Ils sont tous très jeunes. Elise Bertrand, violoniste, et Gaspard Thomas, pianiste, ardents défenseurs d’un répertoire français méconnu ou délaissé, ont fondé avec leur ami pianiste et compositeur Adrien Mercier, l’Orchestre Silmaril – « éclat de lumière », paraît-il, chez Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux. Une formation d’étudiants qui n’hésite pas à mettre en lumière la musique contemporaine, à pratiquer arrangements ou orchestrations pour redonner vie à certaines œuvres du passé.
Gabriel Fauré y est mis particulièrement à l’honneur : il est vrai qu’on célèbre, cette année, le centenaire de la mort du compositeur. Dès janvier, la Philharmonie de Paris avait lancé les festivités, avec un programme intitulé « Fauré intime ». Un pléonasme ? Il est vrai qu’à côté des must archi-connus – la Pavane, l’inimitable Requiem… – bon nombre de pièces du maître ariégeois (1845-1924) méritent encore de sortir de la relative discrétion où ils sont tenus aujourd’hui, si on compare la notoriété de l’auteur des tellement extraordinaires Mélodies avec celle d’un Saint-Saëns ou d’un César Frank.
Adoré de Proust
Fauré, quasiment une vivante institution en son temps, eut pourtant droit à des funérailles nationales ! Lui, l’anti-Wagner par excellence : une musique raffinée, sensuelle, subtile – intime, justement. La comtesse Greffulhe, amie du « petit Marcel », aura été son soutien le plus actif jusqu’à sa disparition à l’âge de 79 ans, victime d’une pneumonie. À Gabriel Fauré, Proust ne dissimulait pas son « adoration » (sic).
Accueillis début mai dans ce quartier parisien encore préservé de la plaine Monceau par le charmant musée Jean-Jacques Henner puis, à deux pas, par la précieuse et si belle salle Cortot, la petite dizaine d’instrumentistes et de chanteurs susnommés revisitait, à l’occasion de deux concerts de chambre, quelques partitions incontournables – La Berceuse, Les berceaux, les Djinns… Assortis d’un bouquet de curiosités cueilli dans les compositions des élèves ou continuateurs du maître – des impérissables Ravel et Debussy jusqu’aux deux sœurs Boulanger, à Charles Koechlin ou Georges Enesco…
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Parmi ces juvéniles interprètes de la filiation fauréenne émergeaient très clairement le baryton Angelo Heck et le pianiste Victor Demarquette. Mais surtout l’adolescent à l’éblouissante physionomie « rimbaldienne » Numa Hetzel, violoncelliste hors pair : à 17 ans, son jeu allie déjà précoce virtuosité et parfaite délicatesse dans le phrasé. Sa sœur violoniste, Eléa, joue en trio avec lui et Adrien Mercier dans la classe de la fameuse chambriste Arielle Gill…
En attendant une célébration à la Maison de la Radio
Alors, feu Fauré le très feutré, vivier centenaire d’une fraîche génération d’interprètes ? Tout porte à le croire. Pas plus tard que la semaine passée, sous les auspices de la Fondation Banque Populaire (laquelle, depuis 1992, promeut la carrière de musiciens prometteurs), d’autres lauréats, réunis à l’enseigne des Musicales de Bagatelle (18/19 mai) dans l’Orangerie du vénérable parc créé comme chacun sait par le comte d’Artois au crépuscule de l’Ancien Régime, proposaient en guise d’apéritif la Romance pour violoncelle et piano de Fauré : Stéphanie Huang au violoncelle ; au clavier le brillant Gaspar Thomas, 27 ans, également compositeur, en outre artiste en résidence depuis 2021 au sein de la prestigieuse Fondation Singer-Polignac. Laquelle, à son tour, dans le cadre du Festival Singer-Polignac qui « consacre » justement les artistes en résidence, propose, en ouverture des festivités, le 6 juin, deux concerts où Fauré est à l’honneur comme jamais : pour commencer, un choix parmi les incomparables Nocturnes, interprétés par Théo Fouchenneret, 30 ans, talent exceptionnel ; puis, en soirée, deux pièces majeures de l’ultime période créatrice d’un Fauré valétudinaire, atteint de surdité, et en proie à de pénibles difficultés matérielles : le Trio pour piano, violon et violoncelle en ré mineur opus 120, dédicacé à la reine de Belgique et créé en 1923 ; et surtout le Quintette n°2 opus 115 pour deux violons, alto, violoncelle et piano, dédié à Paul Dukas, dont la lente gestation, entre 1919 et 1921, aboutit à quelque chose d’inouï, la quintessence même de l’art fauréen, alliance de fraîcheur et d’impétuosité sans égal : le deuxième mouvement, scherzo, lance un tourbillon capricieux, éblouissant, qu’on a peine à croire d’un homme plus que septuagénaire !
