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France Culture, l’ENS et les « bon juifs »


France Culture, l’ENS et les « bon juifs »

France-Culture nous a gratifiés, un matin du mois de janvier, d’une de ses séances d’encensoir, sans la moindre vergogne, glorifiant deux personnages qualifiés par le maître de céans, Marc Voinchet, de « trésors vivants de la nation ». Il s’agissait, on l’aura deviné, de deux idoles actuelles des foules réputées pensantes : Stéphane Hessel et Edgar Morin, dont Voinchet, efficacement aidé par sa nouvelle complice Julie Clarini, chantait les louanges en mode majeur et sur tous les tons.[access capability= »lire_inedits »]

Naturellement, aucun de ceux qui, ces derniers temps, avaient formulé des objections sur le contenu de l’opuscule de Hessel, même sur un ton poli et modéré, comme Boris Cyrulnik, Éric Le Boucher ou Pierre-Antoine Delhommais (du Monde) n’avait été convié à tenter un contrepoint au numéro d’admiration mutuelle auquel se sont livrés avec délectation Hessel et Morin. Le respect dû aux vieillards est tout à fait louable, mais il ne saurait suffire à remplir le cahier des charges d’une radio qui se veut éveilleuse de consciences dès potron-minet.

Il fallait tendre l’oreille pour trouver ce matin-là, dans la chronique de Philippe Meyer, absent du studio, un coup de patte indirect contre Hessel consistant à tresser les louanges d’un bouquin, paru en 2008, de la philosophe Myriam Revault d’Allonnes[1. L’Homme compassionnel, Seuil, janvier 2008]. Ce livre est une critique de ce que les Italiens appellent le « buonisme », approche compassionnelle de tous les problèmes en vertu de laquelle le seul fait d’apparaître comme une victime fait de vous un héros des temps modernes.

Hessel fit comme s’il n’avait pas entendu que c’était aussi à lui que ce discours s’adressait et l’on passa rapidement à la suite du passage de brosse à reluire, à peine tempéré par les objections rituelles, toujours polies et feutrées, du libéral de service, Alain-Gérard Slama.

Cette petite sauterie entre amis aurait dû se terminer par un bouquet final d’indignation collective contre l’interdiction par la directrice de l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm, Monique Canto-Sperber, d’un meeting public pro-palestinien et favorable au boycottage des produits israéliens, prévu le 18 janvier dans cet établissement, avec la participation des suspects habituels : Stéphane Hessel, bien sûr, mais aussi Leïla Shahid, Michel Warschawski et la députée arabe israélienne Haneen Zoabi. Il s’agissait, bien sûr, de stigmatiser les méfaits d’un lobby juif incarné par le président du CRIF, Richard Prasquier, lequel s’était réjoui, dans un communiqué, de l’annulation de ce meeting qui ne répondait pas aux critères du débat policé et contradictoire qui devrait être la règle dans cette prestigieuse enceinte universitaire.

Le grain de sel de Raphaël Enthoven

Hessel commença par donner sa version des faits, sur le ton patelin et faussement modeste qu’il affectionne : « On m’avait accordé une salle de l’ENS pour discuter avec quelques étudiants de mes récents voyages à Gaza, où j’ai pu constater les massacres et les destructions commises par les Israéliens ; cette interdiction est donc une atteinte inadmissible à la liberté d’expression dans un lieu qui devrait, au contraire, en assurer le plein exercice. » Cette version pour le moins incomplète, sinon mensongère, serait passée comme une lettre à la poste si un autre animateur de France Culture et ancien normalien, Raphaël Enthoven, n’avait pas vu de la lumière dans le studio 167 et ne s’était imposé pour mettre son grain de sel. Il fit valoir que cette rencontre intime présentée par Stéphane Hessel s’était en fait muée en grand meeting de soutien aux boycotteurs de produits israéliens et qu’il y avait eu, de la part des organisateurs, tromperie sur la marchandise vis-à-vis de la direction de l’École. Il s’inscrivit également en faux contre l’idée que cette annulation avait été provoquée par les pressions du président du CRIF sur la directrice.

