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« Deux tiers des Français jugent que les parlementaires sont malhonnêtes »

Entretien avec Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l'Ifop


« Deux tiers des Français jugent que les parlementaires sont malhonnêtes »
Portrait of Jerome Fourquet (opinion department manager at Ifop) 08/05/2017 © Hannah ASSOULINE/Opale/Leemage

Si la mort du maire de Signes émeut une grande partie de l’opinion, on ne peut pas en dire autant des attaques de permanences d’élus LREM. En multiplication constante, ces actes de défiance sont les symptômes d’un malaise dans la démocratie. D’après une enquête l’Ifop/JDD, deux tiers des Français jugent ainsi leurs députés et sénateurs malhonnêtes, trop payés et incompétents. Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop et auteur du bel essai L’Archipel français, en analyse les résultats. Entretien.


Daoud Boughezala. La dernière enquête de l’Ifop sur le rapport des Français à leurs élus donne des résultats préoccupants. Diagnostiquez-vous une crise de la représentation ?

Jérôme Fourquet.  Clairement. Il y a plusieurs enseignements. Le premier, c’est la défiance très forte qui règne entre les Français et les élus. Voici les critiques dont ils sont affublés : ils gagnent trop d’argent (pour 66 % des Français), ne sont pas compétents (30% sont d’accord avec cette opinion), ni assez proches des préoccupations des citoyens (26%), ni honnêtes (20%). En gros, deux tiers des français trouvent les élus éloignés des préoccupations, malhonnêtes et gagnant trop d’argent. Seuls les maires tirent leur épingle du jeu. 83 % des français ont une bonne opinion des maires, contre 33 % pour les députés et sénateurs, qui ont généralement le même score que les autres élus.

Députés et sénateurs pâtissent-ils des mêmes jugements négatifs, malgré le renouvellement de l’Assemblée nationale peu après l’élection d’Emmanuel Macron ?

En dépit de l’arrivée aux responsabilités de générations politiques nouvelles autour d’En Marche, avec des profils « issus de la société civile » qui ont nettement renouvelé le visage de l’Assemblée, la fracture béante qui sépare ces élus nationaux de leurs mandants s’est creusée. Les nouveaux députés ne sont pas de vieux briscards de la politique, ces parlementaires aux anciennes manières qui avaient aussi été maires, ce qui leur conférait un certain ancrage, une proximité. Au contraire, ce sont d’illustres inconnus auprès de leurs concitoyens, y compris auprès de ceux qui résident dans leurs circonscriptions. C’est dire si la question de la distance est très importante.

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Quelles sont les conséquences d’un tel climat de défiance ?

Cela peut virer à l’antiparlementarisme. On le voit dans les résultats d’une des questions au sondage, lorsque seulement 47 % des gens condamnent les attaques de permanences, dégradation et vandalisme. 44 % comprennent sans approuver. Enfin, 9 %, ce qui fait à peu près 4 millions de personnes, approuvent ce type d’action. Ces chiffres doivent être mis en regard avec les résultats de la première question : « quelle image avez-vous de vos députés et de vos sénateurs ? » C’est parce qu’on a d’eux une image très dégradée, qu’une partie significative de la population ne condamne pas les attaques dans leurs bureaux ou leurs locaux.

Pourquoi les maires gardent-ils une popularité intacte au milieu d’élus si impopulaires ?

Les maires représentent la proximité et beaucoup de Français ont le sentiment que leur maire ne gagne pas trop d’argent. Dans l’imaginaire collectif, le maire n’est pas Anne Hidalgo ou Jean-Luc Moudenc à Toulouse, mais bien davantage le maire de Signes ou ses confrères et collègues qui gèrent des communes de 50 à 10 000 habitants. Quand la dernière loi sur le non-cumul des mandats s’est appliquée, les députés-maires ont dû choisir entre leur ville et leur circonscription. Beaucoup n’ont pas hésité, décidant de conserver leur mairie. Ce choix ne découlait pas uniquement de considérations tactiques. Quand ils s’expliquaient, beaucoup disaient qu’ils se sentaient utiles. Dans les grandes villes, ils lancent des politiques qui transforment le paysage urbain et/ou le quotidien des administrés : un plan de circulation qui réduit la place de la voiture, un tramway, à la requalification de tel ou tel quartier.

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Les maires font bel et bien des choses visibles par les électeurs, ce qui n’est pas forcément le cas des députés et des sénateurs. Quant aux maires des petites communes, ce sont de véritables couteaux suisses qui font à la fois office de pompier/assistante sociale/urbaniste voire de garde champêtre dans l’affaire de Signes.

Cela donne à priori raison à Emmanuel Macron, qui s’est appuyé sur les maires au moment des grands débats pour éteindre l’incendie des gilets jaunes.

