La découverte de centaines de milliers de vers d’un poète oublié dans son grenier n’est pas chose fréquente. C’est le trésor que recelait la propriété familiale de Ludovic de Parseval qui a ainsi exhumé la vie et l’œuvre de son aïeul, François-Auguste Parseval-Grandmaison, figure littéraire du XIXe siècle.
Il y a deux ans, Ludovic de Parseval m’écrivait à la suite d’un article publié sur mon blog et consacré à la littérature du Premier Empire. Il avait retrouvé dans un tiroir, fermé depuis sept générations, près de cent mille alexandrins originaux de son aïeul, François-Auguste Parseval-Grandmaison. Quel trésor ! car si l’on a certes oublié cet écrivain précurseur, poète impérial membre de l’Académie française, il participa cependant à la campagne d’Égypte, connut Napoléon, correspondit avec Victor Hugo, Delille, Lamartine et Chateaubriand (excusez du peu !). C’est bien l’une de ces cruelles injustices de l’histoire qu’il soit tombé hors de nos souvenirs.
C’est en vain qu’une maison d’édition à pignon sur rue s’intéresserait aujourd’hui au poète ; on remise les vieux livres au grenier comme les vieux meubles, où ils se déprécient. Cela seul eût suffi à décourager tout autre que mon cher correspondant de partager sa trouvaille au public ; heureusement, il est du parti de ces gardiens discrets de notre mémoire commune qui luttent comme des Poilus sur le front pour la sauvegarder : alors, passant outre les dédains des éditeurs, il poursuivit héroïquement son combat en réhabilitation de son ancêtre prestigieux. Mais peut-être que je noircis un peu trop l’époque ? Car il existe encore, Dieu merci, des organisations d’intérêt public chargées de sauvegarder les multiples méandres de notre histoire : je pense ici à la BnF (Parseval-Grandmaison était académicien) ainsi qu’à la Fondation Napoléon, dirigée par Thierry Lentz et présidée par Victor-André Masséna. C’est Pierre Branda en l’occurrence, directeur scientifique de la Fondation, qui accordait à Ludovic de Parseval l’honneur de quelques pages dans la revue de la Fondation, Napoleonica, afin de présenter son ancêtre retrouvé.
Ce travail titanesque pour un novice de non seulement présenter le poète, mais encore de le rétablir dans son contexte – celui du Premier Empire, pris entre l’enclume du classicisme et le marteau du romantisme –, pour le moins difficile en matière de littérature, mon correspondant, humaniste et curieux de tout, l’entreprenait aussitôt. Je l’appuyais de mon aide fort modestement, et, finalement, l’article paraissait au mois de juillet (consultable sur le site en accès libre).
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J’invite chaque passionné d’histoire et de littérature à lire ce grand article disponible en accès libre sur le site de la revue. Ludovic de Parseval décrit avec brio l’aventure qui le poussa à exhumer des vieux tiroirs du château familial les manuscrits inédits de l’académicien ; le lecteur y trouvera que le temps qui nous sépare de Napoléon n’est pas si lointain : le père de Ludovic a connu la petite-fille du poète ! Le lecteur découvrira aussi la vie épique de François-Auguste, né en 1759, rescapé de la Révolution (Le crime en uniforme, en bonnet, en moustache / Moissonnant les humains changeait la faux en hache), qui écrivit sur la chute de Robespierre, Philippe Auguste et la campagne d’Égypte (Et moi qui l’ai suivi, moi qui suis son poète…), passa par Suez, Londres et Paris, bien Français dans son genre se fit tenant du classicisme et conspua le romantisme, tout en composant des merveilles poétiques aux accents irrésistiblement… romantiques (Dans l’océan des airs au milieu des orages, / Nos âmes flotteront vers ces divins rivages / Et peut-être, à jamais unissant notre sort, / Sur le même vaisseau nous surgirons au port). Mais Lamartine n’avait-il pas reconnu lui-même dans Parseval un « précurseur » ? Le jeune Hugo, vainqueur futur d’Hernani, l’écoutait avidement, entouré de Vigny et de Lacretelle ! Le curieux lecteur enfin lira quelques vers inédits des chants sur la campagne d’Égypte : « Mais contre les mutins justement irrités, / Quel Français des tombeaux traverse la cité ? / C’est le vaillant Dupuy ! sa voix commande au Caire, / Intrépide au-devant de la horde sicaire ! », — puis pénétrera dans l’intimité du poète, en découvrant des extraits des mémoires de son fils aîné.
Si la publication de ce long article dans Napoleonica contribue à la réhabilitation de Parseval-Grandmaison dans notre mémoire collective, la quête en ressouvenance de l’Immortel est loin d’être achevée ; le Graal, bien entendu, serait une édition pour le grand public de ses œuvres dans une collection classique. Je sais que son descendant a déjà commencé à transcrire les vers : le travail est titanesque ! J’ai pu moi-même consulter les manuscrits : dans ces brouillons la ponctuation est inexistante, et les ratures anéantissent les pattes de mouche ; mais je connais maintenant la saine opiniâtreté de l’héritier du poète, son caractère infatigable et décidément curieux, et je ne doute plus que bientôt paraîtront des éditions salutaires des poésies parsevaliennes, venues de maisons mécènes consentant à bien vouloir faire perdurer la mémoire d’un temps glorieux pour la France.
« Le temps a passé, écrit dans son article Ludovic de Parseval ; sous une épaisse couche de sable, les mois, les années ont enseveli une œuvre complète, qui aurait mérité une édition de son temps. Le Poème de Bonaparte n’est qu’un aperçu. Tel un grand cru parmi les vieilles bouteilles qu’on exhume de la cave, dont on espère déguster la saveur bonifiée par les ans, tels ressurgissent les poèmes de Parseval-Grandmaison qu’on appréciera avec la même curiosité. Il faut pour s’en convaincre inciter le lecteur à leur redécouverte et rabattre un instant le faisceau lumineux sur ce pan méconnu de la littérature. »
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