Jacques Chirac est, paraît-il, un justiciable comme les autres. On nous l’a répété en boucle depuis l’annonce de sa mise en examen pour des faits qui remontent à une bonne vingtaine d’années. A première vue, cette affirmation revêt toutes les apparences de l’évidence. Qui oserait contester la saine égalité démocratique en vertu de laquelle puissants et misérables sont identiquement traités par les jugements de cours – lesquelles ne sont plus royales mais d’assises ? N’avons-nous pas fait la Révolution pour que la loi soit la même pour tous ?
Le problème, c’est que c’est faux : Jacques Chirac n’est pas un justiciable comme les autres.
On peut le regretter, mais Jacques Chirac est un ancien président de la République. Cela suffit à faire de lui un justiciable à part. Il a été élu, et pas qu’une fois de surcroît, par plus de la moitié d’entre nous. Certes, en République, point de droit divin, point de sacre à Reims. En termes strictement juridiques, Chirac est redevenu un simple citoyen – encore que sa participation de plein droit aux travaux du Conseil constitutionnel suggère le contraire. En tout cas, monarchie ou république, c’est toujours de la France qu’il s’agit. Si l’on parle de l’onction du suffrage universel, c’est bien parce que quelque chose, dans cette affaire, échappe à la rationalité. Jacques Chirac n’est plus président ni le chef des armées. Il ne représente plus la France mais, d’une certaine façon, il continue à l’incarner. En conséquence, Chirac condamné, c’est un peu la France qui le serait. Que certains s’en réjouissent n’est guère surprenant.
Au demeurant, il faut en finir avec la fable d’une justice « dure avec les faibles et faible avec les forts ». Etre riche ou puissant constitue le plus souvent une circonstance aggravante. Ce qui pourrait se défendre si la sévérité n’était pas souvent l’alibi du ressentiment. Après tout, l’appartenance à l’élite confère effectivement des responsabilités. Mais il y a autre chose, de bien plus inavouable, dans la joie mauvaise que peut éveiller le spectacle de la chute. En tout cas, la mise en examen d’un « justiciable comme les autres » n’aurait sans doute pas été saluée comme un – heureux – événement.
Certes, il faut reconnaître qu’Arnaud Montebourg et Eric Halphen ont semblé un peu dépités par ce dénouement qu’ils avaient tant appelé de leurs vœux. Le spectacle n’est pas à la hauteur de leurs espérances. C’est qu’eux rêvaient de voir Chirac quitter l’Elysée entre deux gendarmes, ce qui aurait assuré leur place dans l’Histoire – du moins le croyaient-ils. Tombeurs d’un président, ça vous aurait eu un petit air de Robespierre à visage humain. Persécuteurs d’un chef d’Etat à la retraite, c’est autre chose. Nos justiciers visaient un carrosse ; ils ont dégommé une citrouille. Bien vu.
Reste à espérer que le dossier s’enlisera. On imagine les éructations des professionnels de la vertu à l’idée que l’on puisse souhaiter un tel déni de démocratie. Ils ont raison : dans une démocratie parfaite, il serait impensable que Jacques Chirac échappe au châtiment. Nous ne sommes pas dans une démocratie parfaite et c’est tant mieux. L’accomplissement intégral d’une idée, quelle qu’elle soit, ne peut être qu’un cauchemar. Notre monde imparfait sera toujours plus habitable que le meilleur des mondes.
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