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France Inter: les auditeurs ont la parole, personne n’écoute


France Inter: les auditeurs ont la parole, personne n’écoute
Les trois singes de la sagesse, au Japon. MichaelMaggs, Wikimedia.
Les trois singes de la sagesse, au Japon. MichaelMaggs, Wikimedia.

On a rarement l’occasion d’assister à un moment de révélation, un instant où tout devient clair. Je n’ai pas eu cette chance mais, hier, la matinale de France Inter m’a offert l’occasion de comprendre quelque chose de très profond.

Hier matin, les invités de Patrick Cohen étaient les deux « jeunes » maires Républicains, Gérald Darmanin de Tourcoing et Edouard Philippe du Havre. Vae victis ! Le premier, soutien de Nicolas Sarkozy rallié à François Fillon et le second, proche d’Alain Juppé, n’ont pas eu droit, contrairement à leurs camarades Fillonistes de souche, à la grasse mat. Et même s’ils n’ont pas fait la vente, c’est eux qui ont fait le SAV. Comme d’habitude, le créneau 08h30 – 09h00, entre la revue de presse et le comique du jour, est réservé aux coups de fil des auditeurs. Vers 08h45, Patrick Cohen a annoncé : « Annie nous appelle du Puy de Dôme ». L’auditrice, une retraitée polie et sympathique, déroule sa question. « Ce qui m’inquiète par-dessus-tout, bien qu’il y ait plusieurs motifs d’inquiétude, c’est la santé : comment peut-on la mettre entre les mains d’assurances privées ? » Jusque-là, tout va bien. La santé est devenue, vers la fin de la campagne, l’un des sujets majeurs des primaires et les idées de Fillon, aussi radicales que floues, ont suscité quelques inquiétudes. Le principal concerné s’en est rendu compte et s’emploie, depuis dimanche, à désamorcer la polémique.

Mais rien, ni cette voix de mamie d’Annie, sympathique et bienveillante, ni le sujet, ne nous ont préparés à la suite. Avec sa voix douce, Annie a lâché une bombe. « Je comprends bien les vraies raisons », a poursuivi, sans changer de ton, la retraitée du Puy-de-Dôme, « notamment en pensant à la proximité qu’il y a entre Monsieur Fillon et le PDG d’Axa. » Et nous avons entendu la même petite musique que sous Sarkozy : « Ça avait déjà été évoqué, et on avait fait le même parallèle avec un de ses frères qui était à la tête d’une assurance privée. » Caramba ! Derrière la petite question de la retraitée, c’est tout un abîme politique qui se dévoile. Mais pour Annie, rien de plus normal : affirmer une telle énormité, c’est comme si elle parlait du temps qu’il fait en Auvergne. Elle continue, comme si de rien n’était, à poser tranquillement sa question : « Vers quel régime allons-nous ? Personnellement à la retraite, je laisse déjà une somme très importante sur ma mutuelle et sur une complémentaire. Alors, je m’inquiète pour les générations à venir ; c’est très préoccupant ;  j’ai l’impression que nous nous dirigeons vers un système, disons à l’américaine. »

J’ai retenu mon souffle. Comment allaient-ils répondre ? La petite dame venait à peu près de dire « vous êtes tous pourris ». Elle a carrément déclaré que Fillon ne s’intéressait pas à la France parce qu’il touchait de l’argent et que, bien évidemment, tout le monde le savait. Ah oui, bien sûr, avec l’autre, Sarkozy, c’était pareil : il faisait des réformes pour que son frère gagne du fric. Énorme !

Les jeunes élus, « aussi sourds que leurs aînés »

Dans le studio personne ne relève. Gérald Darmanin donne le ton : il ignore totalement la radicalité de la question d’Annie. « Je comprends votre position, d’autant plus qu’elle implique tous les français », répond-il comme si on ne venait pas d’affirmer que François Fillon roulait pour Axa. « Il faut faire attention à ne pas caricaturer les choses » continue le maire de Tourcoing en enfilant les lieux communs dans le plus pur style de l’« homme politique à l’écoute des Françaises et des Français ». Il a même casé la référence au Général de Gaulle dans le premier paragraphe de sa réponse («Il faudrait dire à Annie que la droite a fondé notre système social, avec le général de Gaulle »). Chapeau l’artiste !

Avec Edouard Philippe, ça a l’air de bien commencer : « C’est un des points les plus sensibles de cette élection ; et ce qui me frappe, ce n’est pas seulement la question que vous avez posée, mais c’est aussi le ton avec lequel vous l’avez posée. » A-t-il décidé de mettre les pieds dans le plat et de répondre à la dérangeante question d’Annie ? Le suspense n’a pas duré longtemps… « Clairement, j’entends de l’inquiétude ; une vraie inquiétude de quelqu’un qui se demande : comment je vais faire pour financer mes soins ? La peur du déclassement individuel, et aussi collectif. Et sur ces points, François Fillon va devoir rassurer ; et convaincre que la solution qu’il propose est la bonne. Et ça, c’est le grand sujet de la campagne. »  Blablabla…

Un pour tous ? « Tout pourris » !

Les deux jeunes élus promis à un grand avenir national sont donc aussi sourds que leurs aînés. Si Annie est inquiète, ce n’est pas vraiment de devoir débourser plus pour se soigner. Elle est inquiète parce qu’elle a l’intime conviction que ceux qui dirigent le pays n’en ont rien à cirer ni d’elle ni des autres Français car ils sont « là-haut » pour une seule raison : s’en mettre plein les poches. Elle l’a pourtant dit clairement : selon elle, François Fillon va réformer la Sécu pour enrichir son ami PDG d’Axa et ensuite s’enrichir lui aussi.  On peut parier que quand Annie fait ses courses ou discute avec ses amies autour d’un thé, on ne parle pas longtemps de la réforme de la santé, ni des deux points de TVA ou du soutien à la croissance par le levier de l’offre. Dans ces échanges, très vite, et peu importe par quelle porte on entre (santé, retraites, logements, chômage..), un consensus s‘installe : « nous sommes entre les mains de vendus ».

Voilà ce qui travaille le pays, la source d’une défiance profonde à l’égard du Politique et non pas envers telle ou telle politique. La méfiance est telle qu’elle mine toute légitimité. Pour utiliser une métaphore médicale, la question des honoraires importe peu si beaucoup des patients pensent que les médecins achètent leurs diplômes et roulent pour les sociétés pharmaceutiques. Et si c’est le cas, pas la peine de disserter sur le niveau et le délai des remboursements.

Effectivement, si l’enjeu des élections est de départager des candidats qui tous souhaitent s’enrichir en roulant pour les multinationales et la finance, la régularité de la procédure, la qualité du débat ou l’efficacité des mesures proposées n’ont aucune incidence sur la confiance des citoyens dans leurs élus nationaux. Voilà une piste pour ceux qui souhaitent comprendre ce qu’est « le système » : simplement le nom qu’ont donné les « outsiders » à tous ceux que la loi autorise à les piller.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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