Emmanuel Macron a récemment souhaité que le Conseil national de la refondation, installé à partir du 8 septembre, s’appuie sur les études diligentées par le Haut-commissariat au Plan. Même si le maire de Pau œuvre bien sûr pour sa propre pomme, il entame cette semaine dans le Point le nouveau storytelling du président de la République. Il y vante les mérites à venir des élites au pouvoir face à un peuple de Français ingouvernable et les prétendues pénuries énergétiques…
On s’en souvient : d’abord depuis Bormes-les-Mimosas, entre deux virées en jet-ski puis mercredi, en préambule au Conseil des ministres, notre Déplorant de la République en a appelé aux mânes de de Gaulle et à celles de Churchill. Il s’agissait d’exhorter les Français à subir sans broncher les temps mauvais à venir auxquels la politique menée lors de son premier quinquennat a contribué à nous à conduire sûrement. Délaissant ensuite la tragédie pour la comédie, notre Frétillant s’en est allé en Algérie pour engager un partenariat numérique et cinématographique entre « nos jeunesses », résolu à faire oublier enfin le souvenir de la colonisation et celui de la « guerre de libération » (selon ses propres termes). Jamais à court de bonnes idées, il s’est proposé enfin d’organiser un match de foot visant à célébrer la réconciliation entre nos deux pays.
Avec tout ça, j’ai failli en oublier « La Voix de son Maître », ou plutôt, pour rester littéraire, la nymphe Écho : à savoir François Bayrou, le perroquet non pas de Flaubert mais, de Macron. Heureusement qu’on m’a obligeamment rappelé l’interview que le Béarnais vient de donner au Point sinon, je passais à côté. Dans l’hebdomadaire, le maire de Pau s’est évertué à dupliquer la grave parole présidentielle comme pour la lester davantage, au cas où nous serions un peu durs de la feuille : « Mon sentiment profond est que nous allons vers la crise la plus grave que la France ait connu depuis la guerre, peut-être pire même que la guerre d’Algérie ». Parce qu’une fois de plus, lire c’est lier, la prédiction de l’Apocalypse selon Saint Bayrou va me conduire à montrer qu’en Macronie au pays du « en même temps », Écho-Bayrou, c’est potentiellement aussi le Narcisse du Britannicus de Racine, perfide confident de Néron qui n’est pas sans rappeler, lui, du reste, Emmanuel Macron.
On se souvient qu’Écho était une nymphe qui ne pouvait plus se servir de sa voix sauf pour répéter les derniers mots entendus. Elle avait été punie par Héra, l’épouse de Zeus, parce qu’elle lui avait raconté d’interminables carabistouilles pour faire diversion pendant que Zeus séduisait d’autres nymphes. Malheureusement pour elle, Écho tomba amoureuse de Narcisse qui la délaissa. (Comme le fit notre Emmanuel Macron avec François Bayrou qui lui préféra, au début du premier quinquennat, Édouard Philippe comme Premier ministre). Le cœur brisé, Écho se laissa dépérir, jusqu’ à ce qu’il ne restât d’elle que sa voix. Naquit ainsi le phénomène d’écho. Or la parole de Bayrou fait bien écho à celle de notre Désespérant de la République.
On se rappelle : le patron du MoDem, trois fois candidat à la présidentielle apporta à Emmanuel Macron les voix nécessaires pour sa victoire en 2017. Notre Triomphant dédaigneux ne le fit pourtant que haut-commissaire au Plan, après un passage éclair comme garde des Sceaux. Le poste ne fut, du reste, créé qu’en 2020, or le maire de Pau se voyait Premier ministre à l’issue des élections. Depuis 2020 donc, Bayrou anime et coordonne les travaux de réflexion prospective conduits pour le compte de l’État. Il lui incombe également d’éclairer les choix des pouvoirs publics sur les enjeux démographique, économique, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturel. Emmanuel Macron a récemment souhaité que le Conseil national de la refondation, installé à partir du 8 septembre, s’appuie sur les études diligentées par le Haut-commissariat au Plan.
Le retour en grâce de François Bayrou est ainsi acté. C’est pourquoi il se prépare à jouer un rôle-clé dans la relance présidentielle. On prend les mêmes et on recommence. Dans ce but, il se fait le héraut comme l’écho d’une Apocalypse que seules les docilités conjuguées du peuple et de l’Assemblée nationale pourraient conjurer. Dans les colonnes du Point qu’il prend pour le temple de Delphes, la Pythie-Bayrou délivre son oracle : « Je ne crois pas qu’une telle crise puisse être surmontée sans un immense effort national. Or l’idée même d’effort national semble souvent s’être effacée. (…) la sécession de ces Français qui ne se reconnaissent pas dans les institutions (…) va à l’encontre de la prise de conscience qui devrait nous souder dans l’effort à venir ». Et il poursuit, évoquant la fête du slip à l’Assemblée nationale : « J’ai parfois l’impression que le monde politique lui-même ne se rend pas compte de ce qui vient, vu les insultes qui polluent les débats à l’Assemblée nationale ». Je résume : on peut s’en sortir, mais il va falloir obéir.
