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Quatre ans après le drame de Notre-Dame, que bâtissons-nous?

« Les feux de Notre-Dame » de François Bert (Edelweiss RH, 2021)


Quatre ans après le drame de Notre-Dame, que bâtissons-nous?
Incendie de Notre-Dame le 15 avril 2019 © Diana Ayanna/AP/SIPA

Nous vivons dans une époque où la terrible émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale avait été décrite comme un « truc de blancs » par des syndicalistes étudiants. Un roman, de François Bert, permet de prolonger la réflexion sur cette dignité collective perdue alors que la société s’effondre…


Quatre ans, déjà ! Quatre ans, seulement, et il semble que cela remonte à une autre époque, à un autre monde. C’était la France d’avant : avant les auto-attestations de sortie et les biens non essentiels, avant l’inflation démentielle pour rembourser le « quoi qu’il en coûte », avant que les Ukrainiens soient pris doublement en otage par les manigances américaines et la brutalité russe, avant la réélection d’Emmanuel Macron grâce au soutien « républicain » de ceux qui en appellent à présent à la foule contre l’Etat, et affirmaient à l’époque « faire barrage » à ceux qui, aujourd’hui, sont les seuls à respecter à la fois la légalité des institutions et la légitimité de la volonté du peuple. La France d’avant.

C’est le temps présent qui est «obscur»!

Qui s’en soucie encore ? Nous avons d’autres préoccupations, les retraites, le pouvoir d’achat, l’insécurité galopante, l’invasion de fait de Mayotte par les Comores, la mort programmée du sport féminin assassiné par l’activisme trans, l’influence croissante des Frères Musulmans qui gangrène les institutions européennes, le Fonds Marianne, et j’en passe.

Peut-être devrions-nous nous souvenir que ceux qui ont bâti Notre-Dame de Paris avaient, eux aussi, d’autres soucis. La longue guerre entre Capétiens et Plantagenêts, plusieurs croisades dont celle contre les Albigeois – mais aussi l’instauration de la présomption d’innocence par Saint Louis : « nul ne sera privé de son droit sans faute reconnue et sans procès », l’époque fut loin de l’âge de ténèbres que certains ont voulu peindre par la suite.

Oui, les bâtisseurs de cathédrales avaient bien d’autres soucis. Et pourtant. A part quelques barbares qui voudraient raser Versailles, et ceux que la haine de la France pousse à considérer qu’il s’agit juste « d’un truc de Blancs », nous sommes nombreux à éprouver une immense gratitude envers ces hommes et ces femmes qui jadis, malgré leurs soucis, ont pris la peine de bâtir des merveilles.

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Quatre ans plus tard, repenser à l’incendie de Notre-Dame nous oblige à nous interroger. Nous-mêmes, que bâtissons-nous qui mériterait de survivre aux flammes, aux guerres et au passage des siècles, d’être transmis et d’être préservé ? Où est l’accessoire, où est l’essentiel ? Céline Pina a traité cette question dans un livre, Les biens essentiels. La violoniste Zhang Zhang appelle tous ceux qui le peuvent à créer de la beauté. Et François Bert, à sa manière, l’aborde aussi dans un roman, Les feux de Notre-Dame.

Crise de sens

Paru en 2021, il lui a donc fallu deux ans pour mûrir. Deux ans de plus ont permis à notre regard de lecteurs de mûrir à son tour, et il semble que cet (excellent) ouvrage soit plus encore d’actualité aujourd’hui qu’à sa sortie. Ainsi du manque de motivation généralisé au travail, que constatent à peu près toutes les professions, et qu’on attribue sans doute trop vite aux seules conséquences du confinement. « Je me demande parfois, quand je vois la crise de sens que traverse notre institution, quelle est la part que joue la coupure que nous avons avec les sources de notre Histoire. »

Je n’en déflorerai pas l’intrigue. Sachez simplement qu’à travers ses personnages elle parle de nous, « foule qui passait avec indifférence devant le monument et qui sait maintenant combien elle y tient. » C’est comme toujours l’un des mérites de François Bert : on peut le lire pour se divertir, mais on se surprendra inévitablement, au fil des pages, à réfléchir, à penser, à prendre conscience. A redevenir conscients de ces choses précieuses que nous ne prenions plus la peine de regarder.


