On découvre que l’historien populaire est un souverainiste de choc. Dans son conte politique, il imagine une Jeanne version XXIème siècle qui murmure à l’oreille d’un jeune président. Il en est sûr, la France n’est pas foutue. Propos recueillis par Élisabeth Lévy.
Causeur. Vous étiez un élégant chroniqueur du passé, amoureux des vieilles pierres et de nos rois et reines. Bref, on ne vous connaissait pas d’opinions. Et on vous découvre en souverainiste de choc, peut-être un brin réac, si l’on en juge par votre moderne Jeanne. C’est la crise de la cinquantaine ? Vous brûlez vos vaisseaux ? Et comment ont réagi vos employeurs et auditeurs ?
Franck Ferrand. Ceux qui me connaissent bien n’ont pas été surpris – un peu effrayés, pour certains, mais pas surpris. À tous les autres, je me révèle sous un jour différent, c’est vrai ; alors il y a ceux que cela ravit, et ceux que cela désole… J’assume. Car une chose me paraît évidente : à cinquante ans passés – merci de l’avoir rappelé… –, il était temps que j’ose être moi-même. Or le vrai Franck Ferrand n’est sûrement pas ce garçon poli, consensuel, vaguement compassé que les médias présentent depuis deux décennies comme un gentil conteur d’histoires. La vérité, c’est que je suis d’un naturel ardent, entier – parfois jusqu’à l’âpreté – et que les grandes questions de notre temps me passionnent davantage encore que celles du passé.
En France, la figure de l’homme providentiel est incontournable
Votre « conte politique » met en scène un président affaibli et au bord de la fuite à Varennes, dans une France en voie de dislocation. Et c’est une certaine Jeanne, venue de Nouvelle-Calédonie, qui lui redonne courage. Vous croyez encore au sauveur suprême ? En voyez-vous un pointer à l’horizon ?
En France, la figure de l’homme providentiel est incontournable. Cela doit faire partie du génie national… De même que chez nous, on révolutionne au lieu de réformer, c’est régulièrement dans un nouveau chef que s’incarnent nos aspirations au changement. Écoutez les gens, en ce moment, autour de vous : si vous faites abstraction du coronavirus et de l’islamisme, ils ne parlent tous que de la même chose, et se posent une même question : « Qui, pour nous sortir de là ? »
Dans notre histoire, Jeanne d’Arc aura été la seule femme à assurer ce rôle – mais elle l’a joué plus fortement peut-être, plus purement sans doute qu’aucun autre. Il m’a donc paru judicieux – et pour tout dire assez jouissif – de transposer au xxie siècle l’épopée de Jeanne d’Arc, et d’imaginer ce qu’un profil digne de la Pucelle d’Orléans aurait pu apporter à nos temps modernes. Le parcours de « ma » Jeanne – qui s’appelle en fait Jeanne-Antide – s’inspire, étape par étape, en gros et en détail, de celui de son illustre devancière. À six siècles d’écart, ma jeune héroïne de 2022-2023 redonne vie et actualité au grand sursaut qui avait permis à la France des années 1429-1430 de survivre et de continuer l’aventure.
Vous évoquez à plusieurs reprises la faillite des élites et leur européisme béat comme l’une des premières causes de la décadence française…
J’ai souvent eu l’occasion de proclamer – et de prouver – l’amour que je voue à l’Europe et à sa civilisation. Mais le projet européen, tel qu’on l’a laissé dégénérer, ne permet plus de protéger, de développer, de renforcer l’Europe que nous aimons. Tout au contraire, l’Union européenne est devenue la pire des usines à gaz, un grand bastringue technocratique propre à affaiblir les pays qui le composent, tout en bâillonnant leurs peuples. Voilà pourquoi il paraît aussi nécessaire à Jeanne-Antide de libérer notre pays de cette gangue, qu’il était vital à l’autre Jeanne de « bouter l’Anglois hors de France ».
