Pendant près de deux décennies, Nicolas S. a servi au sein du Commando Parachutiste de l’Air n°10 (CPA 10), l’unité d’élite des forces spéciales françaises. Aux côtés de ses frères d’armes, il a traqué des chefs terroristes, capturé des criminels de guerre, libéré des otages et mené des évacuations de ressortissants français en zones de crise. Dans son livre, Les Guerriers du 10, publié aux éditions Mareuil, il retrace ces années d’engagement à travers dix récits captivants qui plongent le lecteur dans l’univers exigeant des forces spéciales. Un témoignage authentique et rare, qui met en lumière la diversité des missions du CPA 10. Entretien.
Revue Conflits. Votre livre, sorti le 21 novembre, raconte votre expérience unique au sein du CPA 10. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire, et pourquoi maintenant ?
Nicolas S. Ce projet est né d’une réflexion personnelle et d’un concours de circonstances. Un ami, chef de groupe à la BRI Paris, avait publié un livre intitulé Les Anges gardiens du 36, qui mêlait récits personnels et récits d’opérations. Cela m’a inspiré. Le CPA 10 est une unité relativement méconnue, même au sein de l’armée, malgré l’importance de son rôle. Cette discrétion, bien que nécessaire pour nos missions, pose aussi un problème pratique : comment attirer de nouvelles recrues quand si peu de gens connaissent notre existence ? J’ai voulu combler cette lacune avec ce livre, pour valoriser l’unité et faire découvrir son travail, en espérant aussi susciter des vocations parmi les jeunes générations.
D’un point de vue personnel, ce livre marque un tournant. Après presque vingt ans au CPA 10, je suis en fin de carrière et je prépare ma reconversion. C’était donc le moment idéal pour poser un regard rétrospectif sur mon parcours, pour partager les enseignements que j’en ai tirés et transmettre une partie de cette histoire. Écrire un livre est un travail plus exigeant que je ne l’avais anticipé, mais j’ai voulu relever ce défi en soignant l’écriture pour rendre mes récits à la fois fidèles, accessibles et captivants. J’espère que les lecteurs y trouveront un témoignage authentique et inspirant.
Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivé au CPA 10 ?
En 2001, j’ai rejoint l’armée de l’air comme élève officier pour devenir personnel naviguant dans la chasse. Après une formation exigeante, j’ai été affecté sur Mirage 2000. À l’époque, mon ambition était de m’épanouir dans l’aviation de chasse. Mais en 2004, j’ai découvert le CPA 10, une unité que je ne connaissais pas jusque-là. Ce fut une révélation. L’idée de missions mêlant action, intervention et haute intensité m’a immédiatement attiré. Cette unité offrait une manière différente d’être militaire, une façon plus complète de s’engager.
Changer de spécialité a été une décision difficile. Cela signifiait repartir de zéro, suivre une formation d’un an à l’école des fusiliers commandos de l’air pour devenir fusilier commando, puis passer les sélections du CPA 10, qui comptent parmi les plus exigeantes des forces spéciales françaises. Ces épreuves, tant physiques que mentales, sont conçues pour tester la détermination et les capacités des candidats. J’ai réussi à intégrer l’unité en 2005 et commencé par suivre le stage Bélouga. Ce stage est un moment charnière pour tout nouveau membre. Il ne s’agit pas seulement de prouver sa force physique, mais aussi de montrer sa capacité à travailler en équipe et à opérer sous pression. Cette étape, que je décris dans mon livre, est une excellente introduction à l’esprit du CPA 10.
Par la suite, j’ai gravi les échelons, débutant comme chef de groupe avant de devenir chef de mission, puis chef des opérations. En près de deux décennies, j’ai participé à une quinzaine d’opérations extérieures dans des contextes variés, de l’Afghanistan au Sahel en passant par le Levant. Ces expériences m’ont profondément marqué et constituent le cœur de ce que je partage dans mon ouvrage.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu de votre livre ? Comment avez-vous structuré vos récits pour refléter votre expérience ?
Le livre est structuré autour de dix récits, qui couvrent une large palette d’expériences vécues au CPA 10. J’ai voulu montrer la diversité des missions que nous menons, mais aussi mettre en lumière les moments marquants, qu’ils soient intenses, réfléchis ou plus humains.
Le premier chapitre est consacré au stage Bélouga, une épreuve emblématique pour tout nouveau membre de l’unité. Ce stage sert à évaluer les compétences physiques et mentales des recrues, mais aussi leur capacité à s’intégrer dans une équipe soudée et à fonctionner sous des conditions extrêmes. Ce récit offre un aperçu des exigences auxquelles les candidats doivent répondre pour rejoindre le CPA 10.
