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Fouad et Amina, assassins et héros


Poster du Hamas. Photo : delayed gratification.

L’histoire du conflit entre Palestiniens et Israéliens est une succession d’occasions manquées − parce qu’on a hésité, reculé devant un obstacle de taille, voire une concession majeure comme l’étendue du territoire concédé, le contrôle des lieux saints ou le « droit au retour ». Ces opportunités ratées génèrent de la frustration et enveniment les relations déjà compliquées entre les protagonistes. Mais certaines relèvent d’un autre registre, celui des symboles qui peuvent faire naître la confiance et changer radicalement le regard porté par les uns sur les autres. Même la haine n’interdit pas de se reconnaître une commune humanité – même si elle n’aide pas.

L’accord pour la libération de Guilad Shalit aura été l’un de ces ratages, un moment où l’affrontement, militaire et politique, aurait pu céder, ne fût-ce que quelques heures, aux préoccupations simplement humaines. Sans renoncer à rien sur le fond, le Hamas aurait pu choisir avec plus de discernement les prisonniers qu’il réclamait en échange du soldat israélien – du moins c’est ce qu’il aurait fait si son objectif était d’améliorer la situation sur le terrain.[access capability= »lire_inedits »] Au minimum, il aurait pu faire profil bas.
On s’attardera sur la biographie de deux des héros libérés et acclamés le 18 octobre. Fouad abd el-Hani al-Oumarine avait 19 ans, au printemps 1992, quand il a pris un taxi à Gaza pour se faire déposer dans une ville de la banlieue de Tel Aviv. Il était 7h30 quand il a croisé le chemin d’Helena Rap, une adolescente de 16 ans qui se rendait au lycée. Quand la jeune fille est passée devant lui, Al-Oumarine s’est retourné et lui a planté un grand couteau de cuisine dans le dos. Après ce premier coup, il a enfoncé son arme dans la poitrine de la jeune fille. Quand il a été arrêté, il lui avait littéralement arraché le cœur.

Sa camarade Amina Mouna s’est illustrée dans ce qu’on pourrait appeler le cyber-terrorisme artisanal. Cette jeune femme est entrée en contact, par messagerie instantanée, avec des adolescents israéliens dans le but de les séduire et de les attirer dans un piège mortel. Elle y est parvenue en janvier 2001 avec Ofir Rahoum, 16 ans. En arrivant à Ramallah avec sa cyber-copine, l’adolescent a été criblé de balles (une vingtaine) de kalachnikov à bout portant.

Dans son interrogatoire, Amina Mouna a décrit ses sentiments au moment où elle s’est approchée de sa proie : « Je sentais qu’il avait peur […] La peur était peut-être réciproque mais je me suis concentrée sur mon objectif. Je voulais aider mon peuple et c’est ça qui comptait. » La phrase qui suit est plus glaçante encore : « Aujourd’hui, je sais que j’ai trouvé ma place. J’ai un statut, je suis célèbre dans la société palestinienne. Je suis plus respectée que n’importe quelle autre fille. Désormais, je n’aurai aucun problème pour faire tout ce que je voudrai. On m’écoute à l’intérieur de l’Autorité palestinienne, le Tanzim [la milice armée du Fatah] me donne de l’argent, on met des avocats à ma disposition et on fait tout ce je demande. »
Le problème, c’est qu’on est plus proche des psychopathes de Reservoir Dogs ou de Pulp Fiction que des héros silencieux de L’Armée des Ombres. Quoi que l’on pense de la cause palestinienne, et même du choix de la lutte armée, de tels individus peuvent-ils être qualifiés de « résistants » ? Aussi douloureux que cela soit pour moi, je peux comprendre que des Palestiniens jugent légitime d’attaquer l’armée ou la police de « l’ennemi ». Mais en quoi l’assassinat de deux adolescents désarmés recèle-t-il la moindre parcelle d’héroïsme ou de grandeur ? Quel message envoie-t-on aux jeunes Palestiniens en célébrant la libération de criminels de bas étage ? Quelle cause peut-on bien défendre en glorifiant ainsi la lâcheté et ce qu’il faut bien appeler la barbarie ? Quelle société construit-on quand le moyen le plus sûr d’y trouver sa place est le meurtre de civils ? Que signifient l’accueil triomphal et les discours enflammés auxquels ils ont eu droit, sinon que tuer des Juifs est une cause si sainte qu’elle ne saurait s’embarrasser de la moindre parcelle d’humanisme ?

Admettons que la realpolitik impose parfois de transiger avec ses valeurs. Sans doute fallait-il libérer Amina Mouna et Fouad abd el-Hani al-Oumarine, puisque le Hamas, faute de rendre l’existence un peu meilleure, doit payer le peuple de symboles et qu’il ne saurait s’aliéner les familles des shahids qui jouissent visiblement d’un prestige inquiétant. Il n’était pas obligatoire de les acclamer aussi bruyamment. Un peu de retenue, un soupçon de décence auraient pu dissuader les dirigeants de Gaza de montrer le crime en exemple.
Pourtant, pour une fois, le citoyen israélien que je suis approuve la décision de « Bibi » Nétanyahou : il a eu raison de signer cet accord. Mais l’être humain en moi se révolte et me dit que Fouad et Amina auraient dû rester en prison. Pas parce que je veux m’opposer au rêve qu’ils prétendent réaliser, celui d’un État palestinien ; parce qu’ils le rendent impossible. À moins que leur véritable rêve soit celui de « toute la Palestine » − une Palestine sans Israéliens qui sera vite une Palestine sans juifs, sans chrétiens et sans liberté. Auquel cas, en effet, seules les armes trancheront. Et notre malheur présent à tous, Palestiniens et Israéliens, sera le prix à payer pour que Fouad et Amina puissent fantasmer maladivement la Palestine de leurs lointains descendants.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Novembre 2011 . N°41

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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