En France, nous dit-on, une femme est violée toutes les huit minutes. Face à cette urgence, France Télévisions a décidé d’agir et, comme l’explique son président Rémy Pflimlin, de « mettre en place un dispositif au long cours pour contribuer à faire reculer les violences faites aux femmes ». Pour joindre des actes aux paroles, France Télé a mis en place un site internet (plateforme interactive en novlangue) intitulé « Viol, les voix du silence ». De plus, pendant la semaine du 19 novembre elle a diffusé deux documentaires, Viol, double peine de Karine Dusfour et Viol, elles se manifestent présenté comme un « manifeste politique » dont l’ambition le producteur est de faire aussi fort que le « Manifeste des 343 salopes » pour l’avortement de 1971.
Au vu de l’importance, bien réelle, de la cause, la chaîne aurait sans doute gagné à être moins grandiloquente et plus sincèrement concernée par ce drame. L’accusation est grave, mais la lecture de l’interview accordée par notre confrère Caroline Sinz au Midi Libre « tous ensemble contre le viol », sonne comme un rappel salutaire à ce que « charité bien ordonnée commence par soi-même ».
Souvenez-vous, c’était il y à peine un an : Caroline Sinz, envoyée spéciale de France 3 en Egypte, avait été violée au milieu de la foule cairote le 24 novembre 2011. En plein jour, vers onze heures du matin sur la place Tahrir au Caire, la journaliste avait été encerclée par quelques dizaines d’hommes qui l’ont séparée de son équipe, l’ont déshabillée avant de la violer pendant presque une heure. Malgré son calvaire, Caroline Sinz a pu réaliser et transmettre un reportage dans lequel elle relate son agression. À sa stupéfaction, ces images seront coupées au montage. Pour la chaîne, réagit Caroline Sinz, « le viol, c’est honteux, tabou. Si on m’avait tiré dessus, cela aurait paru plus glorieux ! »
Mais la journaliste n’était pas au bout de ses peines. À son retour, elle a affronté l’incompréhension et le manque de solidarité de certains de ses confrères qui ont carrément mis sa parole en doute. En filigrane, ils lui faisaient passer le message suivant : ne pas faire de vague, ne pas se plaindre. La pression a été telle que Caroline Sinz a demandé (et obtenu) son transfert dans un autre service de France Télévisions.
À la lecture de ce témoignage édifiant, ceux qui n’auront pas regardé les « films manifestes » ni consulté la « plateforme interactive et militante » n’en reconnaîtront pas moins le chemin de croix « classique » que subissent nombre de victimes de viol, ce que Karine Dusfour a très justement qualifié de « double peine ». À l’inévitable sentiment de culpabilité (on ne peut pas s’empêcher de se demander si on aurait pu mieux résister, si ce n’était pas aussi de notre faute) s’ajoutent les accusations tacites d’un entourage qui veut tourner la page le plus rapidement possible. Autrement dit, la victime devient le problème.
Dans ce cas précis le « problème » posé par la victime est encore plus gênant car les agresseurs sont les « héros » du printemps arabe et de la révolution du Nil et donc eux aussi victimes (de l’Occident, bien évidemment).
Caroline Sinz a découvert que le plus important n’est pas ce qu’elle a subi mais plutôt l’identité de ses bourreaux. Ainsi, la journaliste a enduré la vraie double peine : être la victime accidentelle de ceux que la doxa médiatique considère comme victimes par définition.
On n’osera dans cette occurrence nauséeuse, évoquer la triple peine, qui consiste à entendre toute une semaine durant les pharisiens qui ont nié son drame se faire mousser en donnant au bon peuple des leçons de morale et de solidarité interactive.
*Photo : UN Women Gallery, « Ne me harcèle pas, la rue m’appartient autant qu’à toi ».
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