Un député de la France insoumise, qui ne respecte pas la loi, « gazé » par les policiers ? Il n’en fallait pas plus à France Inter et Thomas Legrand, pour sauter sur l’occasion. Mais en voulant défendre Eric Coquerel, l’éditorialiste a multiplié les contradictions…
Le 11 mai, les étudiants qui devaient passer leurs partiels à la Maison des Examens d’Arcueil en ont été empêchés par environ 300 « bloqueurs » au nombre desquels des postiers, des cheminots et le député de La France insoumise, Éric Coquerel, ceint de son écharpe tricolore.
Planqué comme jamais
Celui-ci, atteint par les gaz lacrymogènes que les policiers qui protégeaient le bâtiment ont utilisés pour repousser les assaillants, a clamé haut et fort son indignation : « Surtout que je n’étais pas du tout en première ligne, j’étais là où j’estimais être à ma place, en soutien derrière ».
VIDÉO – Le député @ericcoquerel gazé deux fois alors qu’il était avec les étudiants qui bloquaient le site d’#Arcueil pour faire annuler les partiels de #Nanterre pic.twitter.com/Z55UMa3yuH
— Clément Lanot (@ClementLanot) 11 mai 2018
M. Coquerel nous explique donc, sans le moindre état d’âme, qu’il était un de ces planqués qui, depuis l’arrière, encouragent ceux qui sont en première ligne à s’exposer physiquement à la riposte policière : « Allez-y les gars ! ». M. Coquerel serait bien inspiré de méditer le vieil adage hérité du droit romain selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (Nemo auditur propriam turpitudinem allegans). Il est vrai qu’en tant que manifestant parlementaire (ou parlementaire manifestant), il pense pouvoir revendiquer légitimement un dédoublement de la personnalité : en tant que manifestant, il est un camarade pour les manifestants, un égal parmi des égaux, mais en tant que parlementaire, il doit être aux yeux des policiers un peu plus égal que les autres, un élu de la nation dont l’écharpe tricolore indique qu’il n’est pas soumis à la loi commune.
Eric Coquerel, « parfaitement dans son rôle de parlementaire »
Bien évidemment La France insoumise a dénoncé le « gazage » du camarade député tandis que La République en marche s’indignait de la participation d’un élu de la République à une action qui violait ouvertement les lois de la République. Dans sa chronique du 14 mai à la matinale de France Inter, l’éditorialiste Thomas Legrand se pose en arbitre dans cette double polémique. Dans un premier temps, l’arbitre des élégances politiques de France Inter feint de renvoyer dos à dos les deux parties : « Ces deux polémiques sont mauvaises ». Cependant une seule phrase, assortie de deux réserves, cible l’incohérence de La France insoumise en concédant que quand on participe à une manifestation interdite, on doit s’attendre à « subir les désagréments d’un délogement par la force ». Toute la suite de la chronique sera consacrée à justifier l’action du député Coquerel. En agissant de la sorte, il était, nous dit l’éditorialiste, « parfaitement dans son rôle de parlementaire ». Thomas Legrand ne nous dit malheureusement pas quel est l’article de la Constitution, ou à défaut du règlement de l’Assemblée nationale, qui met au nombre des devoirs du parlementaire la participation à des manifestations interdites visant à empêcher des citoyens d’accéder à un établissement public où ils ont été régulièrement convoqués. Peut-être le fera-t-il dans une prochaine chronique.
Toujours est-il que les justifications qu’il fournit sont les suivantes :
1 – Coquerel « n’est pas l’élu de sa circonscription mais par sa circonscription pour être celui de toute la Nation. Il est 1/577éme de la diversité politique du pays ».
2 – Soutenir des activistes qui violent la loi (qui sont « en marge de la légalité », dit-il pudiquement) fait partie de notre tradition parlementaire.
3 – Cette tradition est d’autant plus légitime que, la majorité parlementaire étant « surdimensionnée », l’opposition a peu de poids au parlement.