Les chapitres suivants plongent dans des missions opérationnelles variées. Je consacre une partie importante à mes expériences au Sahel, dans le cadre de la Task Force Sabre, où nous avons mené des actions de capture, de neutralisation et de renseignement. Ces opérations, qui ont souvent lieu dans des conditions particulièrement difficiles, reflètent l’adaptabilité et les compétences des forces spéciales. Je parle également de mes déploiements en Afghanistan, un théâtre d’opérations qui m’a profondément marqué. Mon premier déploiement, en particulier, a été une étape déterminante. Il m’a permis de comprendre la réalité des défis propres aux forces spéciales et de m’adapter à des environnements hostiles.
Enfin, je reviens sur des interventions au Levant, notamment pendant la lutte contre Daesh, où nous avons combiné missions d’appui, formation et accompagnement de partenaires locaux. Je termine par des évacuations de ressortissants, comme celles de Kaboul ou du Soudan, des missions très différentes mais tout aussi exigeantes. Ces évacuations mettent en lumière une autre facette de notre métier, où la priorité est de protéger des vies civiles dans des contextes chaotiques.
L’ensemble de ces récits repose sur des faits réels, même si j’ai parfois condensé plusieurs missions similaires pour offrir une vision représentative de notre travail. Ce livre vise à partager non seulement ce que nous faisons, mais aussi pourquoi nous le faisons, et ce que cela implique sur le plan humain.
Le CPA 10 est souvent perçu comme une unité d’élite discrète. Quelles sont ses spécificités par rapport aux autres forces spéciales françaises ?
Le CPA 10 partage ses missions avec d’autres unités d’élite, comme les commandos marines ou le 1er RPIMa. Cependant, il se distingue par son expertise aérienne, qui est au cœur de notre identité. Par exemple, nous identifions des pistes d’atterrissage en terrains hostiles pour permettre à des avions de transport de se poser en toute sécurité. Nous sommes également des spécialistes du guidage de frappes aériennes, une compétence essentielle pour mener des opérations précises dans des environnements complexes.
Nos maîtres-chiens, intégrés à nos groupes, sont une autre spécificité. Ces duos homme-chien sont indispensables pour des missions de détection d’explosifs, de pistage ou d’attaque. Enfin, la taille réduite de l’unité renforce notre cohésion. Tous les membres se connaissent personnellement, ce qui crée une dynamique de confiance et de solidarité, essentielle pour opérer dans des contextes à haut risque.
Vous parlez souvent de capturer des ennemis. Que devient un prisonnier après une capture ?
Une capture n’est qu’une étape. Notre rôle principal est d’exploiter le renseignement tactique immédiat, en interrogeant le prisonnier sur le terrain pour obtenir des informations cruciales. Ces interrogatoires tactiques, qui ne remplacent pas ceux menés par les services de renseignement, restent essentiels pour sécuriser nos zones d’opération et anticiper les mouvements ennemis. Cela peut concerner des caches d’armes, des positions ennemies ou des réseaux. Ces données permettent d’ajuster nos actions en temps réel.
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Ensuite, le capturé est transféré aux autorités locales ou aux forces conventionnelles. Cependant, dans certains théâtres comme le Sahel, des failles judiciaires entraînent parfois des libérations rapides, ce qui peut être frustrant. Nous avons ainsi capturé plusieurs fois une même cible.
Avec les changements géopolitiques actuels, comment évoluent les missions du CPA 10 ?
Pendant des années, le contre-terrorisme a dominé nos missions, avec des déploiements réguliers au Sahel ou au Levant. Aujourd’hui, le contexte géopolitique limite notre liberté d’action, notamment en Afrique, où les populations locales sont parfois hostiles à la présence occidentale. Nous privilégions désormais des interventions ponctuelles, souvent planifiées depuis la France, comme les évacuations de Kaboul ou du Soudan. Nous nous préparons aussi à relever de nouveaux défis, comme la guerre hybride et les conflits de haute intensité. Cela implique de réajuster nos stratégies, tout en maintenant un haut niveau de préparation pour répondre à des scénarios variés et imprévisibles.
Comment conciliez-vous vie familiale et vie professionnelle dans un métier aussi exigeant ?
C’est un équilibre difficile, mais c’est possible avec une organisation rigoureuse et beaucoup de soutien de la part de la famille. Je suis marié et père de trois enfants, et comme beaucoup de mes camarades, j’ai dû faire des sacrifices pour concilier ces deux aspects de ma vie. Être membre des forces spéciales, c’est accepter des périodes d’absence prolongées et un niveau d’engagement intense. Cela demande non seulement un investissement personnel, mais aussi une compréhension et une résilience de la part de nos proches.
Au CPA 10, cette problématique est bien prise en compte. Nous avons l’avantage d’être une unité de…
Lire la fin de l’entretien sur le site de la revue Conflits
Nicolas S., Les Guerriers du 10, Mareuil éditions, 2024. 192 pages
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