Christian Laborde, poète et grimpeur palois, déballe son « fourbi », nouvelles et poèmes, dans un recueil irisant aux éditions Héliopoles
La poésie est une chose trop sérieuse pour la laisser aux poètes officiels. Les encartés et les pétitionnaires manquent de vent et de souffle dans leurs vers. La poésie n’a que faire des ordres et des cases, des prébendes et des idéologies, c’est un foutoir qui ne tient qu’à un fil, un élan chaotique et des désirs contraires.
La poésie, refuge pour inadaptés
La poésie ne suit aucune logique, aucun manuel, ne s’acoquine d’aucun parti et se méfie des censeurs enivrés de pureté. La poésie n’admet en son sein que les fous et les possédés, les émotifs et les flâneurs, les pêcheurs de truite et les emmurés des achélèmes, les trublions et les sensuels. Les inadaptés y trouvent un refuge, une halte, un abreuvoir dans le désert, on s’y désaltère, on s’y noie un instant et après, on doit repartir et affronter toutes les raideurs du système, tous les obturateurs de la pensée. Sans elle, sans cette respiration essentielle, que serions-nous ? Des lecteurs d’essais statistiques ou pis, de biographies d’hommes politiques.
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La poésie ne recrute pas sur concours administratif et après avis médical. On attend d’un poète, un style, un son, une imagerie, des emportements, des lassitudes, un épuisement et cette lumière blanche qui illumine une clairière, à l’abri des regards. En somme, des mystères et des égarements. On aime Christian Laborde pour sa science vélocipédique, pour son long compagnonnage avec Claude Nougaro et, pour son œuvre, large et ample, foutraque et incandescente, rocailleuse et désarticulée, pleine de ruisseaux et de montagnes, de jazz et de percussion, de foins et de vaches, d’embardées provinciales et de picotements urbains. C’est le grand percussionniste des lettres françaises, batailleur, toujours en verve et en émoi, jamais tranquille, sur la brèche, j’entends son accent débouler dans un studio de radio, le débit est précis, l’enthousiasme n’est pas feint, cette cascade de mots déferle et nous emporte. Les poètes qui aiment les mots ne sont pas légion en France. La plupart s’en méfie. Laborde les fait tinter au clair de lune. Il est précoce, cette année. Il arrive avant les premiers bourgeons du printemps. Son « Fourbi », recueil de nouvelles, poèmes et instantanés aux éditions Héliopoles sent l’herbe coupée et les brisures d’enfance, il est empreint d’un romantisme sensitif et parsemé de quelques saines colères. Laborde est le chantre d’une nostalgie qui construit plutôt que celui d’une nostalgie mortifère. Le livre débute par une longue nouvelle « Le gardien de Magardo », récit d’une éducation campagnarde, d’une solitude qui s’apprivoise au contact d’adultes bienveillants et d’animaux complices, s’en dégage une pudeur extrême où rien n’est déballé, rien n’est sali, cette retenue-là est précieuse pour le lecteur. Elle l’honore. Laborde excelle dans cette composition où tout est suggéré, effleuré et pourtant tout est dit. Il aurait pu choisir les larmes, les repentances, les vociférations intimes ; là, il écrit comme parlaient nos instituteurs de jadis, sans passéisme, avec une force de conviction. Il y est question d’amour de la langue française, de transmission, d’un contact direct et pas du tout évanescent avec la nature, de son assujettissement joyeux, Herping, l’ânon qui pointe ses oreilles sur la couverture est un frère pour le jeune narrateur, honnête homme en construction qui se méfie d’instinct d’une modernité obscène.
Généreux
On est chez Giono et Hardellet, du côté de Boudard et de Pirotte également, les souvenirs de la guerre planent encore sur les consciences, Jeanne et Auguste veillent sur son destin et puis, il y a les fulgurances de Laborde comme cette phrase parfaite d’harmonie champêtre : « Nous allions herboriser en 2CV » ou cette maxime que l’on devrait inscrire au fronton des écoles : « En ces temps pourris, seuls les deux G, Gracq et Gary, vous tiendront compagnie ».
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Laborde passe habilement de Bir Hakeim à la Porsche 356 de Jacqueline Bisset dans « Bullit ». Ce « Fourbi » me rappelle le bazar ambulant qui s’installait, les jours du marché, sur la place de mon village dans le Berry. On y trouvait toutes sortes de merveilles, des pépites à un franc seulement. Dans cet ouvrage hybride qui se moque des catégories et des compartiments, Laborde voyage librement, après une longue nouvelle, il nous offre des poèmes sur des sujets aussi variés que la pluie, Procol Harum, le rue Bréguet ou la ville d’Albi et, dans une dernière partie qu’il appelle ses vagabondages, ses polaroïds, sous forme de portraits courts, photographient le déséquilibre du monde. Laborde est un poète généreux.
Fourbi de Christian Laborde – éditions Héliopoles – Sortie : 7 mars 2024
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