Où il est question de l’hétérosexualité, du «sexe-positif» et de la pénétration.
La France peut s’enorgueillir de posséder des médias n’hésitant pas à aborder les sujets les plus exigeants et les plus indispensables à l’élévation de la pensée. Ainsi, Le Monde, via son podcast “Le Goût de M” n° 98[1], nous rappelle-t-il l’existence de cette « autrice et documentariste » qui, en pleine « grève du sexe », explique : « Ce ne sont pas les sept minutes de coït réglementaire qui ont fini par m’écœurer, c’est tout ce que les rapports hétérosexuels représentaient. » Chacun aura reconnu la philosophe sexo-syndicaliste Ovidie, autrice d’un livre qui entrera sûrement (pour ne plus jamais en sortir) dans les annales de la sociologie moderne, La chair est triste hélas, livre que nous évoquâmes dans ces colonnes il y a quelques semaines (La métamorphose d’Ovidie). Une fois de plus, grâce au Monde, nous apprenons des choses surprenantes sur cette penseuse de haut vol : elle vit près d’Angoulême, elle a deux chiens qu’elle adore, ses parents étaient très gentils, son frère aussi, elle aime manger de bonnes choses, elle n’aime pas se mettre en colère, elle admire les féministes américaines pro-sexe mais fait une grève du sexe pour dénoncer ce « système politique qu’est l’hétérosexualité », elle pense qu’elle n’a « jamais été aussi honnête » que dans son dernier livre écrit, précise-t-elle, « en écriture quasi-automatique après une chute sur la tête ». Avant cette chute providentielle, Ovidie a vécu l’enfer de 25 ans d’hétérosexualité qui l’ont « épuisée et désenchantée ». Elle regrette les « investissements pour rester baisable » qui ne lui ont offert que « si peu, en retour ». L’hétérosexualité l’a énormément déçue, elle qui ne désire qu’une chose : « qu’on puisse jouir dans l’ouverture, dans l’ouverture de l’autre ». Elle prépare actuellement des documentaires sur les dessous de l’intime, du sexe, du désir hors les sentiers balisés de l’oppressive hétérosexualité. « Depuis le départ, dit-elle, ma boussole c’est la politisation de l’intime. » Le podcast du Monde dure une cinquantaine de minutes. La puissance rhétorique d’Ovidie résidant dans la répétition des deux ou trois réflexions qui font l’essentiel de son œuvre, il est possible de somnoler entre chacune d’elles sans perdre le fil du cheminement intellectuel de cette philosophe qui nous pardonnera facilement ces petites absences, elle qui avoue dans son livre s’être surprise de son côté à « sucer en ne pensant à rien » ou à « rédiger un mail ou une liste de courses dans [sa] tête, une bite dans la bouche ».
Ludivine Demol Defe : n’improvisez plus vos soirées libertines
Sur France Inter, Nicolas Demorand, sérieux comme un pape, a récemment introduit le reportage d’une de ses consœurs journalistes sur le… « sexe positif », un « mouvement qui met le consentement et le féminisme au cœur des relations sexuelles ». Afin de contrecarrer les assauts concupiscents des hommes, des formations, des ateliers, des exercices pour apprendre à dire « non » sont organisés par Jérô et Simon. Ce dernier déclare : « Avec cet exercice, on apprend à prononcer un “non” affirmé, incarné. L’idée, c’est que la personne qui est en face ne puisse pas se dire “ce n’est pas un vrai non, c’est un petit non”. Je vais forcer un peu et arriver à mes fins. » Voilà un exercice qui sera bien utile à Nirméo, une des participantes qui, trop de fois, affirme-t-elle, a fait « l’amour par politesse », en particulier « lors de soirées libertines auxquelles [elle] participe ». Le sujet étant d’importance, pas de place pour l’improvisation, les réunions « sexe-po » sont préparées aux petits oignons : « Une cloche retentit pour marquer un temps d’introspection » puis les participants se touchent mutuellement un peu partout en demandant le consentement de leur partenaire – enthousiaste, l’un d’entre eux autorisera ainsi son vis-à-vis à lui mettre, en attendant