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Laïcité à l’école: régression du domaine de la lutte

"Formations laïcité": l'Education nationale ne se donne pas assez de moyens pour lutter contre l'entrisme islamiste


Laïcité à l’école: régression du domaine de la lutte
Capture d'écran BFMTV

Selon l’IFOP, 21% des enseignants ont déjà été menacés ou agressés pour des motifs de nature identitaire ou religieuse. Ce chiffre monte à 39%, concernant les enseignants en zones d’éducation prioritaire! Mais, allez comprendre, 62% des enseignants de moins de 30 ans pensent que les élèves devraient pouvoir venir dans les tenues qui leur conviennent à l’école[1]… Pap Ndiaye lutte-t-il vraiment contre cette tendance inquiétante? Analyse.


Le 16 octobre 2022 Pap Ndiaye déclarait sur Twitter : « Je n’ai pas la main qui tremble sur les questions de laïcité, dès mon arrivée, j’ai pris les dispositions nécessaires : renforcement des équipes Valeurs de la République, intensification de la formation des enseignants et consolidation de la protection fonctionnelle ». Il recueillait le score époustouflant de 393  « J’aime », signe d’une indifférence à ses propos jamais démentie à ce jour.

La tête de gondole diversitaire pour électeurs de gauche, dont l’une des premières visites Potemkine permit une superbe photo aux côtés de jeunes élèves voilées d’une école de Harlem, peine à convaincre sur ce sujet comme sur bien d’autres. Mais où en sommes-nous réellement ? L’Education nationale a-t-elle appris de ses erreurs ? Des mesures concrètes adaptées à l’aggravation de la situation ont-elles été prises ?

Une formation oui, mais « low cost »

Il y a eu, bien sûr, comme après chaque drame, production massive de papier. La circulaire du 9 novembre 2022  tente d’inscrire dans le marbre les nécessaires soutien et célérité dans l’action qui firent tragiquement défaut dans l’affaire Samuel Paty.  Cela suffira-t-il à inverser la tendance à l’abandon des enseignants au front qui caractérise le management de l’Education nationale ? Seul l’avenir nous le dira mais la lecture des témoignages sur les réseaux (ou dans le dernier numéro de Causeur NDLR) montre que, pour l’instant, aucune révolution copernicienne n’a eu lieu en la matière.

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Concernant la formation, les retours des premières sessions pour les professeurs des écoles laissent perplexe. Bien sûr, pour tous les sujets, les enseignants sont, depuis Jean-Michel Blanquer, habitués à subir un déversement uniforme de diapositives, sur leur ordinateur personnel ou en grand messe par vidéoprojection. Il est loin le temps où un catalogue de thèmes leur permettait de choisir des formations correspondant à leurs besoins et leur niveau. Mais cette fois-ci, sur ce sujet sensible et complexe, le souci d’économie (ou de maîtrise des propos ?) a été  poussé un cran plus loin : les professeurs des écoles se sont vus proposé une leçon par… leurs pairs ! Ce sont donc parmi leurs collègues directeurs, que les inspecteurs ont désigné ceux qui disposaient d’un temps de décharge de classe suffisant pour ingurgiter les dix heures de bonne parole préalable avant régurgitation. Des motivés ? Des passionnés de la question ? Des érudits ? Que nenni ! Uniquement ceux qui ne risquaient pas d’engendrer le coût d’un remplaçant dans leur classe.  Les plus honnêtes ont d’ailleurs reconnu, en guise d’introduction à leurs premiers pas de formateurs: « Bonjour. Nous ne sommes ni historiens, ni juristes. Nous avons juste eu une formation et nous allons vous dire un peu de ce que l’on nous a expliqué ». Face à l’enjeu, cela semble un peu court.

Le même contenu se retrouve un peu partout : sage rappel historique (c’est sans risque) suivi d’études de cas tels que l’épineux souci d’une accompagnatrice de sortie scolaire porteuse d’une très grosse croix. Quelques jeux pédagogiques pour rendre actif l’apprenant et  trois minutes sur la laïcité de l’association Coexister (les connaisseurs apprécieront). Du gentil, du mignon, du politiquement correct. Rien sur d’éventuels réflexes comme éviter de recevoir des parents vindicatifs seuls, aucune affiche claire des personnes à contacter en cas d’urgence et même, pour certains, aucune présentation du Vademecum de la laïcité dont un exemplaire a pourtant été envoyé à chaque école sans que bien des enseignants ne s’en rendent compte. De temps à autre, on voit apparaître la fiche  « Comment reconnaitre un radicalisé ?» qui montre la lucidité de quelques audacieux, conscients que le problème dépasse la question des grosses croix exhibées en sorties scolaires. Une fois « formés », les enseignants seront parfois tenus de concocter un petit projet pour « faire vivre la laïcité » dans leur école, assurant ainsi à leur hiérarchie des statistiques artificiellement gonflées pour simuler une réponse à la hauteur de la gravité des problèmes.

