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Francis Chigot, l’art et la lumière

« Francis Chigot : un monde de lumières », Cité du vitrail, Troyes, du 28 novembre au 10 mars 2024


Francis Chigot, l’art et la lumière
« Paysage toscan », par Francis Chigot et Louis Blanchard, 1932. © Montluçon, Musée des Musiques Populaires.

La Cité du vitrail, à Troyes, rend hommage à Francis Chigot, maître verrier de la Belle Époque et de l’Art déco. L’occasion de découvrir les vitraux qu’il avait créés pour la basilique de Conques, et qu’un certain Pierre Soulages a remplacés dans les années 1980. Prétendant tout sacraliser, le « maître du noir » n’a rien compris au sacré.


Parfois, je ne peux pas m’empêcher de me faire du mal. C’est ainsi qu’en novembre 2022, j’ai tenu à suivre en direct l’hommage national à Pierre Soulages, dans la Cour carrée du Louvre. Tout ce qu’il y avait d’officiel en France s’est retrouvé là pour rendre un hommage officiel à l’artiste français le plus officiel. Emmanuel Macron a repris l’idée, maintes fois développée, qu’avec un tel artiste, la lumière sortait du noir et inversement. On a entendu des phrases telles que : « Le noir avait triomphé et la lumière fut. » Ou encore : « Ne travailler qu’à partir du noir, le réinventer, y faire surgir la lumière. » Durant les longueurs, j’ai repensé à une belle scène des Copains de Jules Romain où les plus hautes autorités d’Auvergne inaugurent en grande pompe une statue de Vercingétorix. Cour carrée, c’était un peu la même ambiance. Puis j’ai sursauté en entendant cette phrase : « À 12 ans, alors qu’il visitait l’abbatiale de Conques avec ses camarades de classe, il tourna son regard vers la nef, leva les yeux vers les vitraux, et ce fut comme une révélation… » Il y avait donc de beaux vitraux à Conques avant ceux de Soulages, et ce sont même eux qui auraient décidé de la vocation de cet artiste ! Il fallait mener une petite enquête.

Un lycée et une association

Il y a quelques années, le lycée technique Turgot, à Limoges, a lancé le projet de retrouver et de restaurer les vitraux qui ornaient la basilique de Conques avant Soulages. Les cartons avaient été dessinés par Pierre Parrot (1894-1979), autrefois professeur dans cet établissement, et les vitraux réalisés par Francis Chigot (1879-1960).

Dans la foulée, l’association Francis Chigot (présidée par Hubert Védrine) voit le jour en 2018, une monographie et de beaux livres sont édités. Enfin, une exposition labellisée « d’intérêt national » est organisée fin 2022 à Limoges.

Une deuxième rétrospective s’est récemment ouverte à Troyes, offrant un panorama de l’œuvre du maître. Il est émouvant de constater que, dans cette affaire comme dans un certain nombre d’autres, les avancées significatives en matière d’histoire de l’art résultent d’initiatives locales et associatives.

Un artiste dans une ville d’art

Francis Chigot naît à Limoges où son père tient une maison de décoration et de peinture sur verre. Le jeune Francis est formé à l’École nationale des arts décoratifs de la ville, puis à Paris. Il reprend l’atelier légué par son père et le fait évoluer vers ce qui l’intéresse le plus, le vitrail. Il acquiert rapidement une belle réputation et figure en bonne place dans les expositions internationales et universelles. Il devient aussi un partenaire de référence pour les chantiers de monuments historiques. Pendant l’Occupation, il est notamment mis à contribution pour déposer les verrières d’églises et de cathédrales afin de les protéger des bombardements.

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Chigot vit dans une ville où il n’y a guère de frontière entre artisanat, arts décoratifs et beaux-arts. C’est un foisonnement général. Cette continuité a aussi une dimension sociale. Divers métiers se côtoient dans l’atelier Chigot comme dans la ville de Limoges. Les jeunes issus du monde ouvrier ou de l’artisanat sont nombreux à bénéficier des formations mises en place par la IIIe République. Cette « inclusivité » est bien différente de l’esprit des avant-gardes, souvent marqué par une intellectualisation clivante.

Un âge d’or du vitrail

L’un des grands vitraux de la gare de Limoges. © Crédit divers, Limoges.