Notre société est bien malade et la crise générale que nous connaissons n’a rien de fortuit
En même temps, vous citez Kant, qui évoque « la paresse et la lâcheté », comme les vices des peuples. On accable les gouvernants, mais les gouvernés valent-ils mieux ?
Comme souvent, chère Élisabeth, vous mettez le doigt là où ça fait mal… Il serait plus confortable, pour mes lecteurs autant que pour moi, de faire peser la charge de nos maux sur les seuls dirigeants. Hélas – la frilosité moutonnière, volontiers délatrice, que nous avons constatée lors des deux confinements ne le montre que trop –, le peuple français ne peut, sur bien des points, s’en prendre qu’à lui-même. Par aveuglement, par fainéantise, et aussi par manque de cœur et de courage, il a trop souvent opté pour la facilité. Cela se paie… Notre société est bien malade et la crise générale que nous connaissons n’a rien de fortuit.
Je crains que les Français d’aujourd’hui ne soient plus assez fiers de leur pays
Symptôme de cette crise, selon vous : la machine à fabriquer des Français ne marche plus. Est-ce la faute des accueillants ou des accueillis ?
Les deux, là encore. Les accueillis, pour beaucoup d’entre eux, ne font pas trop d’efforts. N’admirant plus le pays qui les accueille, ne trouvant plus son modèle culturel assez attrayant, assez fort, ils ont eu tendance à se replier sur leurs communautés d’origine – engendrant quantité de déracinés qui, élevés dans la défiance des références et des valeurs françaises, sont devenus, en quelque sorte, des « ennemis de l’intérieur ». Y a-t-il un sort plus malheureux que d’être étranger à son propre pays ?
Mais si un tel désastre a pu se produire, c’est aussi parce que les Français de longue date, ceux qui auraient dû entretenir, animer, faire briller leur culture ancestrale, ont perdu le feu sacré. Pour être aimé, il faut être aimable. Pour être vanté, envié, rejoint, il faut être fier de ce que l’on est. Je crains que les Français d’aujourd’hui ne soient plus assez fiers de leur pays – et sur ce point, la responsabilité de l’Éducation nationale est accablante. C’est un échec absolu, et qui étonnera les historiens du futur. Honte aux modernes pédagogues qui auront tout détruit !
Mais, que cela vous plaise ou non, nous vivons dans le monde des individus capricieux et des identités flexibles. En Occident, seul l’islam semble résister à cette mcdonaldisation de l’existence collective (venez comme vous êtes). Le retour à l’assimilation à l’ancienne n’est-il pas un pur fantasme ?
À mes yeux, c’est le contraire d’un fantasme. Ce devrait être l’alpha et l’oméga de toute politique responsable.
Votre Jeanne rêve d’offrir à la culture française un baroud d’honneur. Cela signifie-t-il que la France est foutue ?
Comme les plantes, une culture éclot, s’épanouit puis se fane. Le fait est que nous sommes probablement en train de nous faner… Mais je ne voudrais pas que l’on enterre trop vite un esprit, un style, un projet et un art de vivre que le monde entier, il y a peu de temps encore, admirait et copiait. Il me semble que, si la majeure part du feu d’artifice a bel et bien été tirée, nous n’avons pas vu, encore, le bouquet final. La France n’est peut-être pas aussi moribonde qu’elle en a l’air – car ses ressorts intimes, ses ressources cachées sont presque inépuisables. Avec un peu de bonne volonté, en cessant d’entraver ses meilleurs éléments – et en renouant avec cette grandeur sans laquelle il ne saurait se montrer lui-même –, ce pays pourrait encore surprendre le monde.
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À l’ère numérique, alors que nous sommes malmenés par des puissances gigantesques, mais peu visibles, nous avons besoin de ces sauvegardes que sont l’humanisme, la liberté, l’irrévérence et l’inventivité – pour ne rien dire de la souveraineté des peuples… Ce genre de valeurs, quoi de mieux que la vieille, la vaillante, la terrible France pour les incarner ?