Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacles. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
On fait Mai 68 pour remplacer les Beaux-Arts de papy par la Culture des rues, et qu’est-ce qu’on voit ? Le cousin d’Alain Krivine devenu chef d’orchestre, Deleuze et Foucault à genoux devant Boulez, la Culture avec un C grand comme la Croix allant catéchiser Villeurbanne et Bobigny.
Ah ! Les seventies ! Leurs temples Fnac, leur bible Télérama, Vitez avec son théâtre « élitaire pour tous », Gaumont avec son cinéma « d’art et d’essai populaire », saint Bernard pivot de toute lecture. En 1972, Jacques Chancel invente « Le Grand Échiquier », messe des arts où communient Montand et Pavarotti, Karajan et Brassens, Barbara et Hendricks. Des heures, ça durait. Jusqu’en 1989.
Les défaites de la musique classique
Ce que les agents de Valois avaient oublié c’est que, à deux pas, la contre-culture se faisait un allié autrement précieux que l’élitisme pour tous : le tiroir-caisse. Au temps long de Chancel on s’aperçut que finalement la télé préférait le temps de cerveau disponible chez la ménagère de moins de 50 ans. Bonjour Top 50, bye bye Karajan. France 2 maintient sa caution classique, Ève Ruggiéri, un quart de siècle, puis la met à la retraite sans la remplacer. Même sort pour Alain Duault sur France 3. LCI éteint « Musiques », la pastille de Jacques Collet qui suivait de loin l’actualité du piano et de l’orchestre. Arte baisse les voiles. Anne Sinclair et Jean-François Zygel passent une tête et s’en vont. Les diffusions en direct vont se cacher sur le câble ou sur le net. Ne restent à peu près aux heures ouvrables que le Nouvel An viennois mondovisionné depuis soixante ans (record toutes catégories), un télé-crochet pour mineurs à Noël baptisé « Prodiges », et ces fameuses « Victoires de la musique classique » qui fêtaient leur 25e édition sur France 3 le 23 février.
Cette année, ils nous ont envoyé à la Grange au Lac, que le patron de Danone avait offert jadis à Rostropovich, le tsar du violoncelle que Brejnev venait de chasser. Une grosse datcha en pin très jolie et qui sonne très bien, à Évian, quasi les pieds dans le Léman. Et voilà. C’est reparti pour un menu tapas avec des bouts de Mozart, Vivaldi, Gershwin, Puccini, Tchaïkovski, tout pareil que d’habitude. Le classique ampoulé comme la direction se le figure, avec une Victoire de ceci, une Victoire de cela, la caméra sur une grue pour pas qu’on s’endorme. Raté : 1,28 million d’amateurs, loin derrière le rugby de France 2, la déconnade ch’ti de TF1 et même un épisode hollandais de MacGyver sur M6. Comme une odeur de sapin dans l’air, pas à cause des Alpes. Frédéric Lodéon, présentateur historique, s’en va. Le dirlo s’en va aussi. Le réalisateur, lui, passe la moitié de l’émission à envoyer des archives contre les primés qui attendent leur tour de remercier maman, leur « label » et le jury. Morne, c’est.
La demande sans l’offre
Pourtant tout est là, devant nous. Nos philharmonies font salle comble, nos conservatoires manquent de place. En 2014, le vainqueur du Quali TV, « programme le plus apprécié des téléspectateurs » de France Télévisions, était « Musiques en fête », 100% classique. Chaque saison déboulent de nouvelles voix, de nouveaux pianistes, de nouveaux violoncellistes. Pour faire une bonne émission, y’aurait qu’à se baisser. D’ailleurs en voilà une, « Stars von Morgen », « Stars de demain ». Heure exquise, toute simple, présentée allegrissimo par le ténor Rolando Villazón sur Arte. Miam miam ! Que des produits frais. Goûtez ça, Mesdames Messieurs les Victoires !