Certains candidats à la présidence de la République mettent l’accent, dans leurs programmes, sur la réduction du nombre des fonctionnaires. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle, car le mot « fonctionnaire » a deux significations distinctes :
– au sens strict, il s’agit d’un agent titularisé, dont la situation n’est pas régie par un contrat de travail et, le cas échéant, une convention collective, mais par la loi et le règlement.
– au sens large, ce mot est employé pour désigner tout agent employé par certaines administrations publiques, principalement l’État, les collectivités territoriales, et les hôpitaux publics, qu’il soit titulaire ou sous contrat. Bien que la Sécurité sociale soit une administration publique, ses salariés (tous de droit privé) ne sont pas considérés comme des fonctionnaires au sens large du terme.
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De telles subtilités compliquent évidemment la tâche de ceux qui ont à s’exprimer sur la façon de gérer le personnel des administrations publiques. Rien n’est simple, et les chiffres sont ambigus puisque le mot utilisé pour désigner telle ou telle catégorie a souvent plusieurs significations, les unes plus larges, les autres moins.
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La titularisation, actée par une autorité ad hoc, crée un ensemble de droits et d’obligations statutaires. En particulier, quand un poste est supprimé, l’administration doit trouver au fonctionnaire titulaire qui l’occupait un emploi correspondant à son grade.
Une forme de réduction du nombre des fonctionnaires (au sens strict) consiste à titulariser une plus faible proportion des agents des administrations. Ce n’est pas la même chose que de recruter au total moins de personnel pour lesdites administrations, même si les deux types de réduction peuvent évidemment se combiner. Les candidats font des déclarations à l’emporte-pièce qui ne tiennent pas compte de ces subtilités, mais celui d’entre eux qui s’installera rue du Faubourg-Saint-Honoré devra bien s’en préoccuper.
Quels reproches peut-on faire au statut de fonctionnaire titulaire ?
Les textes prévoient toutes sortes de dispositions généreuses, comme une augmentation du traitement à l’ancienneté constituant un minimum en-deçà duquel les services du personnel ne peuvent pas descendre, même si le travail effectué est plutôt médiocre. Mais certaines conventions collectives comportent elles aussi des « gentillesses » quelque peu excessives. Le licenciement pour insuffisance professionnelle est prévu par les textes. La révocation, sanction disciplinaire prise à la suite d’une faute grave, l’est également. Si la loi et le règlement étaient appliqués avec une certaine rigueur, il est probable que les chefs de services, les directeurs, et au sommet de la pyramide les ministres pourraient, presque comme dans le secteur privé, renvoyer une bonne partie des « canards boiteux » dont le travail est quantitativement ou qualitativement très insuffisant.
Le hic est que cela ne se fait pas. La possibilité donnée aux fonctionnaires titulaires de « se la couler douce » est davantage une question de mentalité collective que de dispositions juridiques. Et si l’on compare la façon dont les choses se passent dans les services de l’État, à la SNCF et à la Sécurité sociale, on constate que la mentalité collective, confortée par des syndicats puissants, aboutit à des résultats voisins en dépit du fait que, dans les deux derniers cas, il ne s’agit pas de fonctionnaires stricto sensu – ni même lato sensu à la SNCF.
Autrement dit, si le statut de la fonction publique facilite le maintien en poste d’agents qui ne font pas un travail satisfaisant, il ne suffirait pas de le supprimer pour améliorer la qualité des services rendus et la productivité.
Embaucher désormais surtout dans le cadre du droit du travail ordinaire serait certes une bonne chose, mais pour donner à nos administrations un allant suffisant pour faire nettement mieux avec un nombre d’agents inférieur il faudrait en sus, et surtout, que les ministres, les maires, les présidents des Conseils départementaux et régionaux, se comportent en chefs d’entreprise, et impulsent le souci de l’efficacité aux cadres qui, sous leur responsabilité, doivent diriger et motiver le personnel.