Eric Coquerel, représentant de la circonscription de la nation
Le premier argument est formulé à travers une contradiction si grossière qu’on en reste pantois. Ou bien le député est l’élu de la nation et pas celui de sa circonscription, ou bien « il est 1/577ème de la diversité politique du pays », c’est-à-dire le représentant de sa seule circonscription. Précisons donc les choses à l’intention du politologue de France Inter. Lorsqu’on dit que le député, quoique élu par les électeurs de sa circonscription, devient, une fois élu, l’élu de la nation, cela veut dire qu’en tant que législateur il a vocation à défendre les intérêts de la nation tout entière et non les intérêts de ses seuls électeurs, voire à sacrifier ceux-ci à ceux-là le cas échéant. Cela ne signifie en aucune manière que son vote, sa voix ou son opinion soit l’expression de la volonté générale et qu’il puisse aller dire aux activistes qu’il leur apporte le soutien de la nation tout entière. Thomas Legrand le sait d’ailleurs parfaitement puisqu’il reconnaît que le vote des AG est « très particulier » et que la majorité des étudiants ne sont « pas favorables aux blocages ».
Thomas Legrand, défenseur de la tradition
Le second argument, celui de la tradition, n’est recevable que si l’on admet que les traditions doivent, en tant que telles, être respectées. J’ignore si M. Legrand fait partie de ceux qui défendent la corrida au motif qu’elle est traditionnelle et à qui on objecte rituellement que l’excision ne l’est pas moins. Je sais en revanche, pour avoir entendu les chroniques qu’il a jadis consacrées au « mariage pour tous » que la définition du mariage comme union de deux personnes de sexe différent, pour traditionnelle qu’elle fût, ne lui a pas paru respectable, tant s’en faut.
Plus t’en as, moins t’as le droit
Probablement parce qu’il perçoit la faiblesse de ce second argument, Thomas Legrand lui en adjoint un troisième. Ce qui rend légitime cette tradition parlementaire (consistant à soutenir les actions illégales dans la rue quand on est minoritaire au parlement) c’est que l’opposition parlementaire est « passablement impotente » à la fois parce que les institutions de la Vème république sont favorables à l’exécutif et parce que les élections ont porté au pouvoir une « majorité surdimensionnée » qui, de surcroît, respecte la discipline parlementaire : les députés LREM ne votent pas les propositions de lois ou les amendements de La France insoumise ! Autrement dit, plus le nombre de députés que le peuple souverain a porté au pouvoir, dans des élections libres, est grand, moins ceux-ci peuvent prétendre incarner la volonté du peuple souverain et ce sont au contraire ceux qui ont été massivement rejetés qui, désormais dépositaires de l’intérêt général, l’incarnent légitimement en soutenant des actions illégales et en y participant.
Thomas Legrand, frontiste militant ?
Tout cela a évidemment sa logique et ce serait faire injure à M. Thomas Legrand que de le soupçonner de ne pas la suivre jusqu’au bout, comme si son apologie de la désobéissance aux lois était partisane et non citoyenne. « Notre vie parlementaire est ainsi faite, dit-il, elle ne permet pas à l’opposition de peser à la hauteur de ce qu’elle représente ». On devine ce qui le tracasse. Aux élections législatives de 2017, le Parti communiste a recueilli 217 833 voix qui lui ont permis d’obtenir 10 sièges tandis que le Front national avec 1 590 869 voix en obtenait seulement 8. C’est pourquoi si Marine Le Pen ou Gilbert Collard allaient bloquer avec quelques centaines de partisans l’accès à un bâtiment public, ou le siège du PCF, pour protester contre cette anomalie démocratique, ils pourraient compter sur le soutien de Thomas Legrand : « Tant que le parlement ne sera que la chambre d’enregistrement d’une majorité surdimensionnée, dirait-il, la participation d’élus d’opposition à d’autres formes d’actions, sera naturelle et logique ».
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