Du déclenchement de l’affaire Benalla au soulèvement des gilets jaunes, la fin d’année 2018 en a été témoin: la chute du macronisme aura été aussi fulgurante que son ascension. Régulièrement trompés et infantilisés par une classe politique en bout de course, les Français ont (enfin) repris les choses en main.
Les images triomphantes d’un président fringant dévalant les pentes de la Mongie aux côtés de son fidèle compère Benalla, prises il y a un an, semblent émaner d’une planète lointaine et parallèle, provenir d’une autre époque et d’un autre monde à la manière de l’environnement suranné d’Hibernatus ou de la mission InSight sur la planète Mars, tant la chute dans le réel a été vertigineuse et rapide pour le macronisme. Un changement d’ère s’est opéré en 2018 qui, pour être prévisible au regard des conditions d’élection du candidat En Marche et de son style de gouvernance, n’en est pas moins spectaculaire quant à son ampleur et ses effets.
Problème de communication
Un réveillon plus tard, Emmanuel Macron ne peut quasiment plus se montrer en public sans être couvert d’opprobre et de manifestations d’un rejet plus ou moins violent, contraint de se maquiller à outrance – même les mains, confient quelques belles âmes éplorées, sans doute dans une énième tentative de communication destinée à susciter l’empathie des citoyens pour le monarque repentant et déchu de sa superbe -, forcé tel un enfant qui aurait eu de mauvais résultats scolaires de renoncer aux pistes enneigées sur les conseils de son entourage afin de ne pas encore distiller par quelque phrase, geste ou symbole maladroits dont il a le secret de nouvelles sources de mécontentement.
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2018 a vu le piège de l’instrumentalisation communicationnelle, de la disruption, de la provocation se refermer sur son apprenti artificier. Les petites phrases clivantes, moqueuses voire virulentes, qui pouvaient encore passer en phase de conquête du pouvoir et pendant les quelques mois d’état de grâce qui s’ensuivirent, sont devenues insupportables au peuple français par ce qu’elles traduisaient de morgue et d’arrogance, mais aussi de la violence sociale dont elles étaient l’expression symbolique. Car, en politique comme ailleurs, le fond et la forme ont partie liée et un échec de communication est toujours aussi le révélateur d’un échec d’action, quoi qu’en pensent avec une stupidité réitérée de nombreux communicants et gouvernants qui, depuis des décennies, invoquent pour expliquer leur chute un défaut de pédagogie.
Provocations et « nervous breakdown »
En réalité, les choses sont bien plus simples : les Français ont parfaitement compris telle ou telle action, et ils n’en veulent pas, et jusqu’à plus ample informé, c’est encore le peuple qui est souverain, quoi que l’on fasse pour le déposséder de son pouvoir. N’en déplaise ainsi à l’impayable Gilles Legendre, patron des députés En Marche à l’Assemblée nationale, les citoyens français ne sont pas moins intelligents que leurs élites technocratiques, ils voient ce qui est accompli parfois avec un bon sens qui se passe d’expertises complexes, l’évaluent en conscience, et le rejettent lorsqu’ils le jugent opportun.
Les Français ont ainsi pu assister au cours de l’année 2018 à la métamorphose du palais de l’Elysée. Hideusement travesti en dancefloor obscène (étymologiquement « hors de la scène ») pour une fête dite « de la musique » (« Ce soir, brûlons cette maison. Ce soir, brûlons-la complètement», « T’es vénère parce que je me suis fait sucer la bite et lécher les boules », etc. ont résonné dans sa cour), il est devenu, quelques mois plus tard, un bunker du pouvoir retranché à l’abri précaire de la colère du peuple et des violences d’une société profondément fracturée. L’occasion de vérifier une nouvelle fois, au pays de Molière, que la farce et le tragique ne sont jamais très éloignés l’un de l’autre. Finies les petites sauteries douteuses, les selfies moites aux Antilles avec braqueur et doigts à l’honneur, les injonctions méprisantes à traverser la rue pour trouver du travail, les coups de menton défiant l’opposition à « venir le chercher », les tirades contre les « Gaulois réfractaires » et les méchantes nations. Le peuple semble avoir perdu le sens de l’humour à force d’attaques sociales et de petites piques et, à l’image de l’homme de la Pampa des Tontons flingueurs, bien que parfois rude, le peuple reste toujours courtois, même si la vérité oblige à le dire : ces provocations ont, semble-t-il, commencé à les lui briser menu…
Avec Benalla, les masques sont tombés
L’affaire Benalla (saison 1) a été le détonateur et le révélateur d’un mécontentement qui grondait, relatif à la gouvernance macronienne : mépris des corps intermédiaires, des corps constitués, mépris de l’opposition parlementaire qui a trouvé là l’occasion de se réveiller enfin de sa torpeur. Et il y a quelque chose de piquant et d’irréel à entendre le Premier ministre demander quelques mois plus tard le soutien des syndicats et partis politiques pour faire baisser le niveau de tension provoqué par la révolte des gilets jaunes, après que ces interlocuteurs ont été copieusement étrillés – songeons par exemple à l’invraisemblable mépris dont ils ont fait l’objet lors de la parodie de démocratie qu’ont été les commissions d’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla.
