Le court roman de Franck Maubert, Une odeur de sainteté, paru à cette rentrée au Mercure de France, distille un trouble très étonnant. Rares sont les romanciers aujourd’hui à parler d’expériences mystiques avec autant de simplicité et, dirais-je, de discrétion. On sent, dans la prose de Maubert, toute une retenue exquise dans la description d’un phénomène mystérieux, probablement surnaturel, mais dans un sens moderne. Ce roman aurait pu s’intituler Possession, mais on est loin de l’hystérie d’un Źuławski, cinéaste polonais qui nous avait offert jadis un film excessivement borderline sur une thématique voisine.
Sur le plan du style, Une odeur de sainteté s’inscrit, malgré l’importance accordée à la religion, dans une littérature qui, à mon sens, doit beaucoup à certains écrivains d’après-guerre inspirés par le surréalisme, comme par exemple Pieyre de Mandiargues, la préciosité mise à part. La qualité de l’écriture se perçoit de même, donnant à ce qui est raconté une portée inoubliable.
Un « nez »
L’héroïne de Franck Maubert est un « nez », une femme nommée Jeanne Doucet, travaillant pour un grand parfumeur parisien. C’est une spécialiste des fleurs et de leurs mille odeurs, classées dans sa tête de manière infaillible. Un jour, on lui demande une chose extraordinaire : « On me charge d’aller renifler le cœur d’une future sainte, en vue d’une béatification, vérifier avec mon nez un cœur, un cœur sensé être souverainement pur. » La sainte en question, Émérence Denosse, a vécu au XIXe siècle en Touraine. Le bref instant où Jeanne respire le petit cœur de la sainte la bouleverse totalement. Elle pressent que c’est pour elle un événement unique, qui se transforme en obsession. « Je ne lâcherai plus Émérence Denosse », comme elle le dit. Sa vie s’en trouvera bouleversée, toute dirigée vers le désir de découvrir plus avant quelle fut cette âme vouée à la sainteté : « Je brûle d’envie de la connaître, retrouver celle qui venait de m’offrir ce qu’elle avait de plus intime : le parfum de son cœur, ce cœur qui m’a imprégnée. Est-ce cela qu’on appelle l’odeur de sainteté, ce sentiment qui vous entraîne dans l’au-delà ? »
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Un contact par-delà la mort
À partir de là, Jeanne va demander sa mise en disponibilité, pour pouvoir se consacrer entièrement à sa quête. Elle qui était agnostique, ne se reconnaît plus. Il lui faut admettre rapidement qu’elle traverse une crise, où elle se sent dépossédée d’elle-même. « Il me semble ne plus appartenir à la terre. Ce qui existe n’est plus moi. » Elle se déplace en Touraine, pour se rapprocher du lieu natal d’Émérence. Elle établit comme un contact avec elle, par-delà la mort. La sainte lui parle, elle perçoit sa voix qui s’adresse à elle : « Je l’entends, admet-elle : Laisse-moi rester. Comme si elle me connaissait. Elle est ma douceur, mon espérance calme. » Ou encore : « Chacune de ses apparitions m’envoûte et je glisse dans un autre monde… »
Le voyage intérieur
Dans le petit village de Touraine où a vécu Émérence, elle fait la connaissance d’un libraire comme il y en avait autrefois, qui fait songer assez bien à un personnage de Huysmans. Sa spécialité à lui réside dans un mélange suranné d’ésotérisme et d’érotisme. Il montre, à une Jeanne troublée, ses livres sur le marquis de Sade, mais surtout il lui communique un manuscrit d’Émérence, dans lequel celle-ci narre sa vie et les épreuves auxquelles elle a été confrontée. C’est dans ces pages que Jeanne va effleurer enfin une partie de l’énigme que représente pour elle la sainte. Le cheminement de Jeanne arrive à son point d’aboutissement. Ce voyage à l’intérieur d’elle-même la fait parvenir à une lucidité neuve. Etlle a accompli le pas au-delà qui la mène vers autre chose, peut-être une nouvelle vie, plus riche, plus spirituelle, plus féconde – mais désormais sans Émérence, rendue au Très-Haut…
Franck Maubert, Une odeur de sainteté. Éd. Du Mercure de France, 120 pages.
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