En 1999, des joueurs de football serbes du championnat de France, afin de protester contre les bombardements de l’OTAN dans leur pays, portaient sous leur maillot un tee-shirt siglé « NO BOMB ». Lorsqu’il leur arrivait de marquer un but, ils se précipitaient alors vers une caméra pour montrer ce slogan et exprimer ainsi leur opposition à l’opération otanienne, à laquelle la France participait. Les autorités du football, en accord avec l’Etat, n’ont pas toléré longtemps ce genre de manifestation politique. La menace s’est précisée : ceux qui se prêteraient à de telles pratiques seraient immédiatement sanctionnés d’un avertissement.
Depuis, la jurisprudence « NO BOMB » reste en vigueur dans les championnats professionnels de football. Des joueurs, elle s’est ensuite étendue aux tribunes. Après quelques déploiements de banderoles de mauvais goût, comme celles des supporteurs parisiens accueillant un club du Nord (« Pédophiles, chômeurs, consanguins, bienvenue chez les Ch’tis »), les clubs ont très vite été encouragés à faire la police dans les travées, allant même au-delà des mesures prévues par le règlement de la Ligue (article 520[1. Toute expression orale, visuelle pouvant provoquer haine ou violence à l’égard de toute personne ou groupe de personnes est prohibée. L’introduction et la détention dans l’enceinte du stade de tous les objets qui pourraient y concourir sont placées sous la responsabilité du club visité.]). Dans un article du Huffington post, le directeur de communication du club de Troyes explique : « Les choses n’ont guère évolué. Il y a peut-être plus de dialogue entre clubs de supporteurs et dirigeants de clubs, mais on voit toujours des banderoles limites dans les stades. Quitte à exercer une forme de censure, les clubs préfèrent désormais contrôler les banderoles avant de les laisser passer en tribunes. C’est mieux que d’avoir à sanctionner quand il est trop tard. »
Le 6 août dernier, le président de la Ligue professionnelle de football Frédéric Thiriez est allé encore plus loin. Dans une lettre adressée aux présidents de clubs, que notre confrère So Foot s’est procurée, il s’est plaint du fait que « des banderoles de revendication émanant du collectif SOS Ligue 2 ont été déployées et ce, dans la plupart des stades. Des slogans hostiles à beIN Sport ont été également relevés dans de nombreuses enceintes. » En conclusion, il menace : « J’attends donc désormais des clubs de Ligue 2 qu’ils en fassent de même et veillent scrupuleusement à ce qu’aucune banderole hostile aux horaires de programmation ne soit déployée dans leur stade.
Faute de quoi, la Commission de discipline appréciera les suites qu’il conviendra de réserver aux infractions constatées. » Précisons qu’un conflit oppose depuis l’an dernier les supporteurs des clubs évoluant en Ligue 2 à propos de la tenue le vendredi soir à 18h45 des matches de leurs équipes, à une heure où la plupart d’entre eux travaillent.
Grâce à la mobilisation de leurs supporteurs, souvent soutenus par des édiles, ils avaient obtenu un petit geste de la part de la Ligue en janvier, l’horaire du match étant repoussé à 20h, mais maintenu le vendredi. En réparation, la Ligue professionnelle de football avait dû indemniser le diffuseur BeIn Sport, propriété de l’émir du Qatar, titulaire des droits de retransmission. Que la ligue préfère donner priorité à la rémunération des droits télé et continue de mépriser le supporteur qui se rend au stade, nous l’avions déjà déploré en compagnie du camarade Leroy. Mais que Frédéric Thiriez méconnaisse à ce point le droit, lui qui est pourtant avocat au conseil d’Etat, et piétine le règlement de l’instance qu’il préside, cela devient beaucoup plus préoccupant. Car comme indiqué dans l’article 520 susnommé, seules les expressions incitant à la haine ou à la violence sont prohibées dans les stades. Le droit de critiquer les décisions du président de la LFP n’est pas davantage mentionné que les attaques contre une chaîne de télévision.
Un tel règlement, d’ailleurs, serait très vite censuré par le juge administratif. Il n’est pas indifférent, d’ailleurs, que ce soit ce magistrat et non le juge judiciaire qui ait à connaître des conflits concernant les fédérations et ligues sportives. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt de 1991 sur la descente en deuxième division du club des Girondins de Bordeaux, avait expressément expliqué que ces dernières exerçaient par délégation une mission de service public.
Il serait bon que Maître Thiriez s’en souvienne, plutôt que de se muer en ministre chargé de la police des travées et des banderoles, auprès de l’émir du Qatar.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !