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« Make Industry Great Again »

La politique industrielle pour les nuls


« Make Industry Great Again »
Emmanuel Macron en visite dans l'entreprise STMicroelectronics à Crolles, en Isère. Le président dévoile la strategie et les investissements pour l'electronique dans le cadre France 2030, 12 juillet 2022 © ROMAIN DOUCELIN/SIPA

Pour le fondateur de l’Observatoire Janus, la puissance française est à l’heure des choix: l’industrie ou le déclin…


La désindustrialisation française ne s’est pas faite par hasard, mais par choix. Tandis que d’autres nations préservaient et renforçaient leur appareil productif, la France a laissé son industrie décliner, avec des conséquences économiques et stratégiques majeures. Aujourd’hui, face aux tensions géopolitiques croissantes, aux ruptures d’approvisionnement et à la guerre économique entre grandes puissances, la question n’est plus de savoir si la France doit réindustrialiser, mais comment y parvenir.

Depuis les années 1970, la France a subi une désindustrialisation, plus brutale que ses voisins. En misant sur les services et la finance au détriment de la production, elle a vu ses usines partir, son savoir-faire disparaître et la part de l’industrie dans son PIB s’effondrer. Là où Berlin a préservé un tissu industriel en intégrant la R&D et en soutenant les exportations, Paris a externalisé ses services, misé sur la consommation et alourdi la fiscalité des entreprises.

Ces choix ont eu des effets catastrophiques : perte de souveraineté, déficits commerciaux et disparition de groupes industriels majeurs. Contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, qui affichent des excédents grâce à leur industrie, la France décroche économiquement. Pourtant, alors que le débat sur la réindustrialisation s’intensifie, les mesures concrètes restent marginales. Or, la souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit.

En Asie : l’industrie au service de la puissance

L’industrialisation est toujours le fruit d’une volonté politique. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont bâti, en quelques décennies, des bases industrielles solides, faisant de leur économie un levier de puissance. Après 1945, le Japon engage une reconstruction industrielle dirigée par le MITI, un super-ministère chargé du développement économique. L’industrie est protégée par des barrières tarifaires et se structure autour des keiretsu, des conglomérats intégrés reliant banques, usines et services. Subventions et accès facilité au crédit permettent au Japon de devenir une puissance exportatrice.

Dans les années 1960, la Corée du Sud suit ce modèle avec une planification industrielle rigoureuse qui pilote le développement des chaebols. Ces conglomérats bénéficient de financements massifs et d’un accès aux marchés publics en échange d’objectifs d’exportation stricts. L’industrie lourde et la haute technologie deviennent les fers de lance du miracle coréen.

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Enfin, la Chine adopte, dès les années 1980, un modèle mêlant capitalisme et contrôle étatique. Avec les zones économiques spéciales, Pékin attire les capitaux étrangers tout en imposant des transferts de technologies. L’État pilote l’industrialisation à travers des plans ciblant les semi-conducteurs, les batteries et l’aérospatial. Les points communs de ces stratégies sont clairs : un État qui planifie, une industrie protégée, un soutien massif au crédit et une orientation vers l’exportation. Les résultats le sont tout autant.

Le Japon, pays défait et ruiné en 1945 devient le premier rival économique des États-Unis à la fin de la guerre froide. La Corée du Sud, qui affichait un revenu par habitant inférieur à celui d’Haïti au début des années 1960, figure aujourd’hui parmi les quinze premières économies mondiales. Quant à la Chine, son ascension vers le statut de première puissance mondiale parle d’elle-même. Contrairement à l’UE et son dogme du libre-échange, ces pays ont compris que la puissance industrielle repose sur l’alliance entre l’économie et le politique.

Aux États-Unis, un réveil tardif

Les États-Unis ont récemment amorcé un virage clair vers la réindustrialisation. Ils ont engagé une série de réformes pour protéger leurs industries stratégiques, relocaliser la production et sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

L’administration Trump impose des tarifs douaniers sur les importations chinoises, ciblant notamment l’acier, l’aluminium et les composants électroniques. L’objectif est de rendre les importations moins compétitives et de relancer la production locale. L’administration Biden a lancé le CHIPS Act en 2022, un plan de 52 milliards de dollars pour relancer la production nationale de semi-conducteurs.

La même année, l’Inflation Reduction Act injectait 370 milliards de dollars dans les industries vertes, avec une logique de relocalisation. Enfin, le Build America, Buy America Act, adopté en 2021, impose aux marchés publics de privilégier les entreprises nationales. L’accent est aussi mis sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’accès à une énergie compétitive. Cette réindustrialisation ne repose donc pas sur le marché, mais sur des politiques volontaristes, combinant protectionnisme ciblé, aides directes et incitations fiscales.

France: que faire ?

Aucune grande puissance industrielle ne s’est construite sans intervention de l’État. Trois piliers sont essentiels : protéger, financer, organiser.

Protéger l’industrie nationale passe par un protectionnisme ciblé. Conditionner les marchés publics à la production locale, imposer des barrières tarifaires sur les produits stratégiques, réguler les investissements étrangers pour éviter le rachat d’entreprises clés.

Financer et soutenir la montée en puissance des industries stratégiques exige la création de fonds souverains. Un crédit industriel préférentiel garantirait des prêts à taux réduits aux entreprises manufacturières. La fiscalité doit aussi être adaptée avec une baisse des charges sur la production, des incitations fiscales à l’investissement et une prime à l’export pour renforcer la compétitivité.

Structurer l’industrie autour d’écosystèmes compétitifs permettrait de rivaliser à l’international. Un Airbus des semi-conducteurs, des batteries, du cloud computing permettrait d’atteindre la taille critique pour s’imposer. Les États doivent favoriser la création de clusters industriels, reliant grandes entreprises, PME et centres de recherche pour maximiser l’innovation.

La réindustrialisation ne repose ni sur des slogans ni sur des demi-mesures. Elle implique des arbitrages et des choix stratégiques clairs et assumés.



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