mieux, un… doigt dans la bouche. La journaliste a interviewé Ludivine Demol Defe, chercheuse en sciences de l’information et de la communication s’intéressant, indique sa fiche Linkedin, « aux différents discours sur la vie affective et sexuelle qu’entendent les adolescent.es, en particulier des jeunes socialisées filles, afin de comprendre comment les représentations des sexualités et leurs discours interviennent dans les constructions du rapport à soi, du rapport à la société et du rapport à l’autre ». D’aucuns jugeront peut-être que ce type de recherches relève de ce qu’on appelle vulgairement la « branlette intellectuelle » – nous tenterons de les démentir en rapportant les édifiantes conclusions de cette chercheuse sur le « sexe-positif » : selon elle, ce mouvement est représentatif d’une « pensée politique » s’inscrivant « dans une pensée anticapitaliste ». On en apprend décidément tous les jours. La fin du reportage rapporte les propos de Sam, jeune homme tourmenté et désireux d’avoir des « rapports apaisés » avec les femmes : « C’est difficile, en tant qu’homme hétérosexuel, de se positionner quand on cherche à ne pas être toxique et harceleur. J’ai l’impression d’avoir trouvé une communauté où on échange dans la bienveillance. On verbalise, on se pose des questions. » Après ces moments de réflexion intense, d’introspection douloureuse et de remise en cause cyclonique, il est prévu un moment-détente, une « soirée sensuelle » durant laquelle il est sans doute attendu que les participants puissent en toute sérénité, à l’instar d’Ovidie, « jouir dans l’ouverture de l’autre ».
Au-delà de la pénétration
Les Parisiens pourront jouir, eux, d’un spectacle plébiscité par Ovidie qui se déroulera du 21 octobre au 25 novembre 2023 au théâtre de la Reine Blanche (Paris 18e) et abordera une autre facette de cette nouvelle sexualité culbutant surtout les idées reçues. Sur scène, Yves Beck lira une adaptation du livre quasi-nietzschéen de Martin Page, Au-delà de la pénétration, livre puissant, philosophique et politique, dans lequel l’auteur s’interroge, la tête dans une main et la zigounette dans l’autre, sur la pratique de la pénétration comme « modèle dominant dans les relations sexuelles » : cet emboitement des corps ne serait-il pas « le fruit d’une construction socioculturelle patriarcale » ? Question sidérale et sidérante. « La pénétration règne en maître », écrit Martin Page qui se révolte contre ce diktat « immémorial ». Car Martin Page est un homme révolté. Tout le révolte. Il est la révolte faite homme. Ainsi, sur son blogue, il affirme être « anticapitaliste, écologiste, animaliste », vouloir « interdire les voitures et les jouets genrés », remettre « en cause la norme sexuelle », mais aussi être « pour la fin du nucléaire », « contre les tablettes numériques », « contre les chefs et l’idée même de chef », « pour la fin de l’héritage » et « contre l’industrie ». Télérama et France Inter louèrent en son temps cet auteur courageux qui, selon le magazine télévisuel, remet en question « le caractère central de la pénétration ». La pénétration est enfin prise au sérieux, il était temps. Les plus fins cerveaux se penchent sur elle, l’analysent, la déchiffrent, l’auscultent pour la remettre en cause – Freud et son « envie du pénis » peut aller se rhabiller. Tant de domaines touchant à la sexualité demeurent mystérieux et n’attendent que l’éclairage de nos lumineux penseurs. Espérons que ces derniers sauront mettre à profit leur intelligence pour étudier ces énigmatiques pratiques sexuelles qui ne remontent, après tout, qu’à la plus haute Antiquité. Quant à la sodomie des coléoptères, inutile de s’attarder, il suffit d’observer nos époustouflants théoriciens pour être renseigné sur cette pratique discutable – c’est pas compliqué, autour d’eux, on n’entend plus une mouche voler.
[1] https://podcasts.apple.com/fr/podcast/98-ovidie/id1480837383?i=1000615346180