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Frah (Shaka Ponk) : « Les gens ne savent pas comment faire pour moins polluer »

Entretien déplastifié avec le chanteur du groupe


Frah (Shaka Ponk) : « Les gens ne savent pas comment faire pour moins polluer »
Frah, chanteur du groupe Shaka Ponk. © Denis Rouvre

Entouré d’un collectif de 32 personnalités (dont  Aymeric Caron, Audrey Pulvar, Christophe Willem ou Maxime Le Forestier), le groupe de rock Shaka Ponk a lancé une initiative pour « réduire notre empreinte écologique » à l’aide de « 22 gestes qui, si tout le monde s’y mettait, sauveraient l’homme et la planète ». Entretien avec Frah, le chanteur du groupe.


Marine Rolland. Comment est née l’initiative « The Freaks » ?

Frah. Je te fais la petite histoire. On était étroitement en relation avec la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) depuis quelques années déjà. Ils avaient sollicité Shaka Ponk et plein d’artistes pour aider My Positive Impact, une de leurs associations en quête de solutions pour lutter contre la pollution. Il fallait voter pour les trois meilleures et diffuser l’info sur les réseaux. On trouvait ça cool mais on voulait faire plus. Alors, pendant la tournée des Zénith de 2014, on s’arrêtait au milieu du concert pour passer le message. On se rendait bien compte que les personnes étaient ultra réceptives mais à la fin du speech tout le monde jetait son gobelet en plastique en l’air pour célébrer… Et il fallait ramasser 7500 gobelets à la fin du show. C’est un vrai paradoxe… Aujourd’hui encore, on sent que les gens comprennent la situation mais n’ont aucune notion de comment faire pour moins polluer. Ils ne savent pas par où commencer. Le but de « The Freaks » est de fournir cette base, avec une liste de gestes simples pour réduire notre empreinte environnementale.

Vous disiez, dans une interview à Ouest France : « C’est bien de faire des belles chansons, mais cela ne suffit pas. Il faut faire et montrer comment résoudre le problème sur le terrain. » Comment vous y prenez-vous pour cela ?

D’abord, on s’est énormément documenté sur nos consommations actuelles. Puis on a fait une tonne de sondages, de questionnaires… On a tout décortiqué. Se sont dégagées trois types de réactions : ceux qui attendent que les politiques agissent ; ceux qui reprochent aux industriels de produire ce qu’on n‘a pas le choix d’acheter, mais qui est polluant ; et la troisième, la fataliste qui se résumait à : « Ça ne sert à rien que je change ma manière d’être, et de vivre, parce que de toute façon mon travail est polluant ». On a l’impression que les gens se retrouvent emprisonnés dans une sorte de triangle des Bermudes, constitué des politiques, des industriels et de leur travail, en se disant « c’est cuit ». Le problème, c’est le manque de but et de résultats directs. Sans mentir, c’était un enfer, et on a failli laisser tomber plein de fois. Sur le terrain, on a travaillé pendant plusieurs mois sur la journée classique d’un consommateur – de nous tous en fait – et on a chiffré 200 comportements récurrents. L’idée était de valider un théorème : si un maximum de gens, indépendamment de leur job ou des politiques, intégraient certains changements au quotidien, cela aurait-il de vraies conséquences pour modifier le triste destin qui attend l’humanité ? Il fallait prouver que c’était vraiment possible.

C’est plutôt de la part des politiques qu’on pourrait attendre ce genre de projet…

C’est vrai. Mais le problème est plus grand. On ne peut – presque – pas leur reprocher d’avancer à reculons. Pas plus qu’aux industriels de produire des produits jetables et polluants car, à la fin de la journée, c’est nous qui les achetons en masse. Pourquoi ils arrêteraient d’en produire ? Notre système fonctionne, alors expliquer qu’il faut arrêter quelque chose qui marche, en disant que « dans 20 ans ça sera mieux », c’est compliqué ! Les électeurs demandent du pouvoir d’achat, du boulot, et ne se soucient pas de la qualité des produits qu’ils achètent, ni de leur impact sur l’environnement. Le métier de l’homme politique c’est d’être élu, et celui de l’industriel c’est de brasser de l’argent. C’est  « normal » qu’ils continuent d’avancer comme ça tant que ça marche. Nous, on a eu du mal à se dire que c’était de leur faute. On préfère se dire que c’est à nous tous de changer nos façons de consommer.

