Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix.
Les nations ne peuvent pas s’allonger sur un divan. Et c’est fâcheux car les névroses collectives existent. Entre les pays aussi, il y a des histoires qui finissent mal, des guerres qu’on n’arrive pas à terminer, des fantômes qui rôdent. Beaucoup d’Algériens diront qu’entre la France et l’Algérie, ça avait mal commencé. C’est aussi ce que devaient penser, sur la rive nord de la Méditerranée, les victimes des razzias barbaresques. Mais on n’est pas là pour se jeter des crimes à la figure. Maintenant que chacun est chez soi, vivons en paix ! Problème : si le divorce a été signé en bonne et due forme il y a plus de soixante ans, nous avons raté la séparation de corps et d’esprit. D’où la succession de chamailleries, récriminations et portes qui claquent. « Notre relation avec l’Algérie est surdéterminée par des considérations psychiatriques », remarque un diplomate. Pour la France, l’Algérie est quasiment une question intérieure et vice-versa. Il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous.
Relation à tendance sado-maso
Cependant, dans la relation imaginaire qui a supplanté ou revisité la vérité historique, nous sommes loin d’être à égalité. Il y a un coupable et une victime. Pour les dirigeants algériens, la France est responsable de tout ce qui ne va pas chez eux et la liste est longue. Après des décennies de matraquage, une partie des générations arabisées a fini par le croire, même si l’historien Benjamin Stora veut croire que, derrière la haine ou l’indifférence des jeunes Algériens pour l’ancienne métropole, l’amour demeure. Lui-même demeure habité par son enfance juive à Constantine : « Il y a de l’amertume, des ressentiments, mais aussi de la nostalgie heureuse pour ce pays magnifique. » Cependant, dans le récit officiel algérien, l’action française n’est qu’une litanie de crimes, de la conquête en 1830, qualifiée de génocide, à la guerre d’indépendance, fantasmée comme une victoire de David contre Goliath, en gommant évidemment les épisodes douloureux tels que l’écrasement des messalistes ou la prise du pouvoir par l’Armée des frontières. Rien ne doit ternir la légende dorée d’un FLN seul vainqueur du redoutable envahisseur.
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Or, une partie notable des élites françaises a intégré ce narratif en noir et noir. Selon celui-ci, nous n’avons commis là-bas que des crimes et, loin d’avoir payé notre dette en accueillant sur notre sol et dans la communauté nationale des millions de descendants d’Arabes d’Algérie (quand les pieds-noirs sont partis dans les conditions que l’on sait), nous avons persévéré dans le mal, le racisme succédant au colonialisme. Cette propension à l’autoflagellation culmine avec la déclaration d’Emmanuel Macron assimilant la colonisation (qui n’a certes pas été une promenade de santé) au crime contre l’humanité. Bugeaud-SS ! Certes, le même, quelques années plus tard, fustigera la rente mémorielle, comme un type qui donnerait des coups de pied dans le juke-box où il n’a cessé de glisser des pièces. Mais au-delà de ses errements personnels, le président endosse l’héritage idéologique de la gauche française. Dans les années 1960, elle s’est refondée dans le soutien au FLN. Le combat anticolonial a été son totem de Résistance. L’ennui, c’est qu’il n’a pas accouché du paradis socialiste promis, mais d’une dictature militaire kleptomane qui a réussi à conduire à la faillite ce pays de cocagne. Avoir contribué à ce gâchis olympique, il y a de quoi avoir des remords. Aussi la gauche en a-t-elle rajouté dans l’antiracisme pénitentiel, conférant aux immigrés le statut de victimes éternelles et irréprochables, ce qui les a enkystés dans la plainte. Ainsi sommes-nous tous pris dans une relation à tendance sado-maso – « J’ai été très méchant, punis-moi ». Dans une alcôve cela peut avoir son charme, entre peuples, c’est mortifère.
Il est temps pour les Algériens d’aller consulter !
Emmanuel Macron a pensé que l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, en 2019, serait l’occasion de réinitialiser la relation franco-algérienne. « Ça avait du sens d’essayer, poursuit le diplomate. L’Algérie comme Israël sont des questions intérieures pour nous. De plus Tebboune n’est pas foncièrement antifrançais. Et justement, il fait de la surenchère pour ne pas être accusé de francophilie. » Comme l’observe dans notre dossier du mois un autre témoin privilégié de la relation entre les deux pays, l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, inlassable avocat d’une normalisation, aux gestes d’apaisement et autres câlins mémoriels multipliés par Paris, Alger a répondu par des rebuffades et fins de non-recevoir. Quant à la commission d’historiens chargée d’établir un récit commun, sous la houlette de Benjamin Stora, elle ne pouvait que capoter, les historiens algériens n’ayant pas la liberté de s’écarter du discours mémoriel officiel. Ses membres se sont néanmoins sentis légèrement trahis en découvrant dans la presse que Macron avait finalement décidé, cet été, de jouer la carte du Maroc.
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Quoi que pensent beaucoup de Français, excédés par la délinquance comme par la repentance, on ne peut pas réécrire l’histoire. Pour la France, l’Algérie ne va pas devenir demain un partenaire parmi d’autres, au même titre que la Suisse ou le Japon. Pour au moins deux raisons. D’abord, il y a les enfants, ces millions de Français nés au xxie siècle dont beaucoup se définissent encore comme d’anciens colonisés, au point de se qualifier d’indigènes. Il faudra bien qu’ils choisissent s’ils sont d’ici ou de là-bas. Ensuite, comme l’observe un connaisseur de la région, depuis la partition du Soudan, l’Algérie est le plus grand pays d’Afrique : « Au nord, c’est lui qui a la plus grande frontière maritime avec l’Europe. Au sud, le Sahara algérien est le plus grand désert du monde. Tous les mouvements djihadistes et les trafiquants qui circulent au Sahel sont contenus par l’armée, de même que les candidats à l’exil. » Le nombre de sans-papiers, essentiellement nigériens, retenus sur le sol algérien en échange de diverses aides de Paris est estimé à 400 000. Et la coopération antiterroriste est, semble-t-il, toujours féconde.
À la fin de la guerre, de Gaulle voulait qu’on referme « la boîte à chagrins ». À en juger par la schizophrénie des Franco-Algériens ou par la mémoire toujours douloureuse des pieds-noirs, on en est loin. On ne la fermera pour de bon, cette boîte, que le jour où les Algériens feront eux aussi leur examen de conscience et renonceront à leur obsession française. Un bon analyste leur montrerait que, pour recouvrer leur souveraineté, ils doivent assumer leur part de responsabilité, donc reconnaître leurs torts, particulièrement envers les pieds-noirs. L’Algérie fait partie de l’histoire de France –on n’efface pas le passé, ni les assiettes cassées, ni les bons moments. La première condition pour que des ex deviennent de bons amis, c’est la vérité.
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