En dépit d’efforts méritoires de Julie Clarini pour faire porter le chapeau de cette pénible affaire au président du CRIF, l’intervention d’Enthoven sauva cette édition des « Matins » du ridicule pompeux dans lequel elle se vautrait depuis l’aube.

L’affaire ne s’est pas arrêtée là : quelques auditeurs furieux encombrèrent la boîte mail de France Culture pour protester contre l’incroyable complaisance de cette chaîne envers l’un de ses producteurs qui avait eu le culot de manquer de respect envers Messieurs Hessel et Morin. Le lendemain, Olivier Poivre d’Arvor, directeur de France Culture, se sentit obligé d’expliquer que cette affaire du Proche-Orient était décidément bien compliquée, soulevait des passions insensées, et que France Culture tentait au mieux de naviguer dans cet environnement tempétueux en maintenant un équilibre toujours précaire.

Normale sup, du maoïsme à l’antisionisme primaire

On dira que chacun voit midi à sa porte, mais force est de constater que les intellectuels qui tentent de penser hors de la vulgate pro-palestinienne et les représentants qualifiés du judaïsme organisé sont assez inaudibles sur France Culture. Pierre-André Taguieff, Shmuel Trigano, Raphaël Drai, Georges Bensoussan et quelques autres ont, sur le sujet, des choses à dire qui pourraient éclairer les auditeurs réputés adultes d’un programme intellectuellement exigeant. Même Elie Barnavi, ancien chouchou de la sphère médiatique, se fait de plus en plus rare car il n’entre pas totalement dans le moule du « bon juif » radiophonique, passant son temps à cogner sur Netanyahou et le CRIF. Or, j’ai beau être un auditeur assidu de France Culture, il ne me semble pas avoir eu, récemment, l’occasion de les entendre, alors qu’ils ont, ces derniers temps, publié des ouvrages dont l’intérêt n’est pas moindre que ceux d’Esther Benbassa et de Charles Enderlin, invités récurrents du service public de radiodiffusion… On peut aussi estimer scandaleux que Richard Prasquier, mis directement en cause dans les « Matins », n’ait pas été invité à faire valoir son point de vue dès le lendemain… On me répondra : « Finkielkraut ! » D’accord, Finkielkraut, il est tous les samedis à 9h10 sur France Culture. Mais il doit faire preuve, sur ce terrain, d’une certaine réserve, d’abord parce qu’il est l’animateur, ensuite parce qu’il a, il y a deux ans, subi un lynchage médiatique insensé après s’être fait piéger par des journalistes du quotidien israélien Haaretz.

Quand à l’insupportable acte de censure dont se serait rendue coupable Monique Canto-Sperber, directrice de l’ENS, on doit rappeler, à sa décharge, qu’un séminaire dans les locaux de l’École sur l’histoire politique du sionisme, animé par les professeurs Yves-Charles Zarka, Raphaël Drai et Elhanan Yakira , le 12 mai 2010, avait fait l’objet d’une agression vociférante de militants pro-palestiniens élèves de l’École, ou introduits de l’extérieur, qui s’étaient érigés en police de la pensée.

Confondre l’ENS avec une « base rouge » maoïste avait mené, dans les années 1970, cette école au bord de l’abîme. Le récit de Jean-Claude Milner[2. L’Arrogance du présent. Regards sur une décennie, 1965-1975, Grasset, 2009]. sur cette période est, à cet égard, lumineux. Il n’est pas étonnant que ceux qui furent à l’origine de cette perversion, les Badiou, Balibar ou Lévy-Leblond, archicubes impénitents, instrumentalisent le conflit israélo-palestinien pour entraîner leurs successeurs sur cette voie sans issue.[/access]

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Février 2011 · N°32

Article extrait du Magazine Causeur



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