En retard d’une guerre

Reconnaissons une chose : il y a un je ne sais quoi de savoureux à regarder les cadres et formateurs à la manœuvre en amont, d’ordinaire si férus de course à l’innovation pédagogique et aux « pédago-guignolades », se muer en nostalgiques hussards. Nous pourrions même en rire, s’il n’y avait urgence à adapter nos connaissances et nos pratiques à une évolution dangereuse qui dépasse depuis longtemps le cadre de la laïcité. Sa mise en cause n’est qu’un symptôme, une ombre sur les murs de la caverne de Platon et le dernier ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler nous permet de prendre l’exacte mesure de l’inadéquation de la réponse de l’Éducation nationale.

Dans Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, l’anthropologue, chargée de recherche au CNRS décrit factuellement la stratégie de conquête de cette mouvance islamique. D’une très grande richesse, l’ouvrage ne saurait être résumé en quelques mots, retenons simplement que leur activisme s’exprime sur plusieurs fronts. La même importance est accordée à la conquête de cerveaux des musulmans qu’au modelage de ceux des non-musulmans. Depuis l’Europe jusqu’à l’échelon le plus local, tous les leviers sont bons pour faire des nations occidentales un substrat fertile : exploiter l’idéologie multiculturelle, réinterpréter le féminisme (« le voile, c’est mon choix »), culpabiliser par développement du concept d’islamophobie, cultiver les amitiés utiles dans les universités, les partis de gauche, les associations… Et tout cela en demeurant perçu, à tort, comme modéré. Notre vision doit être renouvelée, car « nous avons tendance à penser que les musulmans ont été mal intégrés et que pour cette raison ils ont trouvé refuge dans l’islam radical. C’est l’inverse, c’est l’islamisme, ici le frérisme qui empêche l’intégration » nous dit l’auteur.  « L’emprise du frérisme est avant tout mentale » : il nous prépare à l’acceptation de ses idées et ses pratiques autant qu’il enferme les musulmans dans une pensée systémique dont aucun élément ne saurait être remis en cause.

L’islam n’est pas le catholicisme

Éclairé de ces quelques éléments, il est aisé de comprendre en quoi l’école constitue une cible de choix pour cette conquête politico-religieuse parfaitement planifiée. Malheureusement, en ne plaçant ses formations que dans le champ de la laïcité, l’Éducation nationale occulte le volet politique et désarme ses enseignants, et ce, pour plusieurs raisons.

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Tout d’abord, l’hyper focalisation du rappel historique sur les Lumières renforce l’idée d’un combat opposant la Raison à la religion. Cela fait primer une lecture philosophique là où une mise en avant d’une problématique d’influence politique, remontant aussi loin que Philippe Le Bel face au pape Boniface VIII, serait plus adaptée aux enjeux. Une telle orientation libèrerait les enseignants de l’illusion de la charge d’émancipation que certains croient porter en invitant les mères voilées à accompagner les sorties scolaires. De même, une certaine déculpabilisation pourrait naître de la relecture du rôle du voile et des exigences alimentaires comme outil de démonstration de la puissance politique des forces à la manœuvre. Nous serions alors bien plus loin que sa définition comme simple élément de pratique religieuse individuelle à réguler au nom de la laïcité. 

Enfin, il faudrait cesser de vouloir se réchauffer à la lumière du souvenir des victoires passées. L’islam n’est pas le catholicisme. L’emprise qu’il met en place touche tous les domaines de la vie terrestre. Le croyant est responsable par le moindre de ses actes, pour lui-même et pour sa communauté, de ce qu’il adviendra dans l’Au-delà. Donner à voir le joli logo de l’Association Coexister, c’est contribuer à diffuser l’image subliminale erronée d’une équivalence interreligieuse, suffisamment rassurante pour pouvoir prendre les choses à la légère et sans intégrer l’ampleur de la prison mentale dans laquelle sont embastillés les élèves et leurs familles.

Parce qu’il règne désormais partout un « frérisme d’atmosphère » ainsi que l’écrit Gilles Kepel, l’éducation du regard de nos enseignants est urgente. L’école, si fragile, est une cible de choix : elle est irriguée par les projets venus des instances Européennes dont Florence Bergeaud-Blackler démontre l’infiltration frériste. Ses valeurs d’égalité, de fraternité, de liberté sont retournées contre elle par l’instrumentalisation/relecture qu’en font les Frères musulmans. La présentation policée de ces derniers les fait, à tort, passer pour des interlocuteurs raisonnables et modérés dont les associations locales pénètreront sans mal les enceintes scolaires et les conseils d’école. Face à cette réalité, l’angélisme et le politiquement correct qui imprègnent la salve de formation laïcité récemment tirée par le ministère de l’Education nationale sont inquiétants, alors agissons : lisons et faisons lire Florence Bergeaud-Blackler. Savoir, c’est déjà lutter.

Le Frérisme et ses réseaux: Préface de Gilles Kepel

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[1] https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/03/119489_Rapport_Ifop_EV_Volet2_2023.02.10.pdf




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est enseignante et ex-directrice d'école.

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