Ancien gérant de la maison d’édition L’Âge d’Homme France, rédacteur en chef du magazine Éléments, auteur de La droite buissonnière, François Bousquet a co-fondé la Nouvelle librairie (11 rue de Médicis, Paris). Cette entreprise de refondation intellectuelle et littéraire de la droite n’a pas l’heur de plaire à la mouvance antifasciste, jamais avare de menaces. Entretien.
Daoud Boughezala. Ouverte cet été à deux pas de la Sorbonne, la Nouvelle librairie fait beaucoup parler d’elle. Certains annoncent le retour de « la droite des idées » au quartier latin (TV Libertés), d’autres montrent du doigt « une librairie d’extrême droite » (L’Express). Quel projet éditorial et idéologique poursuivez-vous ?
François Bousquet. On ne va pas se cacher derrière notre petit doigt, nous venons pour la plupart de la droite, mais une droite dépoussiérée, désembourgeoisée, défillonisée. Une droite qui n’est pas frappée d’hémiplégie partisane et ne se prive pas de nouer des dialogues avec tous les acteurs du renouveau intellectuel, de quelque bord qu’ils soient. Nous sommes pour les frontières territoriales, pas intellectuelles. La circulation des idées, voilà l’enjeu pour nous.
Qui fait profession de « penser » aujourd’hui dans les cercles officiels ? Une gérontocratie intellectuelle soixante-huitarde à l’encéphalogramme quasi plat, la « pensée gramophone », comme disait George Orwell, vouée à ressasser jusqu’à la nausée les mantras du « vivre-ensemble ». On assiste à la fin d’un cycle idéologique, le demi-siècle libéral-libertaire ouvert en 1968. Toutes les idées nouvelles depuis des années viennent de notre camp : la critique de l’immigration, la défense des identités locales, le recours au peuple, etc. Nos lecteurs doivent pouvoir tout trouver chez nous des ouvrages publiés chez des éditeurs confidentiels, comme des classiques. Il s’agit de proposer tous les auteurs, contemporains ou non, souvent inclassables, qui sortent de la pensée unique et nous aident à appréhender les enjeux de demain. La Nouvelle librairie sera par ailleurs un lieu de débats et de rencontres, avec un vaste programme de signatures.
Il n’y a évidemment aujourd’hui en 2018 aucun péril fasciste.
Cette invitation au débat ne fait pas que des heureux. En plein procès Méric, des militants antifas vous ont rendu une petite visite assez peu courtoise. Ont-ils menacé La Nouvelle librairie et ses employés ? La violence antifasciste est-elle aujourd’hui inversement proportionnelle à la réalité du péril fasciste ?
Oui. À la suite de la parution d’un papier dans L’Express qui nous désigne nommément à l’attention des milices « antifas », la façade de la librairie a été dégradée, la nuit même où le papier est sorti, et le lendemain, une bande se réclamant de la mouvance des « antifas » est venue nous menacer physiquement dans la librairie. Cela nous a conduit à déposer plainte auprès de la police. Et notre avocat, Me Frédéric Pichon, a mis en demeure L’Express de supprimer le passage litigieux, où, selon nous, le journaliste transforme la librairie en cible potentielle. Étrange coïncidence ou simple alignement des planètes entre le journaliste et l’antifa ? Alors que le premier dénoncerait, le second menacerait ? À voir. Dans tous les cas, les nervis de l’extrême gauche semblent avoir, au vu du sentiment de quasi-impunité qui les habite, le monopole de la violence dans les rues du Quartier latin et d’ailleurs ! Tout cela est ridicule. Il n’y a évidemment aujourd’hui en 2018 aucun péril fasciste. L’indéfinition même du mot et sa généralisation abusive en dévaluent de toute façon la portée. Le « fascisme » n’est plus qu’un film d’horreur à grand spectacle que les « antifas » aiment à se repasser pour se faire peur à bon compte, entre le vampire et le loup-garou. La marque de la Bête. Un tortionnaire fasciste est fasciste. Un tortionnaire indéterminé est fasciste. Un tortionnaire communiste est fasciste. En somme, tout est fasciste, même les Schtroumpfs. C’est la schtroumpfisation du fascisme. La même chose vaut pour le syntagme « extrême droite ».
Nous soutenons des auteurs qui nous tiennent à cœur, comme les romanciers Olivier Maulin, Patrice Jean, Zakhar Prilepine,
Longtemps engagé au côté du grand éditeur Vladimir Dimitrijevic, fondateur de L’Âge d’homme, reléguez-vous désormais la littérature au second rang derrière la politique et les sciences sociales ?
Pas du tout ! La littérature est au cœur même de notre projet. S’il n’en avait tenu qu’à nous et pour peu que nous traversions des âges moins ténébreux, vous nous trouveriez avec un livre de Dostoïevski ou de Balzac à la main. Notre ambition est de proposer à nos lecteurs un grand choix de textes littéraires, classiques ou contemporains. Nous avons de beaux rayons Céline, Jünger, Bernanos, les grands auteurs de la « NRF » du XXe siècle, etc. Et, pour le neuf, nous soutenons des auteurs qui nous tiennent à cœur, comme les romanciers Olivier Maulin, Patrice Jean, Zakhar Prilepine, la voix la plus puissante de la nouvelle littérature russe. Par ailleurs, nous restons constamment attentifs aux demandes de nos lecteurs, et complétons chaque jour nos rayons avec leurs suggestions. Si un beau texte de littérature nous a échappé, nous serons heureux de le valoriser.
Des gens comme Jean-Christophe Cambadélis ont pu dire que la Nouvelle Droite a gagné le combat des idées.
Sous l’autorité intellectuelle d’Alain de Benoist, la Nouvelle droite, dont est issu le magazine Éléments, a lu et réinterprété Gramsci depuis quarante ans afin de mener une guerre culturelle. Aujourd’hui qu’émergent dans le débat public des questions naguère taboues comme l’immigration, le droit à la différence culturelle ou la remigration, avez-vous gagné la bataille des idées ?
Le combat des idées est une guerre au long cours, il est loin d’être gagné, même si des gens comme Jean-Christophe Cambadélis ont pu dire que la Nouvelle Droite a gagné le combat des idées. L’hommage du vice à la vertu en quelque sorte. Il y a incontestablement une implosion de la pensée unique, et l’apparition de nouveaux clivages. Il faut bien évidemment s’en réjouir, mais nous n’en avons pas pour autant fini. Tous les auteurs qui élèvent aujourd’hui le niveau du débat politique auraient été autrefois inclassables ou inaudibles. La Nouvelle librairie vise précisément à valoriser ces auteurs, à être le laboratoire des idées de demain : l’enracinement, l’identité.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !