On sent bien, un peu comme en Grèce qui a pris une certaine avance sur la question en vivant de fait sous une dictature supranationale, que les vieux partis politiques de gouvernement s’épuisent et il faut être Jean-François Copé ou François Fillon pour croire que la prochaine alternance leur bénéficiera. Ou alors, comme en Grèce et en Italie aujourd’hui, en Allemagne hier, il faudra que l’UMP reconnaisse que sa politique économique est exactement la même que celle de Hollande et qu’elle accepte un gouvernement de grande coalition réservé à ceux qui pensent qu’un pays est une entreprise et qu’une nation doit abandonner sa souveraineté pour satisfaire des critères de rentabilité décidés par d’autres qu’elle. Mais là aussi, ça ne peut durer qu’un temps.
On peut donc imaginer, comme Théophane Le Méné, que d’autres forces politiques émergent et portent des revendications nouvelles, essentiellement religieuses et identitaires afin de reprendre en main, au moins, le destin d’un groupe quitte à oublier la France au passage. Constatant l’impossibilité de l’assimilation et l’échec de l’intégration, Théophane voit pour sa part ces forces nouvelles sous la forme de partis « erdoganiens » ou post « démocrate-chrétiens » qui s’imposeraient dans le champ électoral pour les années qui viennent. On pourra remarquer qu’il y en a déjà mais qu’ils sont groupusculaires. Cela supposerait aussi que face à la puissance dissolvante des politiques économiques libérales, les Français, catholiques et musulmans, se définissent face à crise d’abord comme catholiques ou musulmans. On peut en douter. La France reste une des plus vieilles nations laïques du monde malgré la pression des communautés en pleine panique obsidionale face à la violence de la crise. Une violence qui pousse à tous les replis dans un système trouvant plus facile de tenir la boutique en favorisant l’idée d’un choc de civilisation qu’en rappelant l’existence de la lutte des classe.
Et pourtant, ce qui nous fait changer de civilisation, ici et maintenant, ne se lit pas dans des questions concernant une minorité d’intégristes religieux, catholiques ou musulmans, engagés dans une rivalité mimétique. Une rivalité où se lit un regret commun, celui d’une société hiérarchisée et si possible fondée sur le patriarcat, ainsi qu’une transmission de valeurs qui seraient celles de la communauté, oubliant au passage l’universalisme républicain.
Que les principales préoccupations des Français tournent autour du mariage pour tous et du « Grand remplacement » me semble d’ailleurs démenti par les faits. Prenons le cas très parlant du Front National qui a été d’une discrétion exemplaire sur la question, si on excepte quelques histrionnades de Collard. J’ai bien une réponse à ce silence des agneaux. C’est que, par exemple, quand il va falloir s’emparer de la mairie d’Hénin-Beaumont, Marine Le Pen est assez intelligente pour ne pas couler son candidat Steve Briois en disant : « Explique bien que notre bilan de la lutte contre le système, c’est qu’on s’est opposé au mariage de deux hommes et à la théorie du genre. » Succès assuré dans les bistrots et les marchés encerclés par les friches industrielles. Non, le FN fait de la politique, de la vraie.
Et le Front de Gauche, du coup, aussi. Le Front de gauche a aussi ses Collard, on pourra toujours relever des drapeaux LGBT ici et là mais l’essentiel est tout de même ailleurs. Front National et Front de gauche ont compris que les seuls problèmes des Français n’étaient pas un hypothétique « remplacement » ou alors c’est celui des usines par les « turbines tertiaires » chères à Pierre Mauroy. Et que le changement de civilisation, ce n’était pas Papa, papa, la bonne et moi mais Papa et Papa prennent leur retraite à 67 ans, on a viré la bonne qui est au chômedu et moi je suis stagiairisé à vie avec mon bac+5 en communication. Et les résultats sont là, le FN caracole à 20% et se retrouve de plus en plus souvent au second tour tandis que le Front de Gauche est à égalité avec le PS, à 15% dans un sondage pour les européennes.
Alors oui, les partis historiques de gouvernement ne sont pas immortels. La démocratie chrétienne, justement, a disparu du paysage italien après l’opération « Mains Propres » . Mais ceux qui les remplacent aujourd’hui ne sont pas des partis confessionnels. On trouve des populistes grillistes, des mouvements d’extrême droite de plus en plus forts ou « des gauches de la gauche » comme en Grèce où Syriza est devenu le premier parti du pays.
Il y a chez les partis « officiels » soit une formidable erreur d’analyse, soit une manœuvre de diversion désespérée dans laquelle je suis désolé de voir Théophane tomber. Parce que ce qui pourrait bien remplacer les partis de gouvernement, ce sont les partis qui proposeront une autre politique au service de l’immense majorité de la population, y compris les homos, les musulmans et les catholiques.
Et j’ai des raisons de penser que le Front de gauche a quelques avantages sérieux à faire valoir sur la question car il est de gauche depuis plus longtemps….que le Front National et qu’il est plutôt pour le vote des immigrés, histoire justement qu’ils ne le soient plus, immigrés.
*Photo: PCF Section Hénin-Beaumont
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