La bureaucratie, mère du gaspillage
La contrainte budgétaire existe déjà dans les services publics, et quasiment tous les chefs de service estiment leurs dotations dramatiquement insuffisantes. Mais ils mesurent cette insuffisance dans un cadre donné, considéré comme inamovible : par exemple, modifier la loi et le règlement pour simplifier le travail et améliorer son efficacité n’est presque jamais sérieusement envisagé. Les policiers, entre autres, ont beau expliquer qu’en simplifiant les procédures ils pourraient consacrer davantage de temps à courir après criminels et délinquants, la contrainte institutionnelle et bureaucratique est rarement assouplie. Bien entendu, constatant la difficulté qui existe à ce niveau, les fonctionnaires soucieux de la qualité du service public demandent en compensation de desserrer la contrainte budgétaire. C’est comme cela que l’on en arrive à demander trop au contribuable par rapport à ce qui est apporté au citoyen.
Une expérience, menée par Alain Madelin quand il était à Bercy, éclaire ce problème. Le ministre avait remarqué l’agacement de ses chefs de service obligés de passer par des procédures très lourdes pour tout achat de matériel et de fournitures. Il avait mené une petite enquête, sur le thème suivant : « de combien accepteriez-vous que soit réduit ce poste budgétaire si la liberté vous était donnée de commander directement et sans formalité ce dont vous avez besoin ? » Les réponses tournaient autour de 20 %. Autrement dit, si ces hauts fonctionnaires cherchaient à disposer de toujours plus de crédits d’approvisionnement, c’était parce qu’ils étaient prisonniers d’un carcan réglementaire : ils commandaient à l’avance, par le canal des appels d’offre, bien plus de matériel et de fournitures qu’il ne leur en fallait, de façon à éviter de se trouver « coincés » un jour par l’impossibilité réglementaire de remplacer du jour au lendemain la photocopieuse ou l’ordinateur ayant trépassé.
Ce petit exemple est révélateur d’une réalité bien plus générale : il serait possible de réaliser des économies substantielles en offrant aux services plus de liberté grâce à un élagage de la réglementation étouffante à laquelle ils sont soumis. Actuellement, l’argent des contribuables est gaspillé pour compenser la contrainte bureaucratique et la complexité abusive qui pèsent sur les administrations publiques. On peut dépenser moins à condition de ne pas s’encombrer de fatras procéduraux.
Il en va de même pour les embauches : quand le besoin d’une personne supplémentaire se fait sentir, on ignore si c’est pour 2 ans, pour 10 ans, ou indéfiniment. Mais comme le recrutement dans un corps bien déterminé est effectué pour une période allant jusqu’à la retraite, le risque est grand de se retrouver un jour avec quelqu’un dont l’administration n’a plus l’usage. La reconversion à l’intérieur de la fonction publique n’est pas inexistante, mais elle reste trop rare. La solution actuellement trop souvent utilisée consiste à mettre sur une voie de garage la personne devenue peu utile, et à effectuer un nouveau recrutement. Voilà clairement une mauvaise habitude.
Autonomie de gestion et concurrence
La concurrence est un stimulant dont les organisateurs de nos services publics ne se servent pas assez. Au sein de l’Éducation nationale, par exemple, de multiples établissements font sensiblement le même travail, et se trouvent potentiellement en situation de concurrence. Pourquoi ne pas rendre effective cette potentialité ? Le recours au ticket scolaire, dans le cadre d’une plus grande autonomie de gestion, pourrait dynamiser les performances, aboutir à de meilleurs résultats éducatifs. Dès lors que chaque établissement serait maître de ses recrutements et de ses méthodes pédagogiques, et responsable de son budget (avec le ticket scolaire, attirer peu d’élèves signifie avoir un maigre budget), les mentalités évolueraient rapidement. Il y aurait, à nombre d’élèves donné, moins d’enseignants et de personnel administratif, mais ils seraient plus motivés et plus productifs.
Ce sont des évolutions ou révolutions de ce genre qui peuvent donner à la France une administration plus efficace. Diminuer le nombre des fonctionnaires ne doit pas être un objectif, mais une conséquence du renouveau de nos services publics, dotés d’une meilleure gouvernance.
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