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19 mars 1962: la date maudite

La guerre n'était pas terminée pour tout le monde


19 mars 1962: la date maudite
Krim Belkacem, chef historique du FLN durant la guerre d'indépendance, il fut à la tête de la délégation du GPRA lors des Accords d'Evian © DALMAS / SIPA

Le texte d’Evian, publié le 19 mars mais en réalité signé la veille, a marqué le début d’un terrorisme silencieux, fait d’enlèvements d’Européens et de massacres – notamment des harkis, qui ont comptabilisé le plus de victimes.


Le 18 mars 1962, les négociateurs d’Evian signaient un accord de cessez-le-feu entre l’armée française et le FLN qui dirigeait la rébellion indépendantiste. Le texte était accompagné de « déclarations gouvernementales » censées garantir la sécurité des Européens présents en Algérie, comme de ceux, de toutes origines, qui s’étaient opposés au FLN.

Les harkis [1], supplétifs de l’armée française n’étaient pas mentionnés. La promesse, toute verbale, du FLN qu’il n’y aurait pas de représailles contre eux, fut jugée suffisante par Louis Joxe [2].

Le texte d’Evian fut publié le 19 mars 1962. Il fut suivi pour les Européens d’un surcroît d’enlèvements et d’horribles massacres. Les victimes musulmanes du FLN furent probablement plus nombreuses durant ces six mois qu’elles ne l’avaient été durant les huit années précédentes. Le nombre des Pieds-Noirs enlevés quintupla [3], contraignant l’immense majorité d’entre eux à un exil définitif résultant d’une épuration ethnique pure et simple. Ajoutons que durant ce semestre abominable, nombre de militaires français furent tués ou enlevés ; 177 d’entre eux demeurent portés disparus à ce jour (chiffre provisoire sans doute inférieur à la réalité) [4].

Enlèvements au hasard

Donner la date du 19 mars à des places, à des rues, à des ponts (à Toulouse), fêter cette journée, prétendre y voir la fin du conflit algérien, est donc une insulte à toutes les victimes de cette époque, un outrage à l’Armée française, un défi au sens national le plus élémentaire et une injustice criante.

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En effet, contrairement à ce qui s’affirme parfois avec légèreté, le FLN représenté par Krim Belkacem , à l’époque homme fort de ce mouvement, a bien signé et paraphé les accords d’Evian. Cette organisation a donc délibérément violé le texte auquel elle avait souscrit (et qu’elle négocia durement). Elle a donc totalement engagé sa responsabilité morale et matérielle dans ce qui suivit. La participation ouverte de ses commandos, de son armée et de ses militants aux enlèvements massifs et aux exécutions durant les neuf mois postérieurs au 19 mars devrait inspirer une condamnation unanime. Ce n’est pas le cas, ce qui illustre le relativisme troublant de l’idéologie des droits de l’homme, devenue le fondement de l’univers occidental actuel. L’opprobre ne devrait d’ailleurs pas épargner certains responsables politiques français de l’époque.

Dès le 17 avril 1962, l’encre d’Evian étant à peine sèche, le FLN inaugura le terrorisme silencieux, les enlèvements massifs d’Européens à Alger, à Oran, dans la campagne oranaise et en Mitidja. Ces rapts prenaient pour prétexte : la lutte contre l’Organisation Armée Secrète (OAS) [5].  Après l’échec du putsch des généraux en avril 1961, les partisans de l’Algérie française soutenaient en effet cette organisation clandestine. Mais les enlèvements visaient n’importe quel Européen, au hasard.

Les « anticolonialistes », qui donnent le ton aujourd’hui dans les médias et les milieux officiels, font de l’OAS la responsable de l’échec d’Evian et de l’exil des Pieds-Noirs. C’est un procédé commode mais malhonnête. L’organisation secrète, surtout en fin de course, en juin 1962 n’avait plus ni stratégie, ni tactique. Il en résulta des dérives diverses et une confusion chaotique terminées par une (pseudo) négociation avec le FLN [6]. A ce stade, l’OAS menaça de pratiquer la « terre brûlée ». Des historiens de pacotille lui imputent cette politique depuis sa naissance, alors qu’elle ne dura qu’une semaine.

