Pour De Gaulle, le sport est le reflet d’une nation, de sa puissance, de son dynamisme. Si l’on en croit le Général, le continent africain a encore quelques soucis à se faire. Malgré un certain optimisme affiché ces dernières années quant à ses perspectives économiques, la phase de qualification de la prochaine Coupe d’Afrique des nations (prévue au Maroc, en janvier 2015) dont l’étape finale se déroule entre septembre et novembre 2014, laisse plutôt l’impression que le continent n’en a pas fini avec ses vieux démons. Pour le moment, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on assiste à un spectacle unique et rocambolesque. Pas forcément d’un point de vue sportif. Un scénario – ou plutôt un ensemble de scénarii – qu’il eût été impossible d’imaginer sauf peut-être par un Gérard Oury.
Le match Mauritanie/Guinée Equatoriale a été le premier théâtre de cette succession d’événements. La rencontre pourtant remportée par la Guinée Equatoriale, jouée en un match aller et un match retour, portait la mention « awd » ; abréviation anglaise du terme « awarded », elle signifiait tout simplement qu’à la suite d’une réclamation, la Confédération africaine de football avait décidé d’attribuer la victoire à la Mauritanie après que fut prouvée l’utilisation par la Guinée Equatoriale d’un joueur en réalité camerounais, Thierry Fidjeu. Ce n’était que le début.
Plus tard, c’est la mention « w/o » (« walkover ») qui figurait cette fois-ci à la place du score final cumulé de la rencontre Gambie/Seychelles. Habituée aux abréviations sportives et en anglais, mais non moins intriguée, je n’ai pas tardé à découvrir que ni le match aller, ni le match retour de cette rencontre ne s’étaient disputés ; la Gambie avait cette fois été disqualifiée, s’étant rendue coupable d’avoir enfreint la limite d’âge des joueurs lors d’un match éliminatoire de la Coupe d’Afrique des moins de 20 ans contre le Libéria. Peu chanceuse, la Gambie s’était faite prendre. Elle avait donc écopé peu avant de 2 ans de suspension, suspension qui touchait également l’équipe A de Gambie.
Alors que je m’attendais à naviguer en des eaux plus calmes pour la seconde phase des éliminatoires et que je découvrais avec délectation la victoire surprise du petit Lesotho face au Kenya, le répit fut de courte durée. Sacrebleu ! Retour de la mention « awd ». La rencontre Congo / Rwanda, s’était soldée par une victoire du dernier au terme d’un suspens haletant et d’une séance de tirs aux buts fortement déconseillée aux cardiaques. Hélas, pour les malheureux Rwandais, la confédération africaine de football avait trouvé parmi ses rangs un obscur joueur du nom de Daddy Birori, au sujet duquel la fédération rwandaise avait affirmé mordicus qu’il était au-dessus de tout soupçon. Jusqu’à ce que l’on découvre que le dit Daddy Birori, de son vrai nom Etekiama Agity Tady, possédait un passeport congolais (du Congo Kinshasa). La fédération rwandaise, dont la combine fut très peu appréciée de la confédération africaine de football, fut donc elle aussi priée de quitter la compétition et vit le Congo accéder à la phase ultime des éliminatoires.
Et pour la Libye, même sur la pelouse, rien ne va plus. Les Libyens, qui avaient affronté le Rwanda et perdu au tour précédent, avaient en vain formulé une plainte au même sujet. Leur élimination après leur défaite 3 – 0 (les trois buts marqués par un certain… Daddy Birori ! ), a bien été validée.
Un peu plus loin, la confrontation entre la Sierra Leone et les Seychelles (rescapées du premier tour), m’interrompait une nouvelle fois et je me mis à avoir peine à croire au surréalisme et à l’ubuesque de ces éliminatoires. Cette fois, le match aller s’était bien déroulé et avait vu la Sierra Leone l’emporter logiquement 2 – 0 ; mais pas de match retour. Ce dernier, prévu aux Seychelles, n’avait pas pu se disputer malgré la bonne volonté des Sierra Leonais qui s’étaient présentés le moment venu chez leurs adversaires : ils furent tout bonnement refoulés par les douanes seychelloises de l’aéroport international craintives du virus Ebola, et qui dans leur zèle ont empêché toute la sélection sierra-leonaise de disputer le match éliminatoire, préférant leur indiquer le chemin du vol retour vers Freetown. Enterrant aussi tout espoir pour leur propre équipe nationale de se qualifier pour la prochaine CAN puisque cette mesure équivaut aux yeux de la confédération africaine à un forfait des Seychelles. Les Seychelles avaient donc rendu vaine leur qualification au tour précédent face à une Gambie exclue, et désormais certainement dépitée. Que va-t-il advenir de la Sierra Leone lors de la dernière phase des éliminatoires ? L’ensemble de ses adversaires va-t-il imiter la décision des Seychelles, offrant victoire sur victoire aux Sierra-Leonais sans même jouer et une qualification plus qu’inespérée pour la CAN ? Nul ne le sait pour l’instant.
Bien plus que les dysfonctionnements et à contresens du traditionnel discours moralisateur, ce sont, peut-être paradoxalement, les sentiments de liberté, de spontanéité et de fraîcheur qui émanent de tout cela. De toute évidence, cette phase éliminatoire de la CAN et sa série de péripéties qu’il aurait été difficile de croire si elles étaient survenues ailleurs qu’en Afrique, viennent nous le rappeler : quelques hirondelles ne font pas un printemps africain.
*Photo: JEFFROY GUY/SIPA.00652540_000010
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