Chigot entame sa carrière à la Belle Époque. C’est une période où le vitrail, comme tous les arts décoratifs, connaît un essor considérable. Certes, il orne encore les églises et Chigot, catholique fervent, est dans son élément. Cependant, le vitrail déborde désormais largement l’univers religieux : il embellit nombre de bâtiments civils tels que thermes, brasseries, gares, préfectures, châteaux, immeubles d’habitation, etc. C’est un véritable âge d’or. Veillant à recruter ses collaborateurs à la pointe des nouvelles tendances, Chigot va faire évoluer son travail de l’Art nouveau vers l’Art déco durant l’entre-deux-guerres. Et ses techniques évoluent aussi. Il commence avec la peinture sur verre, qui permet des formes fluides, parfaitement dans l’esprit de l’Art nouveau, puis considère qu’un vitrail doit affronter le verre lui-même. Il a envie de le couper, de le cisailler. Il crée des motifs en assemblant des morceaux. À cette période, sa prédilection porte sur les verres américains qui, comme dans les fameuses créations Tiffany, ont des matières diaprées. Après la Première Guerre mondiale, son style s’épure et il recourt volontiers à des verres plus simples, parfois gravés de stries, picots et reliefs divers.

Conques, chef-d’œuvre Art déco

Juste avant la Seconde Guerre mondiale, les Bâtiments de France lancent un concours pour un nouveau décor à Conques. La basilique a en effet perdu presque tous ses vitraux depuis un incendie déclenché par les protestants au XVIe siècle. Chigot et Parrot sont choisis. Mais le chantier ne débute qu’à la Libération et s’achève en 1952. Ces 110 vitraux, aux teintes ocre et aux formes géométriques, donnent à l’ensemble une tonalité à la fois puissante et retenue, en accord avec le lieu, et constituent un cycle Art déco d’une exceptionnelle qualité. Notons au passage que la légende selon laquelle Soulages aurait vu ces merveilleux vitraux à l’âge de 12 ans, soit en 1931, est pure affabulation.

Francis Chigot (à droite) avec ses monteurs dans son atelier de Limoges, vers 1920. © D.R

Dans son atelier, Chigot est une sorte de chef d’orchestre. Selon l’historienne Martine Tandeau de Marsac, il est « un artiste peintre, décorateur de formation. Il ne l’oublie jamais dans son travail. Il suit un projet de bout en bout, rencontre les clients, esquisse les dessins des futurs vitraux (voir ses carnets de notes quotidiens), il choisit le cartonnier le mieux adapté à la commande, il suit la « coloration », c’est-à-dire le choix des verres. Son art du détail et de coloriste fait qu’un vitrail signé Chigot porte vraiment sa sensibilité d’artiste, on ne peut le confondre avec aucun autre. » Il meurt à 80 ans en se levant pour aller travailler !

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Le temps du mépris

À peine nommé ministre de la Culture, Jack Lang propose à Soulages d’intervenir sur une église de son choix. Il peut y faire ce qu’il veut ! Carte blanche ! Génie oblige ! La préférence se porte, en 1986, sur Conques. Et qu’importe la Charte de Venise (1964), texte international qui, en matière de patrimoine, empêche de détruire pour remplacer. Le public et les experts s’opposent au projet. Rien n’y fait. Pire, les soutiens de Soulages tirent fierté d’avoir vaincu « un véritable village d’irréductibles ». L’art contemporain a cette mauvaise habitude de se sentir renforcé par l’opposition des gens ordinaires.

Du mysticisme à la mystification

Le concept d’église qui prévaut à Conques est celui d’un lieu vide qui aide à faire le vide. Les vitraux de Soulages, simples verres translucides, mettent en scène, en réalité, une sorte de cliché touristique de la contemplation. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les écrits de certains contemplatifs, comme le Château de l’âme de Thérèse d’Avila. Cette nouvelle conception paraît donc totalement anachronique, s’agissant d’une basilique romane bénédictine, jadis pleine de couleurs et visant à l’enrichissement de l’âme. La religion se présente alors principalement comme un ensemble de récits (Bible, vie des saints, etc.) et les églises foisonnent de ces histoires en images. C’est en s’inscrivant dans cet esprit que Chigot a produit ses verrières : ici, la vie de saint Norbert, là, celle de sainte Foy, etc. La conception incarnée par Soulages peut être qualifiée de négative (ou encore d’apophatique) en ceci qu’elle élimine tout ce qui pourrait rappeler la vie terrestre.

À voir absolument

« Francis Chigot : un monde de lumières », Cité du vitrail, Troyes, du 28 novembre au 10 mars 2024.

À lire

François Landries et Martine Tandeau de Marsac, Ce que maître-verrier veut dire : Francis Chigot (1879-1960), Mon Limousin, 2022.

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Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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