Interrogé ensuite sur l’écologie, l’un des sujets de la rentrée, le maire de Pau noie… le poisson : « (…) le nucléaire fait de la France le pays où la production électrique émet le moins de gaz à effet de serre. » Au sujet de la biodiversité, il précise : « (…) cela commence par la qualité des sols : notre science agronomique a compté parmi les plus avancées au monde. Paysans et chercheurs doivent s’y remettre ensemble. » Intarissable, comme il convient en pareil sujet, il évoque ensuite laquestion de l’eau : « (…) la clé, c’est la régulation, on le sait depuis l’Égypte ancienne. (…) Retenir l’eau quand il y en a trop pour éviter les catastrophes, la relâcher quand il n’y en a pas assez (…) Il va falloir réapprendre. » Tout un programme, en effet.
Alors qu’on lui demande si nommer Pap Ndiaye à l’Éducation nationale est un bon choix, François Bayrou répond : « C’est un espoir. Il y avait une rupture très profonde entre les salles des profs et la rue de Grenelle. » Et Judas de poursuivre : « Cela me fait d’autant mal au cœur que Jean-Michel Blanquer a eu deux années impeccables. » À propos de Pap Ndiaye, il poursuit : « (…) il a le sentiment des minorités. Il a donc le profil d’un réconciliateur. »
Sur l’argent magique sur lequel on le questionne encore, il poursuit gravement : « Il n’y a jamais eu d’argent magique, et il n’y en aura pas. À certains moments, la question est celle de la survie d’un pays, de ses entreprises, de ses familles. »
Interrogé enfin sur un Emmanuel Macron susceptible de laisser filer les déficits, sachant que dans quatre ans il ne sera plus au pouvoir, François Bayrou précise : « Depuis que je le connais et que j’échange avec lui, son obsession c’est le futur (…) Je sais qu’il n’éludera aucune des questions cruciales. » Aux yeux de notre prophète béarnais, « la question la plus brûlante, la plus cruciale, c’est d’inventer, de formuler, de préciser ce que devra être le nouveau modèle français. » L’orchestre est donc motivé pour jouer longtemps, espérons juste que le Titanic n’est pas pressé.
Ainsi, l’homme de peu, pardon, l’homme de Pau est sur le point de voir sa fidélité indéfectible à notre Vacillant de la République récompensée. Peut-être se voit-il déjà à la place d’Élisabeth Borne ? Quand on lui demande s’il ne s’est jamais senti malmené par Emmanuel Macron, il précise, docte : « Je crois à des règles simples : la politique ce n’est pas du marchandage. Ou bien on s’impose par soi-même et on devient incontournable, ou bien on s’écrase pour obtenir un avantage, et les rapports de force vous marginalisent. » On peut aussi s’écraser et attendre patiemment son heure, mais bon… Interrogé sur la conduite qui devrait être celle du Premier ministre idéal, il lâche incidemment ces propos : « Nous sommes entrés dans une époque où le Premier ministre doit être proche du président, en phase avec lui et même complice, mais politique, plus indépendant et à l’initiative. » C’est tout lui, ça !
Nous y voilà ! Écho est devenu Narcisse, le confident calculateur de Néron qui dans Britannicus de Racine n’hésite pas à perdre Junie, Britannicus et Agrippine pour satisfaire sa soif de pouvoir. Voyons plutôt : poursuivant à propos de la fonction du Premier ministre et du choix d’Élisabeth Borne à ce poste, notre tartuffe palois précise, avec une fourberie qui n’a rien à envier à celle de Scapin : « Cette pratique nouvelle est à inventer. Je crois qu’Élisabeth Borne, intelligente et volontaire l’a compris et qu’elle expérimente la nécessité de cette mutation. » On ne peut alors s’empêcher de songer à Narcisse dans Britannicus (Acte II, scène 8), alors qu’il se dit en aparté :
NARCISSE, seul.
La fortune t’appelle une seconde fois,
Narcisse : voudrais-tu résister à sa voix ?
Suivons jusques au bout ses ordres favorables ;
Et pour nous rendre heureux, perdons les misérables.
Comme quoi, on peut tout à fait être Écho et Narcisse « en même temps ».