Massacres à Oran et rue d’Isly

L’histoire de l’OAS s’étend sur seize mois, de mars 1961 à juin 1962. Quelles que furent ses errances finales, -elles furent indéniables et eurent des conséquences-, en faire le bouc-émissaire de tous les échecs ultimes des autorités françaises n’est qu’une manière peu subtile d’exonérer le pouvoir d’alors et de blanchir le FLN de ses crimes vis-à-vis de l’Algérie, des harkis et des Pieds-Noirs.

Car après le ratissage de Bab-el-Oued, ceux-ci subirent aussi la fusillade du 26 mars 1962 rue d’Isly [7], puis la longue succession des crimes des nouveaux maîtres du pays. Un exemple en donnera une idée : en mai 1962 ,272 Européens furent enlevés en Alger contre 44 en avril. A la fin du mois de juin, on évaluait à près de 1000 les victimes européennes de rapts dans la seule capitale.

A partir du 17 juin, à la suite d’un accord FLN-OAS, les enlèvements ralentirent. Ils reprirent de plus belle après le 3 juillet, date de la proclamation de l’indépendance. Deux jours après, le 5 juillet à Oran, une manifestation venue des quartiers musulmans submergea le centre-ville européen. Quelque 700 Pieds-Noirs et une centaine de musulmans (sans doute pro-français) furent massacrés[8]. Ceci accentua l’exode et le rendit irréversible.

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Les victimes les plus nombreuses se situent toutefois parmi les musulmans. Dès la signature des accords du 19 mars, des harkis furent attaqués à Saint-Denis- du-Sig. A Saïda, des membres du commando Georges furent enlevés et tués par l’organisation indépendantiste alors même que plusieurs d’entre eux étaient des officiers français. Après le 3 juillet, les représailles contre les musulmans ayant combattu le FLN s’intensifièrent. Des dizaines de milliers furent assassinés, emprisonnés ou persécutés de diverses manières [9]. Quelque 90000 harkis, familles comprises, furent transférés en France grâce à l’action clandestine de quelques officiers. Les autorités militaires, tout en signalant les épreuves subies par nos compatriotes musulmans, n’en relayèrent pas moins des recommandations insistantes et répétées de ne pas les faire venir en France. Ces faits largement établis historiquement n’en sont pas moins dissimulés voire niés aujourd’hui par quelques chercheurs « engagés ».

Ceux qui ont vécu les événements de ce vilain temps en sont marqués à jamais.

La date du 19 mars 1962 demeurera celle d’une ineffaçable infamie.

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[1] Harkis : supplétifs mobiles de l’armée française. Par extension, tout Musulman ayant combattu le FLN.

[2] Ministre d’Etat chargé des affaires algériennes, dirigeait la délégation française à Evian.

[3] JJ Jordi Un silence d’état. Ed. Soteca 2011, p. 155, chiffre à 300 les Européens disparus avant le 19 mars et à 1253 après. S’y ajoutent 123 personnes dont les corps furent retrouvés et 170 cas incertains.

[4] A ce jour, le gouvernement français a refusé d’ouvrir les archives concernant ces militaires disparus. Seuls les civils ont été étudiés.

[5] M. Faivre Les archives inédites de la politique algérienne. Ed ; L’Harmattan 2001. Vers la Paix en Algérie op. collectif Ed. Bruylant. Bruxelles 2003. Les pages signées y sont reproduites.

[6] L’OAS fut créée à Madrid le 10 février 1961 et devint active en mars et surtout à l’automne suivant. Le FLN et ses séides prétendent aujourd’hui que les enlèvements ciblaient des militants de l’OAS. Dans La Phase Finale de la Guerre d’Algérie Ed. L’Harmattan 2011 nous avons montré que les rapts pouvaient toucher aveuglément n’importe quel Européen.

[7] Voir notre ouvrage Une Ténébreuse Affaire : La Fusillade du 26 mars 1962.Ed. L’Harmattan 2009.

[8] Jordi.op.cité ,p.155.

[9] M.Faivre Les combattants musulmans de l’Armée française.Ed.L’Harmattan 1995.



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Historien, spécialiste de l’Algérie française, il a publié en 2020 Dissidence – Dissonance, Contre la désinformation sur la guerre d’Algérie.

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