Les élections européennes viennent de confirmer le tournant pris par la politique française. La fracture droite/gauche est noyée par l’opposition identitaires/mondialistes qui se calque désormais parfaitement sur la fracture sociale.
L’effondrement de la droite est, incontestablement, le phénomène le plus lourd de la séquence électorale que nous venons de vivre. La droite « versaillaise », celle de la périphérie ouest de Paris, a basculé du côté de LREM, on le voit dans des villes comme Versailles, Le Vésinet ou Saint-Germain-en-Laye, où la liste du président réalise des scores historiques.
La droite et le baiser des Judas
La droite conservatrice du Grand Ouest a suivi une voie identique, comme le montre la carte électorale de la façade atlantique. L’armée des marcheurs de la Manif pour tous a finalement (et globalement) privilégié l’ordre social établi et le progressisme sociétal à ses convictions morales ; la leçon doit être retenue !
Et pourtant, fort de l’appui des sondages, il n’était pas absurde de penser que la liste des Républicains (LR) pouvait terminer sur un honorable score de 12/13% qui lui permettait de rester dans la course pour les prochaines échéances électorales. Après tout, le côté bien élevé, lisse et posé de François-Xavier Bellamy, avait tout pour séduire une bourgeoise modérée et conservatrice. Ce dernier n’a d’ailleurs démérité en rien ; il a su faire preuve de ses réelles capacités à déployer une parole intellectuellement solide au sein d’une arène politique naturellement portée à la simplification et l’outrance.
Au centre toute !
Les conséquences de ce basculement de la droite sont multiples. Le tropisme de la droite modérée vers le camp Macron était identifié depuis déjà longtemps, et, désormais, ce basculement est acté. Le gentil Bellamy n’a pu calmoter la brèche. Le courant du recentrage a emporté avec lui les espoirs de Wauquiez, l’avenir des Républicains, et toute perspective de refondation d’une droite de conviction, comme elle pouvait encore l’être jusque dans les années 90, avant que ses dirigeants ne la trahissent méthodiquement, et que son électorat populaire rejoigne massivement le FN.
Il y a fort à parier, que la tendance « Pecressiste » – les héritiers de Juppé, donc – sorte vainqueur du règlement de compte en cours. On voit mal comment un tel courant réduit à quelques points du corps électoral pourrait survivre à la droite de Macron ? A moins qu’elle ne mise sur un effondrement du pouvoir actuel pour récupérer à son profit les forces du centre ; une hypothèse pour le moins hasardeuse, mais pas totalement irréaliste. Mais la vocation naturelle de cette droite, enfin recentrée, n’est-elle pas plutôt de fournir des cadres et des électeurs au pouvoir macronien ?
Tous les chemins mènent à Macron
Déjà, elle a sauvé le pouvoir en place d’une vraie débâcle, en amenant à Macron les trois ou quatre points qui lui ont permis de franchir l’obstacle. Sa demie défaite est une demie victoire, dans la mesure où, outre sauver la face, il s’est ouvert de nouveaux espaces de manœuvre. En effet, outre la droite centriste qui peut passer des accords avec lui, il s’est également ouvert sur sa gauche un espace de jeu. L’électorat des écolos est flottant et ces derniers ont longtemps servi de forces d’appoint au PS; ils pourront, à l’avenir, amener quelques réserves à Macron. Le brave Jadot a beau jouer les irréductibles, l’histoire montre que les dirigeants Verts ne sont pas insensibles aux ors de la République. Enfin, il ne faut pas oublier le rôle du père tutélaire de la mouvance écologiste, la statue du commandeur Cohn-Bendit, rallié de la première heure au pouvoir macronien, qui est remis en avant pour rabattre l’électorat vert, jeune et malléable, vers la modernité macronienne, qui, depuis quelques semaines, ne jure plus que par le vert !
Quant à la gauche Gluksmann, il n’est pour le moins pas évident de voir ce qui la sépare irrémédiablement de la mouvance LREM. Sa vocation naturelle n’est-elle pas de devenir le flanc gauche d’un centre élargi ?
Le peuple a divorcé de la gauche
Enfin, ces élections que nous venons de vivre installent la fracture sociale comme l’élément central de la vie politique nationale. La culture de classe a fini par unifier, pour l’essentiel, les bourgeoisies « progressistes » et les bourgeoisies « conservatrices » autour d’un même pôle politique – un vaste marais centriste – qui, globalement, cautionne la mondialisation libérale, l’Europe ouverte et atlantiste, et relativise, ou nie, les enjeux migratoires, identitaires et sécuritaires.
Face à elles, une France populaire des travailleurs malmenés (ouvriers, petits employés et ruraux) et des classes moyennes les plus exposées au risque. Cette France-là, très largement, se reconnaît dans le vote Rassemblement national (RN). La France insoumise a cru pouvoir profiter de cette nouvelle configuration de la lutte des classes, mais, comme nous l’avions analysé, elle s’est aveuglée dans son action de récupération du mouvement des gilets jaunes. Elle a pu dénaturer le mouvement, mais s’est montrée incapable de rallier ses adeptes. Près de 40% des gilets jaunes ont voté pour la liste RN ; la vérité a fini par tomber comme un couperet !
Mort aux vieux
Le refus frénétique de la gauche, quelles que soient les mouvances, de prendre en considération l’enjeu migratoire l’a définitivement coupée de toute assise populaire ; alors que l’espace de la fracture sociale et de la coupure identitaire se superposent désormais très largement. Les deux forces politiques issues de l’ancien monde de l’opposition classique droite/gauche, soit le PS et ses dérivés (dont LFI) et LR, sont les grandes victimes de cette reconfiguration politique.
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