Sur Franceinfo, le journaliste Julien Pain s’efforce de « désintoxiquer » les Français à l’aide de gros panneaux redresseurs de torts. Sa dernière victime était prévisible: le « grand remplacement ». Qu’il a tenté de ridiculiser…
Alors que les magazines sur la santé proposent des cures détox pour purifier nos corps à la sortie de l’hiver, Franceinfo fabrique des vidéos de quelques minutes qui prétendent purifier les esprits d’idées jugées malodorantes. C’est le dynamique Julien Pain qui s’y colle.
L’épisode du 21 avril, qui m’a été signalé dans un commentaire sur mon site, était consacré au grand remplacement. La vidéo est intitulée : « Bientôt grands remplacés par des Maghrébins et des Subsahariens ».
Voici le petit texte de présentation de la vidéo :
« La théorie du Grand remplacement, on en entend parler souvent, et pas simplement sur les réseaux sociaux. Nous serions à la veille d’être remplacés, substitués, par des immigrés africains. Même certains hommes politiques ou écrivains français tiennent ce discours. Y-a-t-il une once de vérité d’un point de vue démographique ? Est-ce que les gens ont si peur de ce Grand remplacement ? Je suis allé en parler dans la rue, mais aussi avec mon invité, professeur au collège de France. »
« Nous allons de plus en plus vers du nationalisme. […] J’en suis très triste et très inquiet. »
Julien Pain se balade sur la dalle qui se trouve à l’arrière de la tour Montparnasse et interroge quelques passants pour savoir s’ils connaissent la thèse du grand remplacement et ce qu’ils en pensent si c’est le cas. Il a quelques cartons sous le bras qu’il dévoile au fil de sa déambulation. La vidéo commence par la déclaration d’un jeune homme : « C’est la théorie que les Français vont être remplacés par des étrangers. C’est çà ? » Exactement, répond Julien Pain. Avant de faire parler le professeur au Collège de France, François Héran, Julien Pain clôt son micro-trottoir sur le point Godwin. Il demande « pourquoi cette thèse du grand remplacement ressort aujourd’hui » à un monsieur, lequel répond : « Parce que nous sommes dans une période d’inversion des valeurs, de toutes nos valeurs et nous allons de plus en plus vers du nationalisme. Donc on a connu ça dans l’histoire et ça se répète. Et pas qu’en France malheureusement. C’est mondial. J’en suis très triste et très inquiet. » Je passe sur les quelques déclarations des passants, la vidéo dure 4,06 minutes. Arrêtons-nous sur les cartons que Julien Pain va montrer un par un.
Le premier dresse la liste des coupables, avec une exception qui crève les yeux. Renaud Camus en est absent alors qu’il est l’auteur de la notion de grand remplacement. Son nom ne sera pas prononcé au cours de la vidéo. La liste égrène les noms suivants dont certains ont droit à un prénom : Houellebecq, Zemmour, Marion Maréchal Le Pen, Nicolas Bay, Robert Ménard, Philippe de Villiers, Laurent Wauquiez. Noms que le journaliste énonce, terminant par « même Laurent Wauquiez ! Qu’est-ce qu’ils ont en commun ? Le grand remplacement qui nous guette ! »
Le deuxième carton se présente ainsi :
Aujourd’hui
Immigrés
9 et 12 %
de la population
+0,4 % de la population française par an
Le commentaire est le suivant :
« Aujourd’hui, on a entre 9 et 12 % d’immigrés en France. »
L’affiche et le commentaire méritent qu’on s’y arrête. Aujourd’hui signifie bien que Julien Pain parle de la situation actuelle (en fait plus probablement celle de 2015, dernière année pour laquelle les données Insee sont disponibles, ce qu’un décodeur honnête aurait dû préciser). Mais, le plus troublant c’est qu’on a deux chiffres pour une même entité (ici les immigrés), à une même date.
En fait, en 2015, la proportion d’immigrés, au sens de la statistique française (personnes nées à l’étranger avec une nationalité étrangère à la naissance), est de 9,2 % en France et de 9,3 % en France métropolitaine. 12 % correspond sans doute à la proportion de personnes nées à l’étranger[tooltips content= »Calculable à partir des données mises en ligne sur Eurostat »]1[/tooltips], y compris celles qui sont nées avec une nationalité française (définition des Nations unies). Cette proportion au 1er janvier était de 11,9 % en 2015 et de 12,2 % en 2018 d’après Eurostat. Julien Pain a beau faire le malin, il n’a pas l’air de maîtriser le sujet qu’il traite. Il ne dit rien de l’augmentation de 0,4 % par an, laissant la primeur au professeur au Collège de France.
Analyse en carton
Le troisième carton qu’il montre sur la vidéo pose également problème. Le voici :
Que voit-on ?