Il est question du sacré devenu consommable, du refuge dans la jouissance lorsqu’on ne parvient plus à aimer, de la différence entre un don véritable et une obligation que l’on remplit pour se donner à soi-même quelque chose à faire, mais aussi de retrouver la possibilité d’aimer, de pardonner…. et d’une statue. Rien de mièvre, bien au contraire, mais le courage de choisir l’incertitude de l’espérance plutôt que les certitudes de l’abandon. Il y a des portraits d’une intense vérité, et d’une profonde humanité. Là encore, c’est une des grandes qualités de l’auteur : saisir en quelques lignes la vérité d’un être sans jamais en faire une caricature, dépeindre un caractère tout en révélant ce qui fait sa singularité, sa complexité, son irremplaçable et précieuse individualité.

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Et il y a un hommage, comme un trait d’union entre les pompiers de Notre-Dame et les forces de l’ordre bien malmenées (et parfois mal employées) ces derniers temps. Il pourrait aussi s’appliquer aux Armées, et à une très grande partie de nos services publics, et même des citoyens dès lors qu’ils se soucient du bien commun et « de la plus grande des noblesses, celle du service » – on se souvient de Cicéron écrivant, bien avant que soit posée la première pierre de Notre-Dame : « il y a plus de grandeur à se montrer utile à tous qu’à disposer d’un immense pouvoir, ou du moins est-on ainsi plus digne de respect et d’amour. »

À quoi bon?

« Le sens manque parfois quand on les sollicite pour des motifs dérisoires et, surtout, quand la brutalité imbécile ou militante de certaines bandes de quartier s’abat sur eux par surprise au cours d’interventions. Risquer sa vie pour sauver, cela fait partie du contrat, mais pour l’aléa capricieux de hordes jamais éduquées, que l’Etat ne cherche pas assez à corriger, cela n’est pas tolérable. Peut-on se donner sans limite si celui qui nous emploie ne nous protège pas, du moins se laisse diluer dans une culture de l’excuse qui cherche davantage à comprendre le malfaisant qu’à empêcher son méfait ? Cette absence de courage des grands chefs les scandalise. Et, quand arrive le soir, à l’heure de se détendre, les poings de la colère restent longtemps serrés. Démuni, l’esprit reporte ou enfouit la sempiternelle question : à quoi bon ? (….)

Qu’est-ce qu’un pays qui renie à ce point ses héros au profit des violents sans scrupules ? Faut-il, comme les médias semblent l’encourager, s’inventer une honte, une oppression, une persécution par héritage pour accaparer l’attention ?

Ils ne cherchent pas la gloire, quoi qu’elle serait légitime, ils cherchent à être à leur juste place dans l’édifice collectif, recevant la reconnaissance de ceux qu’ils secourent et suscitant un désir d’imitation chez les plus somnolents. L’aristocratie de la complainte n’est pas seulement pour eux une énormité, elle est surtout un cadre de fonctionnement collectif qui prive de leurs moissons le courage et l’héroïsme auxquels ils consentent. »

La critique, à la fois politique et sociale, a deux ans, et elle est hélas encore pertinente, et même chaque jour un peu plus. Mais le plus important n’est pas là.

Car le livre de François Bert parle avant tout de dignité humaine, de dignité malgré les blessures, malgré les fautes commises, et de dignité retrouvée, malgré les cathédrales qui brûlent et les sociétés qui s’effondrent. Il parle de ce qui compte vraiment, de ce qui demeure, et d’un cheminement qui est une initiation, entre le moment où « après avoir tout tenté, impuissant, je pleurais » et celui où « l’âme sent le ciel à sa dimension. »

Et c’est en cela, surtout, qu’il est et sera toujours d’actualité.

Les feux de Notre-Dame de François Bert (Edelweiss RH, 2021), 114 pages.

Les feux de Notre-Dame

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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