Hier soir, alors que je faisais part de mon bonheur après la victoire sochalienne à Rennes, mon camarade Philippe G. s’adressait à moi dans ses termes : « Te voir exulter en même temps et pour le même club que Pierre Moscovici[1. L’ami en question connaît assez bien Pierre Moscovici, lequel est effectivement l’élu de la circonscription Audincourt-Sochaux.] est une preuve de plus que le foot est un sport formidable ». Comme tu as raison, Philippe. Cette soirée restera sans doute gravée dans ma mémoire comme celle des finales gagnées au Stade de France, en 2004 et 2007, ce match à Bonal contre le Borussia et ce panneau qui affichait en lettres d’or Sochaux 4-Dortmund 0, celle où j’ai pleuré devant le poste lorsque je vis Mickaël Madar rater son pénalty en 1988 en finale de Coupe de France, ou encore, last but not least, cette fin d’après-midi de décembre 1980 où le Gaulois Revelli revint en peignoir sur la pelouse enneigée fêter la qualification du FCSM contre l’Eintracht Francfort en coupe d’Europe.
Je peux parler de football très sérieusement, mais quand j’évoque Sochaux, on entre dans l’irrationnel, dans la passion amoureuse. C’est l’enfant de dix ans qui s’exprime, celui qui portait fièrement les couleurs jaune et bleu quand il se rendait à l’entraînement chaque mercredi après-midi. Dans un autre papier, j’avais déjà confessé cette passion qui confine à la religion. Et pourtant, au cœur du mois de janvier, j’ai bien cru que je devenais athée. Pour la première fois, j’avais quitté un match à Bonal avant la fin. Sochaux venait d’encaisser un second but contre Montpellier et les derniers espoirs de maintenir le club en Ligue 1, semblaient s’envoler. La colère m’avait envahi. Les joueurs n’étaient plus dignes de l’Histoire qu’ils étaient censés incarner. Le naufrage était inéluctable, avec une dizaine de points de retard sur l’équipe classée 17e, sous ligne de flottaison synonyme de maintien. Aux copains, j’avais dit en partant : « Je vous laisse mon abonnement. Je reviendrai, peut-être. Pourquoi gâcher des samedis soir que je pourrais passer en famille et faire 160 kilomètres pour voir ça ? ». Et je ne suis jamais revenu, depuis. Pourquoi ? Parce que l’équipe s’est mise à nouveau à gagner, un match, puis un second, puis un troisième. Et que je me suis finalement persuadé que j’étais peut-être cette année le chat noir qui hantait le stade. Là, on va au-delà de la religion. Car le footeux est superstitieux. Au point que parfois, il change même son itinéraire entre le parking et le stade pour ne pas perdre comme la dernière fois. Parfois, il ne reprend plus le bonnet synonyme de défaite humiliante et se gèle les oreilles pendant tout un match dans la froideur des hivers sochaliens. Vous allez me dire : « C’est complètement con. ». Et c’est vrai. Mais pourtant, même si un supporteur d’Evian-Thonon-Gaillard me donnait un million d’euros pour que je vienne hanter Bonal samedi prochain, je resterais chez moi. Et pour le coup, si l’idée folle me venait d’accepter, je suis certain que mes potes me vireraient du stade en arrivant. Cela me rassure, d’ailleurs. Je ne suis pas seul à être complètement con. Car, voyez-vous, si j’y allais et que Sochaux ne gagnait pas et descendait en Ligue 2, je m’en voudrais pour le restant de mes jours. C’est cela l’amour d’un club pour le gamin de dix ans que je suis resté lorsqu’on évoque le FC Sochaux.
Samedi, Sochaux recevra Evian. Une fois n’est pas coutume, mon club de cœur a aujourd’hui la faveur des pronostics après sa fantastique remontée, sans précédent depuis la mise en vigueur de la victoire à trois points. C’est dangereux. Après avoir eu le droit de disputer cette sorte de finale dans un stade plein comme un œuf et acquis à sa cause, rien n’est plus périlleux que d’aborder ce match dans un contexte de confiance excessive. Samedi soir, vers 22h50, je pleurerai. De tristesse ou de joie, mais je pleurerai. Parce que c’est Sochaux et que je suis un gamin de dix ans.
*Photo : PATRICK GARDIN/AP/SIPA. AP20191927_000007.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !