Écrivain français aussi important que méconnu, François Augiéras est l’objet d’un numéro spécial de la revue Raskar Kapac. Entretien avec Maxime Dalle, le maître d’œuvre de ce dossier.
Gilles Brochard. Maxime Dalle, vous êtes un mousquetaire et le fer de lance d’une revue anti-conformiste qui met en avant des esprits libres, des écrivains ou des aventuriers en dehors des modes. Est-ce une ultime provocation de célébrer aujourd’hui François Augiéras, ce « fils de la lumière », comme vous le faites dans ce numéro hors-série de Raskar Kapac ?
Maxime Dalle. Si par « provocation », l’on entend « appel à inciter », alors oui, ce numéro est une provocation à découvrir l’œuvre d’Augiéras. Ce qui rend scandaleuse l’œuvre de ce périgourdin mystique, c’est sa dimension rimbaldienne. Augiéras est imprenable. Dans notre dossier, Christiane Rancé l’évoque à merveille : « Augiéras est archaïsant avec une volonté de destruction sauvage. Il n’est pas non plus récupérable par la gauche puisqu’il n’est ni un idéologue ni un petit-bourgeois ; son horizon est d’ailleurs plus proche du paganisme que du socialisme, sans qu’il n’ait rien d’un fasciste, car Augiéras ne se serait accommodé d’aucun ordre. Son homosexualité, enfin, est tellement transgressive qu’elle ne peut être brandie en exemple par quiconque. » Mais il règne toujours autour de cet antimoderne préhistorique, une odeur de soufre parce qu’Augiéras a refusé de vivre comme un Occidental repu. C’était un errant, un visionnaire qui souhaitait créer une nouvelle civilisation cosmique.
Quelle place tient-il aujourd’hui dans la littérature française et au-delà ? Est-il un réprouvé, un mystique sensuel ou un sage incompris, sans cesse à la recherche de l’homme nouveau ?
Augiéras demeure « un phare souterrain » pour reprendre les mots de Jean Chalon, son exécuteur testamentaire. Il n’est pas connu du grand public. Découvrir Augiéras, c’est se plonger dans sa grotte de Domme où il vécut jusqu’à la fin de sa courte vie. C’est aussi pérégriner avec lui sur le Mont Athos où il se cherche un destin d’anachorète profane, c’est marcher sur le sable du Sahara pour contempler un ciel étoilé… Augiéras est comme un cierge que l’on se passe en relais, de main en main. À sa suite se dégage une tribu de disciples bigarrés. Notre numéro de Raskar Kapac réunit quatorze plumes et pinceaux hétéroclites. L’on y trouve aussi bien le peintre catalan Miquel Barceló que Paul Placet, meilleur ami d’Augiéras, ou encore l’écrivain Stéphane Barsacq. Ce qui nous réunit tous, c’est la prose sublime de cet artiste exalté, son goût désintéressé pour la contemplation solitaire du monde.
Augiéras, druide troglodyte
Gilles Sebhan compare Augiéras à Tony Duvert dans leur complicité avec la nature. Était-il une sorte de dieu Pan ou un écologiste avant la lettre, toujours fasciné par les grottes et les cours d’eau, communiant avec les éléments, entre paganisme et aspiration vers le ciel ?
Augiéras est un païen mystique. Dans notre grand entretien avec Paul Placet, l’on essaie de saisir la spiritualité singulière de cet homme. Augiéras était un méditatif. Il observait avec désir la nature sensuelle qui l’entourait : la caverne et sa roche, l’eau frémissante de la Vézère. Il a pris le temps de regarder l’herbe pousser. Augiéras a passé sa vie à communiquer avec ce qu’il appelle « la lumière primordiale ». Il y a du druide chez Augiéras sous sa barbe d’ermite inspiré. Dans le Voyage des morts, il écrit cette très belle phrase: « Pieds nus sur le sable, athée, je n’étais pas sans âme. J’avais trop souffert de l’indifférence des hommes à la beauté du monde pour n’aimer pas la prière. » Augiéras avait une âme de prophète.
Que faire aujourd’hui pour inciter la nouvelle génération à se pencher sur une œuvre en décalage avec notre époque, mais qui compose avec une littérature inclassable, rompant avec toute idéologie et qui tente de faire la synthèse entre la libération des corps et l’imaginaire comme source de la grâce ?
Il faut lire toute son œuvre qui est dorénavant disponible dans Les Cahiers rouges de Grasset et aux éditions de Minuit. Pourquoi ne pas commencer par son dernier manuscrit, son récit le plus fougueux et le plus radical, Domme ou l’essai d’occupation ?
Derrière son intemporalité, Augiéras est un écrivain d’avant-garde. Il s’adresse aux cœurs sensibles, à ceux qui ne veulent pas perdre leur vie à la gagner, à tous ceux qui souhaitent emprunter les lignes de crête et « les réseaux asociaux » pour reprendre la formule de Sylvain Tesson. Toute une partie de la jeunesse rêve de grands horizons, d’aventures existentielles, alors je me dis qu’Augiéras peut être un roc sur lequel on s’appuie pour échapper à l’esprit de lourdeur, au slogan publicitaire, à la vacuité contemporaine et oser la vie philosophique.
Le dernier Raskar Kapac consacré à François Augiéras est à commander sur le site de la revue : www.raskarkapac.com
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