Sur votre site, on ne trouve pour le moment que « 22 gestes qui, si tout le monde s’y mettait, sauveraient la planète », une vidéo où vous expliquez le projet, et une liste des artistes engagés dans le collectif. Au premier abord, ça reste assez léger pour sauver la Terre…

C’était plus ou moins notre but. On a mis « The Freaks » en ligne sans trop communiquer dessus, et on continue d’ajouter des gestes au fur et à mesure. L’idée étant que, lorsqu’on en parlera et qu’on fera une grosse promo dessus, les gens soient déjà familiers avec le projet et se disent  « ah oui ! C’est le fameux collectif ». A partir de la rentrée, on va passer à la vitesse supérieure avec des tutos et des fiches signalétiques pour chacun des membres. Qui a essayé quoi ? Comment ? Depuis combien de temps ? Est-ce que ça a marché ou pas ? À côté de ça, on prévoit aussi des conférences pour pouvoir parler librement du projet et sensibiliser le plus de monde possible. L’objectif premier, c’est vraiment que plus de gens se sentent concernés. Ce n’est qu’ensemble qu’on pourra vraiment prétendre « sauver la planète » (rires).

Le groupe Shaka Ponk. © Denis Rouvre
Le groupe Shaka Ponk. © Denis Rouvre

Cette initiative est considérée par certains comme un peu « bobo », et surfant sur la mode de « se mettre au vert ». Qu’est-ce qui vous différencie vraiment de ces tentatives de marketing pseudo engagé ?

Avec Shaka, on a un groupe qui marche très bien. Ça nous a pris – et nous prend encore –  un temps dingue de faire ça, et franchement, on n’a pas besoin de sacrifier autant de temps et d’énergie pour lancer ce collectif, qui nous a plutôt empêchés de faire plein de choses…  On entend parfois « on vous aime pour votre musique, ce n’est pas la peine de faire ça… » Mais Shaka Ponk s’est créé autour d’une idée artistico-écologique… On n’a pas besoin de faire une quête « du vert » pour attirer la sympathie du public. La différence entre ce collectif et ce que faisaient les artistes avant – relayer les infos, chanter des chansons en rapport, utiliser leur réseau… -, c’est que, quand une personnalité publique déclare officiellement se déplacer en trottinette, manger végan etc. tu peux être sûr qu’il va avoir tous les yeux rivés sur lui ! Il ne peut pas raconter de conneries sans mettre en péril sa crédibilité puisque les gens vont vérifier s’il suit vraiment ses engagements. C’est hyper risqué de faire ça quand tu as de la notoriété, ou alors il faut être prêt à assumer et dire « j’ai pas réussi, j’ai merdé ». Mais si mensonge il y a, il sera forcément détecté !

Pourquoi avoir choisi le nom de The Freaks  (que l’on pourrait traduire par « Les Ovnis ») ?

(Pause) À l’instant où je te parle [ndlr : par téléphone], un mec de la tournée m’a vu en plein soleil et m’a gentiment amené une bouteille d’eau en plastique : j’ai refusé. Il était super étonné que je dise non. Avant de lancer « The Freaks » on a eu l’impression que, quand tu fais ce qu’il faut pour polluer le moins possible, tu passes pour un mec chelou, un ovni, un extra-terrestre… Le but du jeu, c’est de leur faire comprendre que ce sont eux les ovnis. Et que dans 50 ans, à force de faire ces petits gestes, on se dira : « Tu te rends compte ? Quand on achetait une pomme dans une station-service, elle était sous vide, et pleine de pesticides, et nous on s’empoisonnait avec et on jetait le plastique à la poubelle…  On était vraiment tous chelous. »

Comment et par qui sont décidés ces gestes – allant de prendre le bus, à trier ses déchets, en passant par le don de vêtements, ou encore manger bio –  censés sauver la planète ?

Nous travaillons étroitement avec la FNH et l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie (ADEME) qui valident la réalité de l’impact du geste. Aussi, pour vérifier les choses in vivo, nous échangeons avec de nombreux citoyens, proches amis, associations, fans, commerçants et testons nous-mêmes toutes les solutions. Si les deux conditions sont réunies, nous validons le geste. Ça nous a pris trois ans de sortir ces 22 premiers gestes.