Macron, sans doute trop tardivement, a en effet découvert l’utilité du corps des maires dans une société « archipelisée ». De nos jours, quels sont, dans cet océan de défiance, les gens qui ont encore une relative confiance de l’opinion ? Et qui, par ailleurs, ont un ancrage dans le terrain, les deux étant liés, et qui peuvent nous faire remonter des choses ? Mais aussi, par leur dévouement, qui sont capables d’aller au contact des Français et de calmer les plus énervés ? Il n’y a pas trente-six personnes à qui s’adresser: ce sont les maires.

Dans quels groupes socio-politiques la défiance anti-élus est-elle plus forte ?

Puisque deux tiers de Français ont une mauvaise image des députés et des sénateurs, aucune catégorie de la population n’est totalement exempte de ce type de pensée. Bien évidemment, cette défiance est maximale à la France Insoumise et au RN, qui ont très peu de députés et qui sont depuis longtemps sur un discours anti-système. C’est un élément intéressant car l’image négative qui peut servir de terreau à un certain antiparlementarisme, n’est pas cantonnée aux électorats des formations les plus contestataires. Clairement, on compte plus de 70 % de mauvaise opinion au sujet des députés et des sénateurs dans l’électorat frontiste et mélenchoniste, mais on atteint quand même près d’un électeur sur deux de Macron et de Fillon. Autrement dit, l’antiparlementarisme touche même les électorats des partis de gouvernement.

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… au risque de cautionner des actes violents ?

Le même schéma se reproduit sur la réponse à la question : « est-ce que vous condamnez, comprenez ou approuvez les violences » : environ 30 % de condamnation chez les mélenchonistes et lepénistes, 70 % chez En Marche, et 62 % chez Fillon. Ces chiffres montrent la proximité entre Macron et Fillon. Cela confirme la bascule de tout un pan de la droite aux européennes en faveur de Macron. Dans cette jonction, on retrouve le réflexe du parti de l’ordre dans le sillon des gilets jaunes, face à la casse des monuments, les agressions contre les forces de l’ordre etc. L’électorat filloniste et macroniste favorise, à côté des réformes libérales, l’élargissement à droite de l’assise du bloc central macronien.

Et les gilets jaunes ?

Ceux qui se disent encore gilets jaunes, ce qui ne concerne plus que 4 ou 5 % de la population, encore gilets jaunes, ceux-là ne sont que 28 % à condamner, 49 % à comprendre sans approuver, mais 23 % à approuver les agressions contre les permanences d’élus ! Cette crise a donc peut-être eu comme conséquence de faire émerger dans « l’archipel français » une petite île qu’on peut appeler « île gilets jaunes », avec des gens qui viennent d’horizons politiques différents, mais qui se caractérisent par un très fort degré de défiance des institutions. Ou par un rapport à l’action violente ou musclée, qui est assez éloignée de la moyenne des autres Français.

Ces derniers soutiens des gilets jaunes, où se situent-ils politiquement ?

Ils viennent du RN, il y aussi des abstentionnistes et des mélanchonistes pour beaucoup. Ils se distinguent de la moyenne sur cette question. Il y a une deuxième catégorie qui rassemble 45 % de la population : « Je n’en suis pas mais je les soutiens ». Eux condamnent à seulement 29 %, comprennent sans approuver à 59 %, et ils approuvent à 12 %. Ils sont au même niveau sur la condamnation, mais ils sont moins nombreux à être dans l’approbation. Et parmi la moitié de la population n’appartenant pas aux gilets jaunes, 68 % condamnent, 29 % comprennent et 3 % approuvent. Une nouvelle segmentation s’opère, si bien que la moitié de la France qui n’a aucune empathie envers les gilets jaunes condamne massivement ce type d’actions. Dans cette partie de la France, on compte une forte représentation de l’électorat macroniste et de la droite classique.

En résumé, trois France se dégagent. Un noyau dur bienveillant et presque participant à ce genre d’actions ; un ventre mou qui n’approuve pas mais ne condamne pas non plus ; et une moitié du pays qui condamne aux deux tiers.

Le paradoxe, c’est que Macron a misé sur les maires pour son grand débat mais ses réformes achèvent la dilution du maire dans les grandes métropoles ou les intercommunalités…

Il faudra voir comment la trajectoire de ce processus déjà lancé sera recadrée. Soit on poursuit l’intercommunalisation mais on recrée, soit on donne des fonctions réelles aux maires des communes fusionnées par exemple. Macron l’a sans doute perçu dès « sa tournée des popotes », et il voit l’émoi dû au décès du maire de Signes. Le président sent bien que s’il avait eu des troupes plus nombreuses parmi les maires et/ou si une partie des maires était moins en tension avec lui, peut-être que la crise des gilets jaunes n’aurait pas pris de telles proportions. A ce moment-là, le pouvoir central s’est retrouvé seul face à la rue, au peuple de la route qui s’est mobilisé sur les ronds-points. Les maires auraient pu faire quelque chose.

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est journaliste.

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