Ce grand escogriffe fait toujours parler de lui. D’habitude, on entend, chaque mois, son nom prononcé par Pascal Praud (président de son fan-club) à l’antenne de CNews. À chaque arrivage de la revue Service Littéraire, le journaliste télé se délecte de la prose vacharde et carnassière de François Cérésa, fondateur du seul mensuel irrévérencieux consacré aux livres, vendu en France libre et écrit par des non-alignés.
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Cet écrivain-là ne respecte donc rien, ni les limitations de vitesse, ni la bienséance malsaine du milieu des lettres. Il écrit haut et droit, dru et nostalgique, cherchant à faire rire les copains et à blesser les salisseurs de mémoire, embarquant avec lui, les anars et les amoureux du style « Grand siècle ». Il est l’un des derniers journalistes, pourfendeur de la connerie ambiante, réac au cœur tendre, à foncer, sabre au clair, dans la mélasse et à y perdre souvent des plumes.
Une forte tête
Notre société policée, celle de la langue morte et de la moraline en tube, a horreur des fortes têtes qui mettent le doigt sur nos faiblesses et nos renoncements. C’est un fait établi, nous avons renoncé collectivement aux romans portés par un style jouissif pour nous laisser envahir, peu à peu, par une littérature du « mini-moi » boursouflé. Cérésa s’attaque aux fausses valeurs de notre temps, avec une hargne salutaire, sans jamais oublier, d’amuser son public par l’utilisation de l’argot et du bon mot taquin, de la phrase bien balancée et de la pique sauvage. Ce type-là se permet tout. Sa geste flamboyante et désespérée devrait être enseignée dans les écoles de journalisme. On y gagnerait en qualité et en lucidité. Ce moraliste a fait ses classes chez Boudard et Nucéra, il a aussi appris à écrire sur les fortifs, du côté de Simonin. Mais le classer parmi les argotiques et les bistrotiers serait une grave erreur d’analyse. Ce vaillant hussard, longtemps établi au Nouvel Observateur, fait le pont entre la littérature populiste et les princes du stylo-plume, entre Fallet et Morand, entre A.D.G et Giono, entre Villon et Aragon.
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De son ancien maître, Maurice Druon, il aura hérité de cette posture d’aristocrate bougon qui manque tant à nos écrivains souffreteux et de cette mauvaise foi délicieusement française qui anime les dîners en ville. Cérésa, l’esprit en alerte, la vanne prête à être dégainée, possède également la générosité des mammas italiennes qui mettent trop de plats sur la table pendant les fêtes de fin d’année. Chez lui, le trop-plein est un signe de vitalité intellectuelle et de connivence. Il n’a pas la prétention des ascétiques qui dévitalisent les mots. Cérésa déborde, inventeur de formules pétaradantes, il cherche perpétuellement à faire jaillir sa prose par la farce ou la force du trait. Cette silhouette familière de la rive gauche, les femmes se retournent quand elles l’aperçoivent sur le boulevard Saint-Germain, qu’il porte une redingote ou un blouson d’aviateur, fait son petit effet. Le bonhomme fut, entre autres, mannequin durant sa jeunesse ! C’est autrement plus fortiche qu’une banale agrégation en poche.
Un talent protéiforme
Il suffit de se balader à ses côtés pour constater son légendaire magnétisme. Chantre des Trente Glorieuses et de l’œuvre hugolienne, Cérésa a beaucoup écrit depuis les années 1980 dans tous les registres : le roman historique, le polar traquenard, le sentimentalisme écorché, la piété filiale, les amitiés sur le zinc, les souvenirs de vacances, la tortore ou sa chère Bourgogne. Jeudi dernier, sous la Coupole, l’Académie française a salué, ce talent que l’on qualifierait aujourd’hui de protéiforme, en lui décernant le Grand Prix Michel Déon qui s’attache à honorer « le style et la liberté d’esprit ». Esprit et liberté, deux mots qui vont si bien ensemble et qui lui collent à la peau. Gloire à lui et longue vie littéraire !
Pour ceux qui n’auraient pas eu la chance de croiser cette plume ferrailleuse, je vous conseille de vous abonner à Service Littéraire et de lire cet énergumène, notamment le merveilleux Mon ami, cet inconnu (Pierre-Guillaume de Roux) ou Poupe (Éditions du Rocher). Cérésa excelle dans les outrances, mais il se révèle un auteur parfaitement délicat dans l’exploration des failles intimes.
Dernier livre paru « À un détail près » de François Cérésa – Écriture
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