Un gros titre en gras – 40 % d’immigrés en région parisienne – qui chapeaute une carte représentant la proportion d’immigrés à une échelle locale et à une date non précisées – dont la tranche supérieure est 9,7 % ou plus. Si l’on se reporte au document Insee, il s’agit de la proportion d’immigrés par type d’espace (découpage des aires urbaines et rurales de l’Insee).
Julien Pain explique que la popularité de la théorie du grand remplacement vient peut-être du fait que « l’immigration en France est extrêmement mal répartie ». Il commente alors le titre ainsi : « 40 % d’immigrés vivent en région parisienne. » Ce que n’illustre absolument pas la carte. Il aurait fallu dire, d’après les chiffres de l’Insee, sans les arrondis (pratiqués par l’Insee) : en 2012, 38,2 % des immigrés vivent dans l’aire urbaine de Paris alors que ce n’est le cas que de 17,1 % des natifs. Et là, la carte n’apporte rien. Ou alors, ce qui s’accordait mieux avec la carte : en 2012, la proportion d’immigrés dans la zone urbaine de Paris était est de 17,7 %, à comparer à 8,8 % en France.
« C’est aussi et surtout une théorie complotiste »
Avant l’apparition du professeur au Collège de France sur la dalle de Montparnasse, Julien Pain, affiche son dernier carton, support à son explication de la thèse du grand remplacement.
Cet affichage de Julien Pain est accompagné d’un commentaire assez obscur : « Cette théorie du grand remplacement, au-delà d’un constat démographique qui est complètement faux, c’est aussi et surtout une théorie complotiste. Pourquoi ? Parce que ce que ces gens nous disent c’est qu’il y a des élites qui nous manipulent, et qui nous manipulent d’autant plus facilement qu’on serait métissés, qu’on n’aurait plus de culture à nous. C’est ça la théorie du grand remplacement. »
Déni oui oui
Arrive alors le professeur au Collège de France.
Le professeur au Collège de France se dit très intéressé par ce qu’il a entendu, sans être gêné par les approximations de Julien Pain. Il est lui-même prêt à tirer du micro-trottoir des généralisations sur ce que pensent les gens : « Je suis très frappé par le fait que quand on leur parle remplacement, beaucoup de gens disent métissage, mélanges. » Suivent deux lapsus qui trahissent sa position idéologique :
1) Il s’applique à minorer l’impact démographique de l’immigration étrangère en France : « C’est vrai qu’il y a jamais eu autant d’immigrés qu’avant, mais, en même temps, comme ils arrivent de façon distillée, très progressive, hein ! Les entrées, chaque année, ça représente un accroissement de 0,4 % de la population. » Le professeur au Collège de France n’est guère gêné ni par le lapsus qui vient de s’échapper de sa bouche ni par le fait qu’il mesure l’impact démographique par un flux d’entrées annuel et sans s’intéresser à la descendance née en France. J’ai estimé cet impact pour l’immigration étrangère intervenue entre 1960 et 2010 en France métropolitaine. L’immigration étrangère a contribué à 55 % de l’accroissement démographique sur la période. Sans elle, il aurait manqué 9,7 millions d’habitants en 2011 (soit 15,4 % de la population) et 27 % des naissances en 2010.
2) Il critique avec ironie et suffisance l’idée de remigration de Renaud Camus (dont j’ai dit ce que j’en pensais ici), sans le citer, en faisant entrer, pour la première fois dans la vidéo, la descendance née en France, tout en proférant, là encore, un lapsus qui dévoile le sens unique dans lequel il conçoit les migrations entre la France et l’étranger : « Lancer comme ça la théorie du grand remplacement, l’étayer par l’idée de génocide ou l’idée de remigration qui consisterait à dire : tous ces étrangers, faut qu’ils repartent ! Vous vous rendez compte. On va… Il faudrait faire retourner en France des gens, y compris la seconde génération dit la thèse. C’est complètement irréaliste et c’est un déni. »
Et surtout, votez bien !
Julien Pain termine son petit montage vidéo par une mise en garde. On aurait tort de se désintéresser de la chose car « eh bien ! oui, il y a un militant d’extrême droite qui se présente aux européennes en ce moment sur cette thèse du grand remplacement ». Le nom du candidat ne franchira pas ses lèvres car il n’a « pas envie de lui faire de la pub ».
Voilà, en pleine campagne électorale pour les européennes, une affaire rondement menée par Franceinfo, mais avec un amateurisme ahurissant et une manière de fermer le débat tout en prétendant l’ouvrir. « Grand remplacement » vient ainsi s’ajouter à la série d’expressions qui servent, de manière routinière, à stériliser le débat sur l’immigration et sont l’équivalent, dans le débat public, des panneaux « chien méchant » à l’entrée des maisons, comme l’explique si justement Mathieu Bock Côté.
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