2018 est l’année où les masques sont tombés, pour ceux qui étaient encore dupes du spectacle. Les masques du mépris social, du mépris de classe, du mépris culturel, toujours si prompts à s’exprimer. A l’occasion du mouvement des gilets jaunes, on a pu voir sortir du bois tous ceux qui, de droite comme de gauche, n’ont pour instinct que la préservation de leurs intérêts, Thiers anticommunards aux petits pieds, toujours enclins, lorsque l’Histoire leur donne rendez-vous, à choisir le camp de la répression plutôt que la défense du peuple dont ils ont profondément la hantise.
Fin de droite
La droite classique, à supposer que la distinction droite/gauche ait encore une quelconque pertinence autre qu’historique, a raté ce rendez-vous pourtant inespéré avec le peuple, qui lui était cependant servi sur un plateau. Elle a balbutié des arguments contradictoires, a enfilé un gilet jaune plus ou moins en cachette puis s’est rangée bien sagement, apeurée derrière la Restauration de l’Ordre sitôt que cela s’est mis à sentir un peu la poudre.
Elle ne se remettra pas de cette nouvelle erreur de jugement non plus que de cette absence de conviction, parcourue de toute façon qu’elle est par une allergie pathologique à la fonction publique, à la dépense publique, par un amour effréné de la dérégulation et de l’ouverture des frontières au néo-libéralisme européiste qui s’oppose en tous points à la souveraineté nationale. Il y a longtemps qu’on sait que les héritiers de De Gaulle et du Conseil national de la Résistance ne sont pas dans ces rangs-là.
Et à la fin, c’est le peuple qui gagne
La France insoumise a, quant à elle, profité de ses entrefaites pour exploser et imploser, cible de l’instrumentalisation judiciaire la plus grossière mais tiraillée également par ses propres contradictions. Les souverainistes du mouvement, les ardents défenseurs de la République universaliste, sociale, laïque, anticommunautaristes et très fermes sur la lutte contre l’islamisme, se sont dégagés du mouvement. Il semble désormais évident qu’une force populaire, qui ne manquera pas d’être qualifiée de populiste par les représentants de l’ancien monde, va finir par voir le jour dans une solution à l’italienne et qui seule permettra au peuple de se fédérer contre les intérêts qui concourent à lui nuire. Ce rapprochement « populiste » transpartisan ne verra peut-être pas le jour pour les élections européennes, lesquelles promettent toutefois d’être un désaveu électoral cinglant pour la majorité, mais tout laisse à penser que c’est vers la constitution d’une telle force politique que tendra in fine la révolte des gilets jaunes, laquelle s’est déjà traduite par une hausse spectaculaire des intentions de vote pour le Rassemblement national, désormais très largement en tête des sondages.
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2018 est l’année de l’éveil du peuple. L’année aussi où le social a repris le pas sur le sociétal, où les conflits liés aux conditions de vie et de travail ont repris le devant de la scène face aux élucubrations d’un sociétalisme gauchiste sombrant dans le grotesque (« Qui vous dit que je suis un homme ? »). On comprend que les stars du show-biz se soient empressées de se carapater pour défendre le climat dans une remarquable coïncidence calendaire, mais, même sur ce point, c’est encore le peuple qui a gagné et qui n’a pas été dupe : un peuple qui n’a pas accepté le chantage et la culpabilisation climatiques, qui veut contribuer à l’écologie mais qui ne veut pas que cela se fasse perpétuellement sur son dos. La manipulation n’a pas fonctionné.
Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver…
Enfin, 2018 est l’année où les discours culturellement dominants ont été battus en brèche, où les penseurs, commentateurs, chroniqueurs, intellectuels jusqu’à présent qualifiés de réactionnaires, souverainistes, repliés, soupçonnés d’appartenir à quelque hypothétique fachosphère et relégués aux confins du monde médiatique et civilisé, fréquemment mis au ban, jugés, lynchés, ont pris la main. Force est de constater que ce sont eux désormais qui font le débat, qui ont l’initiative du jeu comme on dit en matière sportive. Les manipulations propagandistes auxquelles l’opinion publique est soumise à grands renforts de lois sur les fake news, de discours clivants et hystérisants sur le progressisme auquel s’opposeraient les nations, les élucubrations complotistes du pouvoir (sitôt qu’il perd la maîtrise d’un sujet) sur l’intervention constante de l’ours russe, les discours technocratiques et formatés sur l’Union européenne, le prêt-à-penser, le politiquement correct, les balivernes managériales, le laxisme face à l’islamisme, l’absence de convictions laïques, l’ouverture des frontières au tout venant, la criminalisation de l’opposition politique et sociale : sur tous ces sujets, le peuple (de droite comme de gauche), soucieux de la préservation de sa souveraineté et de ses propres intérêts, a repris peu à peu la main et la maîtrise de l’agenda dans le débat public.
2019 sera donc l’année de la concrétisation de cette souveraineté, à commencer par sa reconquête au niveau européen.
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