« Favoriser les transports en commun », « ne pas acheter de viande/poisson », c’est bien gentil, mais c’est déjà le quotidien de beaucoup de gens…

La « Freak List » est prévue pour que la majorité puisse en trouver au moins un ou deux pour commencer, et que, petit à petit, les autres viennent s’ajouter au quotidien de chacun, pour que le changement se fasse naturellement, chacun à son rythme. Alors oui, évidemment que quelqu’un qui n’a pas les moyens de manger bio ne va pas s’y mettre demain, ou que celui qui a des horaires décalés ne prendra pas les transports en communs. Mais peut-être qu’il pourra donner à des associations, ou trier ses déchets ? Et puis, l’idée n’est pas de dire « il faut être comme ça », mais plutôt « il faut essayer d’être comme ça ». La plus grande force de changement c’est le nombre. Mine de rien, nous sommes beaucoup sur cette planète, non ? Servons nous de ce problème pour en faire une solution.

Mais avez-vous des idées concrètes à appliquer, sans que cela ne coûte un bras, ou soit trop contraignant ?

Prenons l’exemple du plastique. Les festivals de musique se transforment en festivals de plastique ! Il faut proposer des solutions comme des gobelets consignés réutilisables, des fontaines d’eau gratuites ou payantes, etc. Qu’ils vendent des gourdes ! On a des cuves de pinard, pourquoi pas d’eau ? 25 millions de bouteilles sont jetées chaque jour en France. Si on élimine la bouteille d’eau de notre quotidien, cela réduira considérablement la pollution. On passera un message clair aux industriels : on ne veut plus de ce genre d’emballage. Ils se diront qu’il y a un problème au niveau de la rentabilité et produiront peut-être différemment. Notre travail chez « The Freaks » c’est d’explorer ça, de montrer à ceux qui n’ont ni le temps ni la motivation comment faire, et de tester sur le terrain, pour proposer de vraies solutions efficaces.

En reprenant vos propres mots, vous ne souhaitez pas devenir « les L214 qui font du rock », mais êtes-vous prêts à délaisser ce côté déjanté pour vous concentrer sur le message écologique ?

Non, entre nous, je ne serais pas certain de bien savoir le faire. Nous devons beaucoup au travail des L214. Ils font évoluer les mentalités au sens noble du terme : pour le bien de l’homme, de l’animal et donc de l’environnement. Entre nous, on serait bien incapables d’avoir un tel courage. Au sein de Shaka, Sam et moi sommes les plus « freaky », les plus disciplinés (rires). Même entre nous, on a de gros débats sur les « règles du bien vivre ensemble ». Notre but, c’est justement d’amener des infos claires, et se partager le travail pour que ça ne soit pas rabat-joie. Ça serait relou si, d’un coup, ton artiste préféré te foutait des mers remplies de plastique dans chacun de ses clips, parce que ça relève de l’engagement personnel. Mais si on est nombreux, on peut se distribuer les tâches sans dénaturaliser l’art qu’on exerce tous à côté !

A quel point les membres du collectif sont-ils impliqués ?

Certains de nos « freaks » sont impressionnants… Sans trop en dire, parce que les fiches personnalisées arrivent bientôt sur le site, ce sont surtout les filles qui sont remarquables. Y’en a même une ou deux qui faisaient déjà presque tous les gestes en arrivant. Et puis, c’est un grand groupe, donc on s’entraine tous les uns les autres.  Certains essayent des gestes en ce moment, proposent des idées, d’autres nous aident à communiquer et c’est déjà énorme. C’est comme quand tu t’inscris au sport avec un copain ou une copine ; tu lui fixes un rendez-vous à la salle et si tu n’y vas pas, tu plantes ton pote. Tu as donc une raison de plus pour y aller !

Et personnellement, vous êtes plutôt villas et belles voitures ou investissements et charité ?

On a un concept qui est de réinvestir tout l’argent qui rentre dans le cadre du travail et d’ailleurs on a une vie sociale très pauvre. Moi j’habite dans un truc, j’aurais honte de faire venir les gens dedans. Parfois, on aimerait avoir une belle bagnole pour faire cinq kilomètres quand il pleut mais on finit à vélo (rires) ! Si on investit pas mal de nos biens, c’est pour trouver des solutions afin que notre existence d’homme sur la planète ait un sens. Ce n’est pas un sacrifice, c’est un vrai sens profond que l’on partage. I’m a freak baby !

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