Gabriel Fauré sera célébré une nouvelle fois, très bientôt, à l’Auditorium de Radio France. Avec la suite Pelléas et Mélisande, la Dolly suite, les Ballade et Fantaisie pour piano et orchestre : une production montée en collaboration avec le décidément incontournable Palazzetto Bru Zane, ce centre de musique romantique française, basé… à Venise ! Puis quelques jours plus tard, ce sera l’immortel Requiem en concert : le maestro roumain Christian Macelaru dirigera l’Orchestre National de France et le Chœur de Radio France (avec, cerise sur le gâteau, la création mondiale d’un Concerto pour orchestre signé Martin Matalon, et le Concerto pour piano n°2 de Liszt – Alice Sara Ott au clavier).
Jeudi 23 mai, 20h :
Récital Fauré et ses élèves. Œuvres de Gabriel Fauré, Roger Ducasse, Charles Koechlin, Nadia Boulanger. Par les artistes en résidence à l’Académie : Lisa Chaïb-Auriol (soprano), Sofia Anisimova (mezzo-soprano), Kevin Punnackal (ténor), Ihor Mostovoi (baryton-basse), Mariam Bombrun (piano), Paul Coispeau (piano)…
Durée : 1h30
Opéra Bastille. Amphithéâtre OIivier Messiaen (En partenariat avec le Palazzetto Bru Zane)
Jeudi 6 juin, 18h et 21h :
Dans le cadre du Festival Singer Polignac :
Récital de Théo Fourchenneret (piano). Nocturnes de Fauré, Fantaisie de Schumann
Trio Hélios, Gabriel Le Magadure (alto), Marie Chilemme (violon), Théo Fourchenneret (piano)
Trio pour piano, violon et violoncelle opus 120, et Quintette pour piano et corde n°2 opus 115 de Fauré.
Concerts sur invitation, à suivre en direct sur singer-polignac.tv ainsi que sur les réseaux sociaux de la fondation. Concerts disponibles dès la fin du festival en accès libre sur la plateforme ainsi que sur medici.tv
Jeudi 13 juin, 20h :
Concert Fauré : Pelleas et Mélisande, suite ; Ballade pour piano et orchestre ; Fantaisie pour piano et orchestre ; Elégie pour violoncelle et orchestre ; Dolly, suite.
Aurélienne Brauner (violoncelle), Lucas Debarque (piano). Direction Marzena Diakun, Orchestre national de France (en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, dans le cadre de la 9ème édition du Festival Palazetto Bru Zane)
Maison de Radio France. Paris XVIè.
Jeudi 20 juin, 20h :
Requiem de Gabriel Fauré. Concerto pour piano n°2 de Liszt, Concerto pour orchestre de Martin Matalon (création mondiale).
Alice Sara Ott (piano). Direction Christian Macelaru. Orchestre national de France, chœur de Radio France.
Maison de Radio France, Paris XVIè. maisondelaradioetdelamusique.fr
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