Accueil Culture « La droite a proclamé sa victoire culturelle un peu vite! »

« La droite a proclamé sa victoire culturelle un peu vite! »

Entretien avec François Bousquet


« La droite a proclamé sa victoire culturelle un peu vite! »
François Bousquet (à gauche) répond aux questions de Daoud Boughezala (à droite). Image: capture d'écran RNR.TV

Daoud Boughezala reçoit François Bousquet, rédacteur en chef de la revue Eléments et directeur de la Nouvelle Librairie à Paris. Il est venu présenter sur REACnROLL son dernier ouvrage: Courage, manuel de guérilla culturelle.


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Daoud Boughezala. Depuis quelques années, la droite intellectuelle a proclamé sa victoire culturelle. Dans votre livre Courage ! Manuel de guérilla culturelle, vous dites finalement « Où en sommes-nous aujourd’hui ? Plus rien ». Nous aurait-on menti?

François Bousquet. Je ne suis pas sûr. Dans un livre consacré à Patrick Buisson, il m’est arrivé moi-même de développer l’idée que nous avions avancé des pions dans la foulée de la Manif pour tous. Et en tout cas, depuis 2005-2007, quand Buisson impose de nouveaux éléments de langage dans l’agenda politique – en particulier l’identité – il ouvre beaucoup de portes. L’identité, ce terme-là, était un interdit. Tout à coup, il est porté par le candidat du principal parti, et qui va se faire élire. Depuis dix ans, nous avons effectivement tendance à penser que nous avons beaucoup avancé, que nous avons peut-être même gagné ce combat culturel, en nous appuyant notamment sur Zemmour, car c’est un blockbuster: 200 000 exemplaires, 500 000 pour certains de ses livres! Mais regardons aussi ce que produit Le Seuil, Patrick Boucheron c’est plus de 100 000 exemplaires, Stéphane Hessel c’est 300 ou 400 000. Il y a quantité d’auteurs à gauche qui sont vendus à 500 000, un million ou sont traduits dans 20 pays.

Je crois qu’on a été un peu vite, moi le premier. J’ai toujours en tête les professeurs qui étaient les miens dans les années 80, j’étais alors étudiant en Lettres modernes à la Sorbonne. Quand j’arrive à la Sorbonne, l’ancien patron de l’UFR (département de Lettres) qui s’occupe du cours de civilisation française – la chaire la plus prestigieuse – c’est Jacques Robichez. Il est alors président du comité scientifique du Front National, ça ne dérange personne. J’assiste aux cours de Claude Polin et Claude Rousseau, de vieux anticommunistes, deux philosophes brillants encartés au Front national, idem, cela ne dérange personne.

Pourtant on est alors en pleine guerre froide, dans une époque beaucoup plus idéologisée qu’aujourd’hui….

En tout cas, une époque où il y avait un gauchisme non-culturel, il y avait encore vraiment des communistes.

Alain de Benoist a reçu le prix de l’Académie française (1978) pour Vu de droite, Jules Monnerot qui vient du Collège de sociologie, proche de l’univers de Bataille, de Michel Leiris – un immense sociologue-, appelle à voter Front national. Cela n’est plus concevable. Aujourd’hui, une situation similaire est inenvisageable: un prof de Paris IV qui serait apparenté de près ou même de très très loin au Rassemblement national se ferait houspiller et lyncher dans la minute si on l’apprenait. (…) Tous ces gens-là sortaient de la guerre, ils savaient que les choses étaient beaucoup plus complexes, que les rôles n’étaient pas aussi clivés, aussi tranchés. Je pense qu’on a un petit peu reculé. On se repose sur nos lauriers. Depuis une dizaine d’années, il y a certes un frémissement. De fait, la Manif pour tous a fécondé une nouvelle génération d’intellectuels plutôt conservateurs, mais pas populistes. Ce qui distingue le populiste du conservateur, c’est que le populiste fait le pari du peuple contre les élites alors que le conservateur, de façon rigoureusement inverse, joue les élites contre le peuple. Populistes et conservateurs sont ainsi assez difficiles à accorder, mais pour autant il y a quelque chose qui est en train de se produire. En face, il y a une hystérisation du système, il y a une crispation fascinante.

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Beaucoup de sino-américains comparent la situation des campus américains sur le genre, sur l’indigénisme, sur l’intersectionnalité, à ce qui se passait lors de la révolution culturelle. Cela devient aussi ubuesque, regardez les affaires de « blackface », les chasses à l’homme…

Dernièrement à Lille, l’incident autour de François Hollande est surréaliste, ça rappelle un tout petit peu les épisodes maoïstes où les mandarins étaient lynchés dans la rue. Alors évidemment, à l’époque ils étaient ruralisés en Mandchourie intérieure, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, on est simplement blacklisté.

Désormais, le garde rouge est en chacun de nous, ou en chacun d’eux…

En chacun des gauchistes culturels quels qu’ils soient. Ils sont un peu intersectionnels, un peu noirs, un peu musulmans, un peu « genrés » et un peu féministes. Mais leur système se crispe de plus en plus, est-ce parce qu’il touche à sa fin? J’ai pris l’habitude de dire qu’après le temps des théologiens et des philosophes vient le temps des inquisiteurs. On a des inquisiteurs, mais surtout des exorcistes, vade retro satanas. Je n’ai pas le temps de m’asseoir souvent sur un plateau médiatique sans que le point Godwin ne soit atteint au bout de quelques instants…

Est-ce que cette crispation est le signe que le système faiblit, et donc se rétracte? C’est très certainement le cas si je m’en tiens aux légions d’inquisiteurs et d’exorcistes qui nous font la leçon du matin au soir, mais ne crions pas victoire. Vous connaissez le mot de Paul Reynaud en 39, « Nous allons gagner parce que nous sommes les plus forts… » Non, en face ils sont très forts.

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