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Francis Lai, un homme qui me plaisait

La musique d'Un Homme et une femme ou de Love Story, c'était lui


Francis Lai, un homme qui me plaisait
Francis Lai au Festival francophone d'Angoulême, août 2010. SIPA. 00604770_000018

La musique d’Un Homme et une femme ou de Love Story, c’était lui. Francis Lai, l’un des compositeurs favoris de Claude Lellouch est décédé. Il laisse derrière lui des centaines de mélodies. Et les images qui vont avec…


Quelques notes suffisent et la machine à souvenirs se met à ronronner dans notre tête. L’image se fige. Le présent se brouille. La féerie du cinéma peut alors commencer. Nous sommes remontés très loin, en 1966, dans un film oscarisé de Claude Lelouch.

J’entends la voix de Jean-Louis Trintignant inscrire sur un morceau de papier : « Montmartre 1540 ». Anouck pense toujours à Pierre Barouh pendant que les enfants dorment dans une pension en Normandie. Le week-end prochain, nous les emmènerons au restaurant manger des crevettes grises. La compétition automobile se moque de l’incertitude d’un amour naissant. Loin des planches de Deauville et du crachin qui voile l’avenir, une Mustang rouge arrive sur l’autodrome de Linas-Montlhéry, ce circuit hors du temps planté dans une forêt de l’Essonne. Il fait encore nuit, le virage est toujours aussi penché et les mécanos de l’écurie Ford France s’affairent autour d’une GT40. L’atmosphère est au polar, elle va virer à la chevauchée mécanique dans quelques instants. Patientons un peu, Francis Lai harmonise le décor, à sa manière, une nostalgie empreinte d’une légère tension dramatique, rythmée en fond, à peine perceptible, par un tambour. Trintignant, canadienne et lunettes noires, n’a pas encore enfilé sa combinaison, il fume. Entre chien et loup, la symphonie de l’asphalte s’installe avec une pointe d’angoisse pour ne pas endormir le spectateur. Puis, à mesure que le soleil se lève, une montée chromatique s’enclenche, parfois stoppée dans son élan par quelques notes de piano en apesanteur, sorte d’apnée, de répit minuscule avant que le ciel gronde et que les bolides crient leur fureur.

Le génie de l’amour

Le génie du compositeur réside là, dans l’accompagnement, jamais dans le surlignement de l’émotion. Il en faut de l’humilité pour ne pas imposer son tempo à la pellicule, ne pas tordre l’action à son profit ou trahir le jeu des acteurs par des envolées vulgaires et clinquantes. L’artiste disparu, mardi 6 novembre, avait le souci de la vérité d’un instant, une composition équilibrée, classique par essence, populaire par conviction intime, ne snobant jamais les arts mineurs comme la chanson. Il n’aurait jamais gâché un scénario par un lyrisme dégoulinant de bons sentiments, tant d’autres ne résistent pas à cette tentation de briller, de voler la vedette au réalisateur.

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Trois ans plus tard en 1969, toujours chez Lelouch, nous attendons avec Annie Girardot dans une salle d’aéroport qu’un avion de la Panam débarque Un homme qui me plait. En gros plan, sa présence déchirante nous coupe le souffle. Elle impose sa dramaturgie avec presque rien, une économie de gestes, un chemisier imprimé, une Cartier au poignet et la profondeur de son visage s’imprègne en nous. Folle et désespérée, grandiose et désarticulée, l’inoubliable Annie aux chevaux courts se ronge les sangs. Face à ce désarroi, nous sommes impuissants, nous voudrions tant l’aider, cajoler cette insondable tristesse, le concerto pour la fin d’un amour de Francis remplacera toujours mieux nos mots inutiles et vains.

Sa musique fragile et magistrale déploie une mélancolie sur cette impossible ligne de crête des sentiments. Le cœur serré, nous abdiquons. Nous aimions Francis Lai car il avait réussi à mettre des notes sur nos errements d’adolescent et à fixer nos imaginaires brouillons. Je revois Jean-Paul Belmondo, pantalon pattes d’eph’ et imper froissé dans une gare du Nord, éphémère Number One d’une ville ouvrière, avant la chute vertigineuse des illusions, avant les drames industriels. Le chouchou de ses dames de la bonne société a la vengeance en héritage dans ce film de Henri Verneuil adapté d’un roman de Félicien Marceau.

Il y a dans Le corps de mon ennemi plusieurs moments intenses où la lutte des classes fait une pause. L’ironie des Hommes laisse place à une promenade improvisée sur les vestiges du passé. Les dialogues d’Audiard crépitent dans un parc, Jean-Paul n’a plus la force de fanfaronner, il se dévoile à sa façon, pudique et secrète. Francis Lai savait assurément distiller la douleur des Hommes et traduire les mystères de l’amour en musique.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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