lesquels, par exemple ?
L’Éducation nationale ne connaît pas bien le niveau réel des élèves, d’une manière générale. Il est manifestement très bas dans beaucoup d’établissements de Seine-Saint-Denis. Il y a aussi la question du nombre réel d’habitants – inconnu ! Les représentants de l’Insee que nous avons auditionnés à l’Assemblée ont assez mal pris nos appréciations, mais je les maintiens : leurs outils ne permettent pas d’estimer la population du 93. Les étrangers en situation irrégulière seraient 150 000, ou 250 000, ou 400 000, on ne sait pas très bien [à ajouter à 1,65 million de personnes officiellement recensées, ndlr]. Comment voulez-vous organiser des politiques publiques, avec de telles marges d’erreur sur une donnée essentielle ? Sans oublier la criminalité. La direction départementale des finances publiques de Seine-Saint-Denis n’a pas reçu d’instructions particulières pour appréhender l’économie souterraine. Sachant que des enquêtes ont permis d’évaluer à 70 000 euros le chiffre d’affaires quotidien des dealers d’une seule cité marseillaise (La Castellane), c’est… regrettable.
Comment en sortir ?
Tout le monde a des idées pour la Seine-Saint-Denis. C’est la course aux solutions pour régler des problèmes qui n’ont pas été assez mesurés. Il faut continuer le diagnostic. Ma certitude, à ce stade, est que l’État est à la fois le problème et la solution.
Il faudra inventer de nouveaux services publics, pas seulement pour ce département.