Les faits divers de violence et les tueries s’accentuent jusqu’à devenir monnaie courante. Faut-il s’habituer à de tels gestes? Comment résister à la montée de l’insécurité?
Depuis des dizaines d’années, les tueries arbitraires s’enchaînent encore et encore. Leur ritualité leur confère aux yeux de certains le statut de sacrifice, et, auprès des autres, celui de fatalité. La banalité des assassins, la trivialité des procédures atténuent nos indignations, estompent notre exaspération. Assassinat après assassinat, on oublie qu’ils mettent en cause ce qui fait notre humanité: « le propre de l’Homme c’est d’épargner la ou le plus vulnérable, parce que sa vulnérabilité est sa plus juste protection » (1).
L’épuisement des forces de l’ordre
À chaque meurtre, on dénonce le manque de moyens pour nous défendre contre la violence du terrorisme et pour protéger notre jeunesse contre les marchands de mort qui rodent sur internet. On réclame à grands cris l’augmentation les forces de police et de gendarmerie, plus de portiques à l’entrée des écoles, une vigilance plus ferme sur les réseaux sociaux et enfin le renforcement de notre effort de guerre extérieure. Mais peut-on raisonnablement penser que toutes ces mesures – certes nécessaires – nous garantiront la victoire finale ?
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Qu’adviendra-t-il, en effet, lorsque nous aurons épuisé nos forces et nos moyens contre des barbares pour lesquels le temps et la vie n’ont pas la même valeur que pour nous ? Qu’adviendra-t-il lorsque notre dernière bombe aura été larguée sur l’avant-dernier djihadiste. À long terme, le risque c’est que nos armées s’épuisent à devoir couvrir trop de fronts, que la traque policière se perde dans un dédale de réseaux de soutiens inavoués et enfin que les médiocres actions de « déradicalisation » en viennent à confondre analyse sociologique et complaisance idéologique.
Des élites qui planent loin des réalités
Après chaque attentat, la basse-cour politique continue de répéter, dans un caquètement pitoyable : « c’est inacceptable, c’est inacceptable ! ». Nos responsables rivalisent de formules ridicules, « pondues » par des plumitifs à bout de mots, dans le confort des cabinets ministériels : « c’est un crachat à la figure de la République », « Nous ne lâcherons pas un pouce de terrain ! », « Nous ne permettrons pas aux barbares de nous terroriser ! ». Indignation et rodomontades, promesses vaines et menaces sans effets, sont les seules réponses d’une classe politique qui ne voit pas plus loin que le bout de son mandat.
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Tous, quelles que soient leurs appartenances partisanes, sont incapables de comprendre que seule la résistance intellectuelle de nos enfants pourra faire barrage à la barbarie. Comment s’en étonner alors que, depuis des années leur absence d’ambition et d’exigence en matière d’éducation et de culture ont offert en sacrifice, sur l’autel du Web, à de dangereux manipulateurs, les mots imprécis, les mémoires vides et le dégoût de soi d’une partie de notre jeunesse? Aujourd’hui, il ne suffira pas d’emprisonner les manipulateurs, tout comme il est vain de tenter de bâillonner internet. Car ils arriveront en rangs de plus en plus serrés, ces salauds qui proposeront à ceux qui n’ont jamais eu de point d’appui, de mépriser, de harceler, de tuer pour se sentir vivants les policiers aujourd’hui, les juifs hier, les noirs demain, et puis les femmes et les homos et… les Arabes ; c’est-à-dire tout ce qui est différent et vulnérable.
Apprivoiser la terreur ultime de la disparition
Si des jeunes Français tombent si facilement dans les pièges grossiers qui leur sont tendus, c’est parce qu’ils sont vulnérables et crédules. Et s’ils le sont, c’est tout simplement parce que l’école de la République que l’on a tant négligée et les familles que l’on a tant bousculées ont oublié que leurs missions conjointes étaient de faire des enfants de ce pays des résistants intellectuels. Ils sont ainsi devenus incapables de dire non et d’expliquer leur refus, incapables de dénoncer les incohérences et les faux-semblants d’un discours, incapables de distinguer l’élévation spirituelle de l’enfermement sectaire. C’est ainsi qu’ils sont devenus de plus en plus « faibles d’esprit » face aux mensonges imbéciles et aux promesses vénéneuses. Des jeunes à la conscience vacillante, sans repères culturels ni historiques et sans armes intellectuelles ni linguistiques voient imposée à leur intelligence crédule la vision d’un monde définitivement divisé dans lequel des mots d’ordre sectaires disent ceux qui méritent de vivre et ceux qui doivent mourir. École et famille démobilisées se sont laissé voler le concept de « spiritualité » par de faux prophètes qui ont réduit cette élévation à un enfermement sectaire.
Le vrai combat qu’elles doivent mener ensemble aujourd’hui c’est de séparer soigneusement le spirituel du rituel et les valeurs universelles des préceptes dogmatiques. Car « l’élévation spirituelle » porte l’espoir que partagent TOUS les hommes, quelles que soient leurs origines ou leurs confessions, d’apprivoiser la terreur ultime de la disparition. Elle est nourrie des différents récits fondateurs profanes ou sacrés qui tentent depuis toujours de donner du sens aux questions essentielles que les hommes n’ont cessé de se poser. Parents et maîtres d’école leur apprendront que ces superbes récits n’ont pas été écrits pour relater exactement l’Histoire et qu’en aucun cas ils ne doivent être utilisés pour édicter des règles de vie fondées sur des modèles archaïques. Ils découvriront que ces récits constituent le moyen le plus honorable qu’ont trouvé les hommes pour tenter de répondre aux inquiétudes fondamentales qui tous les taraudent.
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La compréhension de ces textes qui fondent l’humanité et les débats auxquels ils invitent, permettront ainsi de construire, à l’école et à la maison, une culture spirituelle et laïque, véritable force de dissuasion contre la soumission à l’obscurantisme et l’appel au meurtre. À quoi donc servirait-il de s’efforcer de léguer à ceux qui arrivent une planète « vivable » si leurs esprits, privés de mémoire collective, de langage maîtrisé et du désir de comprendre étaient condamnés à errer dans le silence glacial d’un désert culturel et spirituel ? Soumis au premier mot d’ordre, éblouis par le premier chatoiement, trompés par le moindre mirage ?
(1) Nous ne sommes pas des bonobos, Alain Bentolila, mars 2021
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